En 2014 (dix ans déjà), j’écrivais au sujet de la Merde d’artiste de Piero Manzoni estimée en vente entre 50.000€ et 70.000€ (voir article en bas de page). Et puis il y eut la banane de Maurizio Cattelan qui refait actualité. En effet elle va être mise en vente le 20 novembre prochain pour un prix estimé à 1 Million $ c’est ce que vient de déclarer Sotheby’s.
Ce dernier Maurizio Cattelan avait alors fait parler de lui à l’occasion de la présentation à l’exposition Art Basel Miami d’une de ses oeuvres sur les cimaises de la galerie Perrotin. Une banane collée par un Scotch© gris sur un mur, et achetée trois fois par des collectionneurs (Art conceptuel oblige!) pour la modique somme de 120.000 $. Tant de monde à se précipiter pour voir l’oeuvre que la sécurité du stand ne pouvait plus être assurée. (Vous connaissez l’histoire de Till Eulenspiegel (Till l’Espiègle) qui fait le portrait du roi, et du comportement des courtisans? C’est exactement cela !)
Dans la démesure kitsch de l’art contemporain cela eût pu passer« inaperçu», si un artiste de performance et visiteur de l’exposition, David Datuna, n’était allé dans le stand pour décrocher la banane et la manger. Très bonne au demeurant selon lui !
Intervention iconoclaste, pas sûr ! La banane fut immédiatement remplacée ! Mais en fait quelle importance car l’œuvre (nommée «Comedian» par Maurizio Cattelan, c’est en soi tout un titre) ne trouve sa valeur financière que dans le certificat et le bon de commande remis par le vendeur ! L’oeuvre en tant que telle n’existe plus. Une banane, mille bananes, c‘est sans sans importance ! Un art sans âme qui se réplique et se multiplie, un art sans substance, dématérialisé, désincarné, épluché c’est le mot ! Un art permutable, qui fait devenir l’acheteur acteur même de l’oeuvre d’art et oeuvre d’art lui-même. L’absurde n’a plus de limite. Mais est ce encore de l’art, la question ne mérite même pas d’être posée! Qu’on est loin de l’ascétisme qui grandit, ou de la création qui apporte et dispense la joie !
La marche se définit en marchant dit-on, comme le marketing opérationnel qui anticipe et nourrit les cours savants professés dans les écoles de commerce! Mieux encore, les écoles des beaux-arts sont renvoyées aux vieilles lunes! Il suffirait donc d’avoir l’idée, le sens de la communication, de la psychologie, et du commerce, c’est à dire «le marketing», le coup de génie médiatique comme le gibus du grand-père de Betty Boop qui clignote dans les dessins animés. Une idée, et c’est le tour du monde assuré par Facebook et autres X Twitter ou Instagram. Ce n’est plus «My Kingdom for a horse!» mais la gloire universelle, la reconnaissance internationale et les pactoles de dollars pour celui qui déniche l’idée, le concept comme l’on bêle effrontément ! Une translation de l’unique au multiple, de l’intensité au vulgaire.
Cette banane de Maurizio Cattelan, c’est tout simplement la résultante de ce discours menteur, manipulateur et malsain qui fait croire à quiconque qui rédige et publie sur Facebook qu’il est Voltaire qui défend Callas, Mirabeau qui reçoit le marquis de Dreux-Brézé, ou Émile Zola qui écrit J’accuse. Il serait loisible de même manière, de traiter de la musique, de la diplomatie et de quelques sujets de fond que ce soit. C’est d’ailleurs une certaine manière d’être au monde, c’est bien évident, mais n’est pas Mozart, ni Rembrandt qui veut ! C’est ériger le monde en une forêt de mensonges, c’est Trumper la société. D’aucuns ne vont pas l’accepter et s’en offusquer, mais qu’importe, c’est la fascisation de l’art.
Le 20 novembre prochain donc , le « Comedian » passera sous le marteau aux côtés d’œuvres de Jasper Johns, Alex Colville et Cy Twombly lors de la vente du soir de Sotheby’s Now and Contemporary à New York, avec une estimation avant la vente de 1 million à 1,5 million de dollars. La vente aux enchères suivra une tournée mondiale qui débutera par une exposition d’une journée à New York de se rendre dans des villes telles que Londres, Paris, Milan, Hong Kong, Dubaï, Taipei, Tokyo et Los Angeles, selon l’annonce.
