Les filles du Roy, belle invention sous Louis XIV pour essayer de peupler les colonies, enfin, de les peupler de blancs, il y avait trop de noirs en proportion (les natifs ayant été préalablement éliminés du fait des épidémies ou divers massacres, surtout dans les Caraïbes). De fait, nous en avons qu’une image très déformée, essentiellement due à l’abbé Prévost avec Manon Lescaut, et il n’est pas rare, au gré des lectures, que nous trouvions des allusions à ces prostituées, raflées à Paris ou dans les grandes villes du royaume pour les déporter dans les colonies afin qu’on les marie avec des bons blancs.
Il faut dire que quelles qu’elles soient, les susdites colonies étaient avant tout peuplées par des hommes. De fait, ce que l’on sait moins (mais que connait bien Raphaël Confiant), c’est que la majorité de ces femmes étaient avant tout des orphelines de parents inconnus ou décédés et qui étaient placées dans des institutions, comme l’Hôpital des cent-filles à Paris. On sélectionnait celles qui paraissaient les plus robustes et on les envoyait (avec une dot) dans les colonies pour se marier. On ne parle pas d’amour, loin de là, il fallait qu’elles trouvent un mari parmi tous les hommes qui se présentaient, sinon, elles étaient enfermées au couvent. Le but était de peupler ses territoires de bons Français (il y avait même une prime non négligeable pour le dixième enfant…). Comme cela le Royaume serait plus apte à « tenir » ces territoires contre les autochtones restant, les esclaves noirs mais aussi contre les Anglais, Espagnols voire autres Hollandais.
C’est le destin de Marie-Héloïse Levasseur. A quinze ans, elle est sélectionnée et part pour le Canada. Après une traversée plus qu’éprouvante, elle débarque et, ne voulant surtout pas être cloitrée, se marie avec Pierre-Emile, un bûcheron. La vie est loin d’être tranquille dans ce climat froid et rude, la peur d’une attaque des Iroquois et un quotidien difficile. Mais les incursions anglaises font fuir le couple et leur petit garçon. Ils se retrouvent à la Dominique : plus du tout le même climat et les mêmes mentalités. Grâce aux économies de Pierre Emile, ils achètent une petite plantation et découvrent le métier de planteur et les codes régissant les rapports entre les maîtres et les esclaves. Mais Pierre-Emile puis leur fils succombent à la fièvre jaune. Se retrouvant veuve, Marie-Héloïse est plus ou moins obligée de se marier avec son voisin Emilien de Laforgue : un être imbu de lui-même, grand coureur de négresses et géniteur de bien des bâtards qu’il ne reconnait pas. Un homme dur, voire cruel, alcoolique.
Lors d’une révolte des esclaves, Marie-Héloïse arrive à s’enfuir et, est faite prisonnière par les Kalinagros, un groupe d’irréductibles natifs de la Martinique qui se battaient contre les colons. Elle finit par être relâchée et, arrivée à Saint-Pierre, on croit qu’elle est la comtesse de Poissy dont on est sans nouvelle depuis bien des années. N’osant mettre fin à cette méprise, elle se marie une troisième fois avec Monsieur de Blanquefort, un riche propriétaire de l’île, l’un des premiers à cultiver du café. Il est très respectueux d’elle, ravi d’être marié à une comtesse, lui qui vient du Tiers-état. Il n’est pas alcoolique, entretient une « octogone » à Port-Royal, pas plus dur que les autres planteurs avec les esclaves, mais développe des théories très affirmées sur la pureté de la race blanche. Pour lui toute personne ayant une goutte de sang non blanc est un futur danger pour la société, c’est en outre pour cela qu’il est l’un des rares à ne pas avoir de maîtresses noires ou créoles.
Petit à petit, Marie-Héloïse s’adapte à ce nouvel univers, comprend que la vie peut être belle, même si elle n’est pas parfaitement heureuse et qu’il faut accepter ce qu’elle nous offre au quotidien sans passer son temps à ressasser les épreuves du passé. Elle pour qui les sœurs de l’Hôpital des cent-filles lui annonçaient un destin fait d’une errance sans fin, finit par s’arrêter et à accepter son statut de blanche créole.
On ne présente plus Raphaël Confiant un des meilleurs auteurs français en général et martiniquais en particulier. Dans ce roman, il revient sur une partie de notre histoire et de l’histoire de La Martinique quand Saint-Pierre devenait une des plus belles villes des colonies. Il montre une vraie bienveillancepour son héroïne, une femme complexe, traumatisée par les conditions de sa naissance, élevée dans le respect d’une religion dont elle connait et accepte ses codes bien qu’elle soit non croyante. Une femme qui est loin d’être la maitresse du destin qu’elle subit, mais qui fait toujours après chaque épreuve, preuve de résilience. Et puis et puis, il y a tout le talent de l’auteur pour nous décrire la nature, ses couleurs, ses odeurs, celle du grand nord canadien ou bien celle des Caraïbes.
Tout au plus, le lecteur peut regretter que ce roman ne soit pas plus long. En effet on aurait aimé comprendre le déroulement des faits qui font partir Marie-Héloïse de Martinique et son vécu avec les Kalinagros. Mais, de fait, cela n’enlève que peu de choses à cette histoire qui nous fait voyager à cette époque du XVIIIème siècle en compagnie d’une très belle femme du Canada aux Caraïbes.
Marie-Héloïse, fille du Roy
Raphaël Confiant
éditions Mercure de France. 22€
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Illustration de l’entête: Planteur et son épouse (c.a1780). Agostino Brunias (1728-1796) Yale Center for British art.