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Fatou Diome écrivaine et femme libre

par Philippe Poivret

On savait ou au moins on devinait que le milieu littéraire était loin d’être un milieu de bisounours. On savait aussi que tous les romans, essais ou recueils de poésie font l’objet d’une relecture. On sait aussi et on devine sans peine, que celle ou celui qui est là pour valider la publication au nom de l’éditeur ne se prive pas de tailler, corriger, adapter l’écriture d’une autrice ou d’un auteur pour la faire coller à ce qui lui parait être conforme à ce que les lecteurs attendent. Sûr que ça doit agacer celles et ceux qui soumettent leur manuscrit. Mais ce que raconte Fatou Diome dans « Le verbe libre ou le silence » est un vrai cri de rage contre une correctrice qui, telle un jockey qui cravache sa monture, et prétendant avoir les meilleures intentions du monde, réécrit et taille dans quasiment tout. Et au bout du compte, Fatou Diome ne reconnait plus son travail. Alors à la fin, c’est elle qui congédie la relectrice et change d’éditeur. Ce qui fera rêver celles et ceux dont les manuscrits ont toujours été refusés.

Mais Fatou Diome est une écrivaine reconnue, dont les ouvrages ont été publiés depuis plus de vingt ans. Dont acte. Même si elle la raconte avec force détail, la rupture avec son précédent éditeur n’est peut-être pas ce qu’il y a de plus intéressant dans cet essai. Parce qu’il s’agit bien d’un essai dans lequel elle explique et parle longuement de son travail d’écrivain. La façon dont elle gère cette rupture a un caractère quasi anecdotique pour le lecteur même si, pour elle, c’est un moment très important dans sa carrière d’auteure et aussi dans sa vie personnelle. 

La littérature donc, comment Fatou Diome comprend-t-elle sa place dans la vie ? « L’écriture, c’est l’autre gloire que le Seigneur a laissé aux artistes pour imiter, magnifier, retoucher, surtout colmater sa création » Pas étonnant après ça qu’elle affirme que la littérature a un caractère sacré. Dès le prologue la littérature a une place essentielle, elle colmate en effet, et la plume de l’écrivain devient le caducée du poète. « On fraternise pour l’art comme les fidèles pour la communion » On ne saura pas si elle a la foi ni si elle est fidèle à un Dieu, il n’empêche qu’elle écrit que « toutes les liturgies me conviennent, tant qu’elles restent œcuméniques et ne font de mal à personne » Affirmation que l’on peut partager ou non mais qui a le mérite de placer la tolérance et le vivre ensemble à la première place. 

Femme, africaine, elle a eu à supporter bien des malentendus. Très sensible à ses origines sénégalaises, elle qui est née en France et a longtemps vécu à Strasbourg, ne supporte pas la condescendance ni la supériorité, surtout quand elle est bienveillante. L’échange avec un professeur bien connu est vif quand elle lui répond vertement lors d’un colloque, à lui qui avait comparé les écrivains africains à des cochons élevés en Belgique et vendus comme jambon de Parme, que : « votre ressemblance avec le cochon est plus probante que celle que vous nous supposez avec lui » On imagine la tête du professeur en question, vivement remis à sa place et renvoyé à ses chères études alors qu’il se croyait au-dessus de tous les autres participants. L’humour n’est pas la dernière des qualités de Fatou Diome qui, connaissant bien les fromages alsaciens nous confie que « dans le milieu littéraire les mauvaises pratiques sont comme le Munster d’Alsace, même quand vous n’en voulez pas, l’odeur se répand et n’épargne aucune narine » Injuste pour le munster mais bien dit !

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Qualifiant sa plume de fauve, couleur qui, dans le cas d’une plume d’oiseau évoque une forte spiritualité, Fatou Diome défend farouchement le statut de l’écrivain. Il est hors de question de signer des contrats dans lesquels les éditeurs se taillent la part du lion. Il est tout aussi hors de question de participer à des rencontres et présentations de livre sans honoraires. Utilisant souvent la métaphore de la barque pour décrire son parcours, elle prévient qu’un coup de rame pourrait rapidement arriver sur la tête de celle ou de celui qui voudrait exploiter son talent littéraire ou celui d’une ou d’un de ses collègues. De nos jours, les autrices et auteurs ne réussissent plus à vivre de leur plume. Il leur faut tenir des conférences, animer des ateliers d’écriture, participer à de multiples rencontres ou intervenir en milieu scolaire. Et à monter sur scène, ce qui est maintenant relativement fréquent alors que la génération précédente a vécu de l’enseignement et aussi grâce à des traductions. Il suffit de penser à Philippe Jaccottet ou à Yves Bonnefoy.

Se revendiquant proche de la Weltliteratur de Goethe, Fatou Diome refuse d’être considérée comme une auteure africaine. Pour elle, il n’y a pas, ou il ne devrait pas y avoir de littérature africaine. Il y a une bonne et une mauvaise littérature, la bonne étant celle qui s’adresse à tout le monde et dont l’origine n’implique ni l’importance ni le style. La plume doit être libre et n’accepter aucune contrainte ni aucune forme qui pourrait être liée à ses origines. Romancière, elle parle aussi de la poésie qui apparait « chaque fois que l’esprit se défait des œillères du réel et s’éloigne de la vase » Mais c’est à la prose que son travail, son œuvre sont dédiés. « Le texte est d’abord la résonnance d’une musique intérieure, avec l’acoustique unique à l’âme qui la compose. » 

 « Le verbe libre ou le silence ». Le titre exprime parfaitement l’idée du texte. Soit Fatou Diome écrit ce qu’elle veut sans que personne ne vienne d’autorité changer un seul mot de son texte, soit elle n’écrira plus et ce sera le silence. D’une grande exigence, son livre nous introduit dans le milieu littéraire qui n’en ressort pas avec un portrait flatteur. Des textes volontairement courts qui ne sont pas écrits par celle ou celui qui les signe, des injonctions face à ce qu’il faut bien appeler un marché, voilà ce qu’elle refuse.

Et tout cela ne l’empêche pas de dire : « a-t-on trouvé mieux qu’un sourire comme destination ? » Belle conclusion. Nous attendrons le prochain livre de Fatou Diome en appliquant votre souhait au mieux. 

Le verbe ou le silence 
Fatou Diome
 
éditions Albin Michel. 19€90

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