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Article de Pierre-Alain Lévy initialement publié dans WUKALI le 11/10/2014
Un de mes bons amis historien d’art, vient de m’envoyer consterné une information sur une prochaine vente aux enchères où sera mis sous le maillet une boîte de merde d’artiste ou pardonnez-moi et pour être plus raffiné et en italien (noblesse oblige!), una merda d’artista signée Piero Manzoni ! Ne m’en voulez pas pour le mot, et je n’ai point pour habitude de m’exprimer ainsi, mais c’est le seul qui vaille!
Pour ceux qui comme moi sont astreints à porter des lunettes, vous avez bien lu ! La maison de ventes Cornette de Saint Cyr dans une vente d’art contemporain Mardi 28 octobre à 19h00 à Paris dans son hôtel des ventes du 6 avenue Hoche, offre à la curiosité collectionneuse des amateurs une boîte de merde ! Pardon una merda d’artista ( décidément !) dont l’estimation avoisine 50.000 à 70.000 €. Dis Tonton pourquoi tu tousses comme ne dirait plus Fernand Raynaud ! Boîte de merde certes, mais signée Manzoni quand même…!
Le ridicule et l’imposture atteignent des sommets et le ridicule a vaincu l’Anapurna moins par le prix proposé que par le commentaire qui accompagne «l’oeuvre» présentée au catalogue. Laissez-moi au plaisir pervers de vous en donner une fidèle et complète citation:
– MERDA D’ARTISTA, 1961 Boîte de conserve et papier imprimé Signée sur l’étiquette originale Porte le numéro tapuscrit 22 sur l’étiquette originale Hauteur: 4,8 cm – 13/4 in. Diamètre: 6,5 cm – 21/2 in. L’authenticité de cette oeuvre nous a été aimablement confirmée par La Fondazione Piero Manzoni, Milan Provenance: – Collection Claude Gilli, Paris Exposition: – Est-ce bien de l’art ?, Abbatiale de Ronceray, Angers. Exposition du 25 juin au 3 octobre 2005 – Gilli & Co, Musée des Beaux-Arts de la ville de Bordeaux. Exposition du 19 mars au 31 mai 2004 Bibliographie: – Est-ce bien de l’art ?, Elisabeth Couturier, Catalogue de l’exposition à l’abbatiale de Ronceray, Angers 2005. Oeuvre reproduite en page 27 de l’ouvrage PIERO MANZONI MERDA D’ARTISTA, 1961 Réalisées en 1961, les Merdes d’artiste sont aujourd’hui indissociables du mystère qui entoure leur genèse et leur destination première.
Si l’on tend souvent à réduire Manzoni à sa drôle de mise en boîte, on aurait tort d’y voir une plaisanterie à part ou une erreur de jeunesse. Non seulement en effet il s’agit d’une oeuvre de maturité (d’un artiste qui certes ne connut jamais l’âge mûr), mais on y trouve, comme digéré et refroidi, tout ce qui a nourri son travail. Le fait artistique, pour Manzoni, est toujours un acte de présence. Entre ses Souffles d’artiste, série de ballons de baudruche sculptés par son propre souffle, et sa performance Dévorer l’art (galerie Azimut de Milan, 1960), au cours de laquelle le public fut invité à manger des oeufs marqués de l’empreinte du pouce de l’artiste, la possibilité d’incarner physiquement l’oeuvre est déjà là. À la lisière du facétieux, la magie n’est pas moins rendue réelle par le pouvoir de la présence et par le désir de faire corps avec la matière. C’est ce principe d’incarnation et de transsubstantiation que les Merdes d’artiste poussent au paroxysme, là où la magie est près de tomber dans la mystification, et la communion dans l’avilissement. Dès lors, l’acte doit devenir pacte pour opérer, tel celui que nous passons ici avec l’artiste en payant à prix d’or la conservation du mystère. Aussi ésotériques que les Lignes tracées sur d’interminables rouleaux de papier puis scellées dans des boîtes cylindriques – comme si nous ne pouvions admettre l’infini sans reliques -, les Merdes d’artiste subviennent donc à notre fétichisme, dont Manzoni a souvent fait la condition d’existence de ses oeuvres. Comme on est parfois tenté de soulever la cape de l’illusionniste, on voudrait en ouvrir une «pour voir» (ce que fit Bernard Bazile en 1989), mais l’on est irrémédiablement freiné par la déception qui ne manquerait pas de s’ensuivre: celle qu’il n’y ait rien, ou autre chose, ou qu’il «y en ait» réellement, et que ça ne vaille plus rien. Peu importe au fond ce que Manzoni nous a concocté, ce qui compte est que nous jouissions du jeu de l’art et que ça nous fasse autant sourire que plaisir. Le plus prodigieux n’est pas tant qu’il soit parvenu à «élever au rang d’art», comme le veut la formule consacrée, ce qui est voué à tomber bien bas (Baudelaire changeait déjà la boue en or que Duchamp exposait son urinoir), mais que ce geste contestataire ait finalement répondu aux attentes de ce rang. Avec ces quatre-vingt-dix échantillons de ce qu’un corps d’artiste peut produire de plus «propre», Manzoni réconcilie sans manières l’exigence d’authenticité avec l’oeuvre en série, confronte l’universel à l’étiquette du particulier, et témoigne du pouvoir inviolable de la signature sur la valeur marchande de l’art. Initialement indexée sur le cours de l’or, la valeur des boîtes a d’ailleurs suivi depuis sa propre voie, signe qu’une oeuvre finit toujours par dépasser sa temporalité, aussi faite de quotidien soit-elle. Augustin Besnier.
