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Mes amis. La Lybie, l’exil, Londres, un roman d’Hisham Matar

par Philippe Poivret

Hisham Matar a intitulé son livre Mes amis. Et c’est bien de l’amitié dont il s’agit mais en toile de fond, et donc dans tout le roman, il s’agit d’explorer et de raconter la vie d’un exilé. Un jeune libyen en l’occurrence, qui va aller étudier puis vivre à Londres. Hisham Matar met en scène un adolescent, Khaled, né à Benghazi. Il réussit à avoir une bourse pour aller en Angleterre. Pourquoi l’Angleterre ? Parce qu’il a entendu à la radio une nouvelle écrite par un auteur libyen inconnu, lue par un journaliste libyen installé là-bas. Cette nouvelle, dont la lecture remplace le journal parlé, va changer le cours de sa vie. Elle décrit parfaitement, mais par simples allusions, la situation de la Lybie alors sous la dictature féroce de Kadhafi

Khaled part à Londres, quitte sa famille et se retrouve dans une ville totalement inconnue dont il ne maîtrise pas parfaitement la langue. Il va apprendre vite, trouver des soutiens matériels et se faire quelques relations. 

Le 17 avril 1984, une manifestation est organisée devant l’ambassade de Lybie pour protester contre l’exécution, la veille, de trois opposants politiques. Des coups de feu sont tirés depuis l’ambassade entraînant la mort d’une policière anglaise et blessant onze manifestants. Hisham Matar situe son héros, Khaled, au milieu de cette manifestation qui a réellement eu lieu avec les conséquences que l’on connait. Khaled est blessé. Transporté inconscient dans un hôpital, il sera soigné et sortira quelques temps après avec son voisin de chambre, Mustafa, qui, lui aussi compte parmi les blessés. Khaled en fera son ami et ils deviendront très proches 

Quels sont les risques pris par les manifestants. En valaient-ils la peine ? Khaled se pose bien des questions d’autant plus qu’il sait que, parmi les étudiants libyens, il y a ceux qui étudient, ceux qui ne font rien et ceux qui surveillent et ne sont que des mouchards. Comme tout se sait dans le petit monde des étudiants libyens, il sait que désormais il ne pourra plus parler librement au téléphone à sa famille et qu’il ne pourra pas non plus rentrer en Libye sans mettre ses proches en danger. Khaled s’éloigne de sa famille, physiquement mais aussi mentalement. Son père qui lui a mille fois répété qu’il est « presque toujours préférable de laisser les choses se faire » ne comprendra plus jamais son fils qui devient petit à petit anglais sans cesser d’être libyen. 

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Le deuxième ami qui compte pour Khaled n’est autre que l’auteur de la nouvelle qu’il a entendue à la radio à Benghazi. Il s’appelle Hocham Zowa mais n’a plus rien écrit depuis cette nouvelle. Il ne réussit pas à en écrire d’autres et se retrouve bloqué dans sa carrière d’écrivain. Khaled le rencontre par hasard à Paris, lui confie son admiration pour cette fameuse nouvelle et apprend à le connaître. Ils deviennent amis très vite. Si Khaled trouve finalement sa place en Angleterre en devenant enseignant, Hocham ne parvient pas à faire vivre ensemble ni dans son cœur ni dans son esprit son pays d’accueil et la Lybie. Au décours d’une discussion avec son ami, il lui confie que « pour un écrivain, l’exil est une prison ».

Les trois amis, Khaled, Mustafa et Hocham vont voir arriver le printemps arabe en Lybie en 2011 Tous les trois se posent la question du retour au pays pour participer à la lutte contre le régime. Mustafa, qui dirigeait une grosse agence immobilière à Londres abandonne tout et retourne en Lybie. Hocham et lui partent sans hésiter mais Khaled décide de rester et il explique pourquoi : « je ne peux pas retourner là où je voudrais retourner, car l’endroit et moi avons changé, et ce que j’ai construit ici est peut-être modeste, mais ça m’a coûté tout ce que j’avais et j’ai peur, si je pars, de ne pas avoir la volonté de revenir » Bien que parfaitement intégré, il se rend compte qu’il ne sera jamais totalement anglais et qu’il n’est plus totalement libyen. Il est entre deux cultures dont on découvre, à la lecture de ce livre, que, finalement, elles ont des points communs et surtout que les aspirations des uns et des autres sont plus proches qu’on pourrait le penser. Vivre en paix avec un minimum de confort est certainement ce dont toutes et tous rêvent. 

Hossam, rentré en Libye est vite confronté à son pays natal et à sa famille. Il écrit dans un mail à Khaled : « quelque chose se brise quand on est parti trop longtemps : les liens, les manières d’être et les jours-les jours eux-mêmes se brisent en deux-et tout le reste aussi que je ne saurais décrire. Et d’autres choses naissent, aussi, mais partager celles-là devient vite délicat car elles ne servent qu’à nous rappeler, à nous et à, ceux que nous avons laissés, tout ce qui a été effacé pour leur faire de la place. »

Hisham Matar profite des pérégrinations de ses personnages pour rendre un hommage à Londres dont le slogan pourrait être « Trouve de l’argent » face à Paris où l’on pourrait dire « Oublie tout, laisse-toi aller ». Les personnages secondaires ont tous leur importance. Le professeur Walbrook est bienveillant pour ses élèves surtout pour Khaled. Les amours des exilés sont compliquées ; il leur faut oublier le pays natal « on dirait que tu es constamment sur le seuil » reproche Hannah à son amant. La société libyenne est tout aussi présente par l’intermédiaire de la famille de Khaled. C’est celle où « l’architecture sociale est conçue avec soin pour permettre à chacun de garder pour soi les choses importantes, de sorte qu’on pouvait connaître intimement un individu sans avoir la moindre idée d’un fait essentiel le concernant ».

Ce qui frappe dans ce roman est l’exposition de la façon dont les migrants qui sont bien intégrés vivent l’exil. Hisham Matar, né à New-York en 1970 d’un père libyen a passé son enfance en Lybie. Son père ; opposant à Kadhafi, a été emprisonné (Cliquer) à la prison Abu Salim. Les dernières nouvelles le concernant datent de 2002, année au cours de laquelle il aurait été vu. Hisham Matar vit à Londres. Mes amis est un roman où, Khaled, le personnage principal parle à la première personne. Il ne s’agit pas d’une autobiographie de l’auteur, même si on aurait tendance à le croire tellement l’histoire racontée aurait pu être la sienne 

Vivre en exil, vivre loin de son pays natal est difficile. Tout le monde le devine ou le sait. « Le temps construit un mur » nous dit Hisham Matar. Et ce mur se construit entre le pays natal et le pays d’accueil, et aussi entre deux cultures. A chacun de savoir le dépasser. 

Mes amis
Hisham Matar

traduction de l’anglais par David Fauquemberg)
éditions Gallimard. 23€50

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