Un roman d’Océane Pérona qui traite du viol et de son traitement par la police dont on devrait beaucoup parler car il nous change de ces potages clairs et insipides de la littérature policière sur un si douloureux sujet.
Une brigadier de police : Héloïse, c’est la seule femme du Groupe violence (dans d’autres commissariats on appellera cette unité: violences physiques ou violences intra familiales, avant c’était le groupe des mœurs), mais peu importe la dénomination, ce qui importe c’est le travail qui y est effectué, essentiellement les violences sous toutes leurs formes infligées aux femmes, dont les viols. Et des viols, des formes de viols, il y en a, la législation française donnant une définition beaucoup plus large que celle des autres pays européens.
Ainsi le travail est continu et il est plus que nécessaire d’avoir un certain cynisme, un certain détachement par rapport aux faits, d’avoir donc toujours un certain recul pour essayer de démêler le vrai du faux, le fait de l’interprétation qu’en font les parties. Toutes les victimes ne sont pas victimes, il peut y avoir des mythomanes. La définition ou plus exactement la compréhension du consentement est parfois différente entre les deux « partenaires ». À cet égard les situations sont parfois complexes : qu’est-ce donc qu’un viol conjugal, que faire quand la victime dépose plainte bien après les faits et qu’on a détruit bien des preuves, et que dire quand les faits se sont déroulés bien des années auparavant ? Situation difficile à percevoir que celle de cette femme qui fut violée mais qui couche avec l’auteur le lendemain pour essayer de se prouver qu’elle maîtrise la situation. Les auteurs, pour la plupart, sont persuadés que la femme était toujours consentante vu le charme indéniable dont ils sont persuadés être dotés, même si la fille est en plein coma éthylique lors de l’acte!
Le travail d’Héloïse et de ses collègues est de monter une procédure qui sera transmise au Procureur. Elle ne se fait pas d’illusion, elle connaît la politique pénale du Parquet, beaucoup plus dure depuis que les violences faites aux femmes sont devenues une priorité nationale, mais il y a toujours trop (de son point de vue) de classement sans suite par manque de preuve et autre.
C’est le travail, durant une semaine, d’Héloïse, de Julien, Grégory, Pascal, ses collègues du groupe, qui est décrit dans ce roman d’Océane Pérona, Celles qui peuvent encore marcher et sourire paru aux éditions Julliard. On voit défiler devant eux aussi bien des mères de famille, des cadres dynamiques, des prostituées, des retraités que des étudiantes qui chacunes sont traumatisées par la violence que des hommes leur ont infligées.
Et puis il y a Ophélie, doctorante en sociologie, qui fait un stage de trois mois dans cette unité pour sa future thèse (comme celle d’Océane Perona d’ailleurs!) sur le consentement dans les enquêtes policières pour violences sexuelles). Elle est la « candide » dans ce milieu fermé et porte un regard « objectif » sur les policiers et leur milieu physique du travail. La description qu’en fait l’autrice est à mettre au même niveau que le film « Garde à vue« de Gérard Depardon sur le quotidien dans un commissariat de police. Tout est vrai, vécu au jour le jour : des locaux parfois vétustes et mal entretenus, un système informatique particulièrement défaillant, un logiciel de prise de plainte le LRPPN (il n’y a que ceux qui connaissent la police de l’intérieur qui en ont entendu parler) totalement inadapté au travail d’une sûreté urbaine. Pareillement une lutte sourde entre les différents groupe avec les « seigneurs », la lutte contre les stupéfiants dont l’action est très médiatisée (un kilo de cocaïne et quelques centaines de milliers d’euros sont bien plus photogéniques qu’une culotte souillée). Et puis une hiérarchie perçue comme trop lointaine même si c’est faux, des policiers passéistes, nostalgiques de la police d’avant, celle qu’ils ont connue lors de leur jeunesse (n’est-ce pas une forme de refuser de vieillir?), le silence, l’omerta qui peut exister quand un collègue « dérape ». Silence de la victime qui craint d’être ostracisée, voire sa carrière bloquée : dans la police comme dans bien d’autres endroits la règle non écrite : « surtout pas de vague » est encore appliquée ! Soyons honnêtes, il y a une certaine évolution à ce niveau dans l’institution : le rôle des syndicats, les jeunes générations qui ne sont pas prêtes à supporter les mêmes choses que les anciens font que la parole se libère (un peu) et que des actes en interne qui n’avaient aucune conséquence, font de plus en plus le quotidien des conseils de discipline allant jusqu’à la radiation de l’auteur. Ce que trouve Ophélie, un fait bien caché par les policiers, vaudrait l’exclusion de l’auteur de nos jours. Et c’est normal. Maintenant, ne nous faisons pas trop d’illusions, les plaintes en interne sont encore trop rares.
Héloïse est une solitaire dans sa vie privée, elle s’investit totalement dans son travail. Son passé, celui de sa mère explique en grande partie son investissement.
Enfin, j’ai envie d’écrire, un roman sur la police qui n’est pas rempli de lieux communs, d’un mélange plus ou moins fantasmé de réalité et de feuilletons français et américains. La description d’un service de police, de son fonctionnement, de cette impression d’être une Danaïde, le cynisme apparent de certains qui n’est que le moyen qu’ils ont trouvé pour ne pas être ravagés par les horreurs qu’ils voient au quotidien, les doutes qui les assaillent, les moyens dont ils disposent et j’en passe.
Celles qui peuvent encore marcher et sourire nous mène dans une immersion totale dans le quotidien d’une unité de police dédiée aux violences faites aux femmes. C’est un des aspects de la politique de lutte contre ce fléau. On est loin des « y-a-qu’a-faut-qu’on » que les médias sous toutes leurs formes véhiculent quotidiennement. On est loin de la théorie, mais on plonge dans le quotidien, dans un marais puant d’où les résultats ne peuvent être obtenus que par le total investissement des acteurs y travaillant et qui méritent toute notre gratitude.
Celles qui peuvent encore marcher et sourire est plus qu’un roman, c’est un vrai témoignage, objectif et donc urgent à connaître.
Celles qui peuvent encore marcher et sourire
Océane Pérona
éditions Julliard. 20€
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