David Kadouch sait nous parler et nous séduire. On se souvient de son récital à la Roque d’Anthéron, du délicieux « cocktail » qu’il nous avait concocté : musique et littérature étaient invitées dans un récital autour de Madame Bovary. Chaque représentation de ce pianiste attachant est à marquer d’une pierre blanche. Il aime « réinventer » de nouvelles formes de concerts pour piano autour de la « grande Histoire » ou encore autour de la danse. « Révolution », » Dansez-le moi », et « Madame Bovary » sont quelques thèmes de ces récitals-hommages qui permettent au jeune homme de se renouveler et en quelque sorte de « romancer » son piano.
Ce jeudi à Aix, au Grand Théâtre de Provence, c’est Débora Waldman qui convie David Kadouch à l’accompagner dans un programme gourmand avec Mozart et Tchaïkovski. Native de São Paulo, c’est la première cheffe d’un orchestre national en France ; elle est brésilienne et israélienne, et porteuse de messages de paix. En 2011, Debora Waldman est choisie pour diriger le concert « Thessalonique, carrefour des civilisations » en l’honneur de l’amitié arabo-israélienne, avec l’Orchestre de l’État de Thessalonique. Un engagement plus que jamais actuel, 13 ans plus tard. Mais revenons à la musique.
Concerto pour piano n°24 (1786) de Mozart
D’aucuns reconnaissent chez le musicien un « piano virtuose et prophétique », le pianiste sculpte en profondeur les contours dramatiques et ombrageux de cette partition. C’est tout à fait juste. On peut ajouter que le Mozart de Kadouch ce jeudi soir est « nerveux » et dramatique Il se combine bien avec le geste assuré de la belle cheffe à la tête d’un orchestre inspiré, des musiciens qui prennent toute la mesure du propos, traduisant avec force tous les affects mozartiens. Le Mozart de David Kadouch est dans cet esprit, d’une humanité à fleur de peau, et rien d’étonnant à cela quand on connait le pianiste, chaleureux, curieux, proche de son public. Il est également très à l’écoute de l’orchestre, un échange s’établit entre le pianiste et les musiciens et les regards qu’il plonge vers la cheffe, ou vers les solistes qui lui donnent la réplique, ne nous échappent pas.
Ce soir-là, la cheffe est particulièrement sensible à toutes articulations et inflexions de voix de ce concerto de Mozart. On ne peut que « l’entendre », si l’on peut dire, car une partie de la salle ne peut pas la voir. On la devine, cachée derrière le piano. En revanche, on peut à loisir admirer le soliste David Kadouch , cette façon qu’il a d’animer ces pages, à travers un jeu vif, un son lumineux. Visiblement, il livre toute son énergie dans ce Mozart, qui se raconte sans compromis et qui permet au pianiste de se livrer également, de la plus belle des manières. Le musicien est ovationné. Avant l’entracte, il nous offre une pièce de Fanny Mendelssohn, agréable et raffinée, la Mélodie Op.4.
La Pathétique
Dans la symphonie 6, la Pathétique de Tchaïkovski, le ton est tout autre, cependant on reste dans le même « climat ». Le piano a disparu de la scène, laissant toute la place de l’estrade à la cheffe désormais bien visible. Les 38 musiciens permanents de l’ONAP ont donc vu leur effectif renforcé par des musiciens supplémentaires, des étudiants musiciens de l’IESM. Cette démarche permet aux jeunes gens de jouer dans un grand orchestre, sous la responsabilité de la cheffe, mais aussi des solistes de chaque pupitre qui les encadrent avec bienveillance.
Cette symphonie « pathétique » nous touche dès les premières mesures. Elle est énigmatique, étrange. C’est le Tchaïkovski de la maturité qui regarde sa vie. Elle nous surprend par ses notes bien sûr, et aussi par ses silences. Des silences présents dès le début de l’œuvre, des silences funéraires, assourdis, funèbres, et réellement beaux. On ressent, tout au long de cette symphonie, ce que représente pour le compositeur la lutte de l’homme face à son destin. Les sentiments sont exacerbés et cette lutte comme cette sensibilité poussées à l’extrême atteignent un maximum d’intensité que l’on n’a pas toujours ressenti ce soir-là. On réalise à quel point il est difficile de s’engager dans cette symphonie qui résume un périple « à la vie / à la mort », cette noirceur, ce sens de la tragédie. Il y a de nombreux jeunes musiciens dans la salle, et malgré leur « fraîcheur », ils offrent une fort belle vision de cette Pathétique. Notre plaisir est bel est bien là. On entendra longtemps encore ces trompettes qui expriment avec force la douleur ; elles viennent claquer à nos oreilles. L’adagio qui clôt cette symphonie est poignant. Aucune note optimiste car il s’agit là d’un adieu à la vie. Cela commençait déjà ainsi, par un adagio, un drame qui se développe sous nos yeux, avec ses silences forts, soudain rompus par le basson qui joue sa partition à la perfection. Il sera accompagné par des contrebasses virtuoses. On baigne dans la noirceur, même si d’autres thèmes plus « légers » sont développés, plus lyriques aussi mais, il faut bien l’avouer, toujours désespérés. On est bouleversé par la clarinette, notamment dans ses graves puissants. Il se passe tellement de choses. La musique bouscule. Les cuivres sont stridents, trombones et trompettes désespérés, des timbales, des grondements… Mais il y a aussi des moments plus apaisés. La valse, qui nous offre un instant de répit, nous parle des plaisirs de cette terre.
Mais la tristesse est toujours présente dans cette danse. On entendra aussi une marche, un scherzo de plus en plus puissant et bruyant. L’adagio conclut l’œuvre. On comprend que tout est joué d’avance, le combat est perdu. Le silence envahit la salle. On entend un cœur battre, le cœur de Tchaïkovski lui-même. Glaçant. Mais que c’est beau !
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