La Poste française s’honore par la qualité de ses productions philatéliques, le raffinement des timbres qu’elle émet, des gravures, chalcographies et impressions de ses vignettes. C’est devenu une tradition, et quelle belle idée, de célébrer les chefs d’oeuvre patrimoniaux français de l’histoire de l’art par la réalisation de timbres, et si comme chacun sait Paris ne peut pas être mis en bouteille, La Poste réalise toujours de petits exploits tout à la fois techniques et artistiques dans la reproduction de ces peintures (le plus souvent) ou autres oeuvres d’art réalisées sous forme de timbres.
Car effectivement puisque ceci n’est pas une pipe, ce que l’on voit en timbre c’est une réduction d’une oeuvre, et les graveurs opèrent là un travail remarquable. Ainsi tel est à nouveau le cas pour ce nouveau timbre consacré au Radeau de La Méduse, gravé par Pierre Albuisson, oeuvre célébrissime de Théodore Géricault que nous avons récemment commenté dans WUKALI. Il sera mis en vente le 3 juin 2024.
Un peu d’histoire tout d’abord
Le naufrage de la frégate coloniale la Méduse au large des côtes de l’actuelle Mauritanie, le 2 juillet 1816, secoua la France de la Restauration. Des quelque 150 passagers et membres d’équipage réfugiés sur un radeau de fortune, remorqués par des canots puis abandonnés par ordre du capitaine Duroy de Chaumareys, moins d’une quinzaine avaient survécu. Au total sur ce radeau y furent embarqués 120 soldats, 15 matelots et 8 civils et parmi eux une femme. Nous avons évoqué les acteurs de ce drame dans notre article consacré à ce sujet.
Ce drame a été immortalisé par Théodore Géricault (Rouen 1791-Paris 1824) dans l’une des peintures les plus célèbres du Louvre, Le Radeau de la Méduse, révélé au Salon de 1819. L’oeuvre interroge tout d’abord, choque, trouble et le public français, celui du Salon, ne considère que le fait-divers, incapable ( inculte) de considérer le chef d’oeuvre pictural, l’oeuvre donc. Incapable donc comme dans d’autres temps ou lieux d’autres se scandalisèrent devant la Mort de la Vierge du Caravage (1600) ou le Boeuf écorché de Rembrandt (1655). Le mot «réalisme » est un mot d’imbéciles. Et nous ne traitons là que de peinture, que de dirions-nous s’agissant de littérature, Sade, Flaubert, Baudelaire, Zola, Mirbeau, Beauvoir… et nous pourrions poursuivre !
À ses débuts, Géricault se consacre à la peinture de chevaux, sa passion, et aux thèmes militaires. De retour d’Italie à l’automne 1817, il est en quête de nouveaux sujets d’actualité. L’atroce assassinat de l’ancien magistrat Fualdès, à Rodez (il a été égorgé et son corps fut jeté dans les eaux de l’Aveyron) , lui inspire l’idée d’une grande composition, finalement abandonnée. Pour sa première œuvre d’importance, c’est l’affaire de la Méduse qu’il retient, fasciné par le récit de deux survivants.
Plutôt que le naufrage de la frégate, il représente le radeau et ses passagers, abandonnés en pleine mer. En haillons, les uns agonisent parmi les cadavres, d’autres se redressent, apercevant un navire, leur dernier espoir de survie.
La composition est mise au point grâce à des figures de cire disposées sur une maquette du radeau, fabriquée à la demande de Géricault par l’ancien charpentier de la Méduse. Transformant son atelier en annexe de la morgue, l’artiste peint d’après nature des têtes et des membres coupés, observe à l’hôpital les ravages de la maladie. Sur la côte normande, il exécute des études de ciel et de mer. Épique et terrifiante, l’œuvre finale, de 7 m de long, dérouta le public de 1819. Vision tragique de la destinée humaine, elle s’est imposée comme l’une des œuvres majeures du romantisme, à la portée universelle.
