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Georges Duhamel, la Chronique des Pasquier revisitée

par Christophe Baillat

Des écrivains et leurs livres nous suivent tout au long de nos itinéraires de vie et nous aimons à retrouver dans nos bibliothèques leurs textes. Ainsi semble-t-il, ils solidifient ce en quoi nous croyons et grâce à cela nous gardons au coeur nos enthousiasmes de naguère et notre plaisir intact.
Christophe Baillat, nouvellement arrivé à WUKALI, s’épanche avec brio sur un moment de l’oeuvre de Georges Duhamel (1884-1966), à lui l’ivresse de la création !

Le jeune homme Georges Duhamel (futur académicien), 22 ans en 1906, tenta l’expérience de la vie collective et l’a racontée dans Le désert de Bièvres paru en 1937.

Il n’est peut-être pas inutile de représenter Georges Duhamel car un siècle nous sépare de « l’immortel » (1884-1966… eh bien ? Mais alors ! Et oui, seule la mission confiée à l’Académie : « porter la langue » est immortelle). Élu en 1935, il cite dans son discours Pasteur et Rimbaud pour rappeler les deux vocations qu’il voulait concilier. Industrie pharmaceutique et théâtre, le futur Secrétaire perpétuel de l’Académie (1944-1946) mène les deux de front. Avant « le tocsin de 14 », le poète le dispute au médecin. Après 1918, le chirurgien qui s’enrôla pour soigner les soldats, raconte ce qu’il a vu (« Je n’ai pas voulu que d’humbles paroles que j’entendis alors aux ambulances des Armées fussent perdues… » [1]). Il écrit « des livres de médecin » selon l’expression du général de Gaulle. S’il reste aujourd’hui dans notre histoire littéraire, c’est comme auteur de deux cycles romanesques, dans l’ordre : Vie et aventures de Salavin qui comprend cinq tomes. Puis, la Chronique des Pasquier qui rassemble dix volumes. Ainsi, Le désert de Bièvres est le cinquième de cette série. Ce livre (Désert avec majuscule ou non) a été édité la première fois en 1937 au Mercure de France. Place maintenant aux ermites de Bièvres, leur terre promise.

Mais pourquoi diable un groupe de jeunes gens décide tout à coup en assemblée de tenter une aventure de vie collective ? Laurent Pasquier, fils de médecin (tout comme Georges Duhamel), serait malade si jamais le projet ne pouvait aboutir. C’est lui qui pousse ses camarades à se consacrer « à tout ce qui peut embellir et même ennoblir la vie », l’art en particulier. Un projet qui ne tient pas debout, le directeur du Mercure (personnage de fiction) le lui a dit, mais il a retenu la suite : « Ça ne fait rien, essayez quand même ».

Combien ils emploieront mieux leur jeunesse s’ils quittent leurs occupations de correcteur dans un journal, ou de professeur de dessin ou de musique… Laurent, étudiant en médecine, a cherché en vain leur future thébaïde, mais n’est pas Moïse qui veut. Grâce à Justin Weill, les voici à Bièvres comme en terre de Canaan, les besognes dans lesquelles ils gaspillaient leur jeunesse sont derrière eux. Ils s’installent dans le val de Bièvres, certains font venir leur compagne. Les déménageurs livrent le piano d’Armand Larseneur en premier, alors même que la presse typographique qui doit assurer leur subsistance, n’est pas encore arrivée. C’est sans gravité, vu qu’ils ne veulent pas sombrer dans la matière.

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« _ Au fond, l’imprimerie, c’est bien, mais ce n’est pas mon affaire. Pour moi, somme toute, ce n’est rien de sérieux. Mon seul vrai travail, c’est la musique, la création. » Larseneur

Georges Duhamel sait de quoi il parle, lui-même vécut une expérience similaire. Il transpose l’action à Bièvres et confie le soin au narrateur Laurent Pasquier de nous la conter. La « chimérique tentative[2] » eut réellement lieu à Créteil (25 km plus à l’est). Le romancier, lauréat du prix Goncourt (1918), poursuit avec ce livre[3] le cycle des Pasquier. Il ne s’attarde pas outre mesure sur le travail des ouvriers imprimeurs improvisés (« Nous regardions, béants d’orgueil, les premières feuilles imprimées s’échapper de la mécanique »), son œil se focalise sur le caractère humain : les chamailleries quotidiennes cessent pendant une fête où l’on entend des poèmes et des airs de Couperin au piano, un « envol » réussi qui fait plaisir. Après la fête, le travail reprend. Ils ont des commandes, « lèvent des lignes », mais des difficultés nouvelles surviennent chaque jour dans cette maison qu’ils sont de moins en moins nombreux à occuper.

Moralité, il est plus facile d’accorder un piano que des caractères !


[1] www.charles-de-gaulle.org Entretien entre le général de Gaulle et Georges Duhamel à l’occasion de la parution du premier tome des Mémoires de guerre (1954). Propos recueillis par Gabriel d’Aubarède.

[2] L’expression est employée deux fois par Marcel Brion dans le discours qu’il prononce le 21.04.1966 à l’Académie française, à l’occasion du décès de Georges Duhamel. 

[3] Le Désert de Bièvres, 5e volume de la Chronique des Pasquier (1937). NB : dans certaines éditions, le rattachement à la Chronique des Pasquier est explicite en couverture.

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Illustration de l’entête: portrait de Georges Duhamel par Benn (Benejou Rabinowicz, dit))(Białystok, Pologne 1905 – Paris, 1989). Musée Carnavalet. Paris

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