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Les Filles du cerf, destins de femmes dans le Canada du 18è siècle, un roman de Danielle Daniel

par Émile Cougut

Qui de mieux que Danielle Daniel, Canadienne d’origine française, écossaise et algonquine, pour signer ce magnifique roman. Le roman de ses ancêtres, ceux du XVIIIième siècle, l’époque de la colonisation française du Canada, ce moment où deux cultures se rencontrent et où l’une finit par surpasser, non éliminer, mais contenir l’autre dans l’ombre. 

D’un côté Marie de la tribu des cerfs blancs, un groupe d’Algonquins, décimé par une guerre constante avec les Iroquois. Elle y a perdu l’amour de sa vie et leurs deux enfants ont été enlevés. Elle vit seule avec son passé, détient bien de la sagesse de la tribu aussi bien au niveau spirituel que médicinal. De l’autre Pierre, un soldat, un homme hanté par son passé en France, mais un chrétien profondément croyant. Lui est amoureux de la jeune femme, elle se sacrifie pour le bien de la tribu et finit par accepter de l’épouser. Le couple s’est installé pour travailler la terre, de leur union naitront sept enfants, tous survivront. L’ainée est Jeanne, une très belle fille, indépendante, proche de la culture maternelle.

Mais Jeanne est amoureuse, amoureuse de la fille d’autres colons, Joséphine. Amour impossible, non pour Marie, pour qui, dans sa culture, l’homosexualité est plutôt une bénédiction, mais pour l’église catholique qui y voit une horreur, un péché mortel. Amour impossible qui ne peut pas bien finir.

Ce roman est un grand cri de souffrance où la Beauté est toujours présente. Nous sommes dans une culture, celle de nos ancêtres, très différente de la nôtre. Il ne faut pas la critiquer, elle fut, le tout c’est de la connaître pour ne pas retomber dans ses errements. Et il y en a eus ! Une constante : l’intolérance, doublée du sentiment de supériorité de l’homme blanc. L’intolérance religieuse à cette époque où la religion rythmait le quotidien de toutes les personnes. Tout ce qui n’est pas conforme aux dogmes catholiques est l’œuvre du diable et il faut le combattre. Cela peut nous horrifier, les Lumières sont passées par là, mais nous ne pouvons pas nier leur sincérité. Ils ont fait du mal, beaucoup de mal, mais avec la certitude de faire du bien. Alors, il faut faire semblant, accepter les us et coutumes induits par cette religion, faire semblant sans renier ses croyances. Marie accepte le mariage religieux, le baptême de ses enfants, mais reste toujours la dépositaire du savoir de ses ancêtres. Ce savoir lié à la nature, à la terre. Les Blancs exploitent la nature et la détruisent, alors que les autochtones la respectent, ne prélèvent que ce qui leur est utile pour vivre. Le superflu, la consommation, l’idée d’être de plus en plus riche sont totalement absents.

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Que dire du « racisme » culturel des Blancs. Ils sont si certains d’être supérieurs que les autochtones n’ont pas les mêmes droits (par exemple ils ne peuvent hériter) ; les autochtones et les métis. Nous ne sommes pas loin des théories de la pureté du sang ! 

Il ne faisait pas bon d’être femme à cette époque (et en plus quand on était une native ou une métisse), elle est totalement soumise à l’homme, à son homme, elle est obligée même de se marier sous peine d’amende. Elle est une « non-personne » de droit, ne peut pas vivre libre, où alors à un prix si élevé que bien peu osent l’être et le plus souvent succombent sous les coups de l’homme.

Pour autant, ces femmes ont fait preuve d’une immense force de caractère, une « résilience » comme l’on dit de nos jours. Ainsi ont-elles su se soumettre, du moins en apparence, mais surtout transmettre aux générations qui leur succèdent, un savoir pluri-millénaire. Il ne faut pas le mythifier, par bien des aspects la violence sociale était présente (il suffit de voir les guerres continues entre les tribus), mais leur rapport avec la nature était bien plus harmonieux que ce qu’il est devenu. Nous sommes loin de la société de consommation, loin de l’individualisme et de l’égotisme dans lesquels baignent nos sociétés occidentales.

Autre temps, autres mœurs. Danielle Daniel est l’héritière de ce choc culturel, elle a, en elle, aussi bien le savoir, les croyances de Pierre que de Marie et elle nous restitue, nous peint leur époque avec un style limpide, poétique, rempli de tendresse et d’affection.

Marie, Jeanne, Pierre, sont des personnages vivants, nos ancêtres qui ont vécu, furent heureux, malheureux, mais sans qui nous ne serions sans doute pas !

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