Analyse comparative
On ne peut manquer de penser en observant la représentation de cette tragédie humaine et principalement dans la vision qu’en veut donner Géricault à la comparaison avec une toute autre oeuvre bien entendu différente et surtout totalement étrangère aux univers réciproques qu’est La Vague d’Hiroshige peinte en 1831. En effet cette oeuvre du peintre japonais Utagawa Hiroshige 歌川広重 (1797-1858) connue aussi sous l’appellation de la Grande Vague de Kanagawa 神奈川沖浪裏, (Kanagawa-oki nami-ura), outre cette impressionnante vision inspirée et lyrique de la vague proprement dite montre au centre et sur la partie droite d’une part le Mont Fuji et des marins souquant dans une frêle embarcation drossée violemment par les flots. Soulignons tout d’abord la différence de temps qui sépare ces deux peintures, pour l’une celle de de Géricault 1819, pour la Vague d’Hiroshige l’oeuvre est plus tardive à savoir 1830 ou 1831. De ce que nous pouvons savoir, Hiroshige n’a jamais eu à connaître ce tableau de Géricault, or son génie, qui est aussi celui de la mise en page pour utiliser un vocabulaire commode, positionna le Mont Fuji puis l’esquif avec ses rameurs dans deux points stratégiques, psychologiques aussi. Le Mont Fuji, cette force tranquille, cette sérénité et cette puissance, ce mystère matriciel de la société japonaise, cette référence, puis les rameurs, poussière humaine luttant sur l’océan menaçant et agressif, se débattant contre les éléments déchaînés de la Nature. En d’autres termes une espèce de métaphore du Japon, pensons aujourd’hui à la catastrophe de Fukushima.
Il est en tout cas intéressant de considérer du point de vue purement intellectuel comment deux mondes étrangers l’un à l’autre peuvent se rencontrer, se rejoindre, fusionner, s’enrichir mutuellement par une certaine force du Destin. C’est le sens même de l’histoire de l’art. Nous pourrions élargir ce propos, mais c’est un tout autre domaine, à celui de la physique et de l’astrophysique !
Plus que jamais, comme certains chroniqueurs et historiens d’art dans WUKALI aiment à en parler, on peut évoquer ici dans ces peintures le centre psychologique. Cela éclate de façon subliminale dirions-nous aujourd’hui, et serais-je tenté de préciser conscient de l’anachronisme du propos, de façon totalement psychanalytique. En effet, et il faut des yeux d’épervier pour le voir sur le tableau et bien qu’il soit d’une dimension large et hors du commun, les naufragés regardent avec désespoir au loin sur la droite un voilier qui s’éloigne ignorant du drame qui se déroule.
Pour survivre, les naufragés se livreront au cannibalisme, ils manquent en effet de tout, d’eau pour lutter contre la soif pour commencer, insupportable paradoxe dans cet univers liquide, et de nourriture bien entendu. Il n’y aura que 15 hommes qui échapperont au drame mais 5 d’entre eux ne survivront pas et l’on ne connaitra la vérité atroce que bien plus tard .
Un petit timbre, un moins que rien, un brimborion et le monde reprend vie
Nous étions partis vers le grand large, vers la mer cette Oceano Nox cruelle, revenons à ce rêve minimaliste et d’excellente facture du timbre célébrant le Radeau de la Méduse de Théodore Géricault. Ainsi l’art est au coeur de l’humanité et si des vents mauvais semblent nous en éloigner, inconsciemment et de façon transcendantal tout nous y ramène, espérons-le tout du moins !
Création et gravure : Pierre Albuisson
Impression : taille-douce
Format du timbre : 52 x 40,85 mm
Présentation : 9 timbres à la feuille
Tirage : 610 200 exemplaires
Valeur faciale : 2,58 € Lettre Verte 100 g
Conception graphique timbre à date : Aurélie Baras
Création et gravure Pierre Albuisson, d’après l’œuvre de Théodore Géricault, d’après photo de Luisa Ricciarini / Bridgeman Images.
Article accessible en Anglais en cliquant sur le drapeau anglais ou tout simplement en utilisant ce lien: https://wukali.com/en/2024/06/01/french-post-issues-a-stamp-celebrating-gericaults-raft-of-the-medusa/31093/
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