Bien, voilà, vous êtes venu à bout de cette logorrhée inepte. Je ne sais rien d’ Augustin Besnier, l’auteur de cette présentation, mais ce que je sais c’est que la dignité se perd quand on vend son âme, que le mérite disparait quand on utilise l’essence même de sa culture et de son intelligence au service de causes malsaines et pernicieuses, que le chemin est très court entre ces considérations dites esthétiques et des idéologies noires et criminelles, que tout n’est jamais égal à tout, et que la hiérarchie des valeurs et des talents n’est nullement un diktat imposé par des autorités despotiques, que le suivisme, l’esprit grégaire voire la pose libertaire ne sont pas des considérants d’appartenance où s’expriment avec subtilité la liberté de pensée, et surtout que la première, oui, bien la première des libertés, c’est celle de dire NON !
L’autre imposture, c’est le prix, estimation à 70.000€. Sachez que l’oeuvre ( excusez-moi je tousse encore!) qui il va de soi a été produite en série ( nous vivons une ère industrielle n’est-ce-pas!), et qu’une boîte de merda a dans le passé, en 2007 été adjugée pour 120.000 euros…La vente de cet objet, tout comme sa conception même sont au demeurant absurdes!
Dans cette histoire qui faut-il le plus incriminer, le commissaire-priseur, la maison de ventes aux enchères ? Certainement pas non! Ils ne font office que d’intermédiaires, et si ce n’étaient eux, ce seraient de toute manières d’autres qui effectueraient la vente à leurs places. Le monde des ventes aux enchères des oeuvres d’art est comme celui de la police, mise à part le fait qu’ils ont les uns et les autres en partage sémantique des commissaires, ils ne sont que les témoins d’une société, le parfait reflet contemporain de nos moeurs et de nos manques, le miroir dans lequel il nous faut nous regarder!
En 1917, Marcel Duchamp, inventait les« ready-made», et son urinoir défrayait la chronique. C’était rappelons-le car c’est très important, en 1917, quand la jeunesse d’Europe était fauchée, gazée, massacrée, décimée par millions en France dans la Somme ou dans l’Aisne, quand le dadaïsme venait à peine de naître. Ensuite, surréalisme, abstraction et art conceptuel plus récemment, vinrent porter leurs visions du monde. Le temps a passé, un siècle depuis Duchamp et ses amis du café Voltaire! Il serait bel et bon d’intégrer tout cela.
Le terme art contemporain est au coeur de batailles sémantiques dont l’alacrité n’a d’égal que le vide qui les anime. « Plus le mensonge est gros, plus il passe» disait Goebbels, il faut reconnaître de façon analogue que le prix de vente d’une oeuvre d’art, plus il est élevé, voire monstrueusement élevé et inepte, plus il agit de façon hypnotique sur l’idée que l’on s’en fait. Il faut bâtir des cathédrales du XXème siècle disait André Malraux qui avait inventé l’idée des Maisons de la culture à la française. Aujourd’hui, des musées d’art contemporain poussent presque comme des champignons de couche un peu partout à travers le monde. C’est une excellente et recherche des boucs émissaires chose mais il faudrait aussi en amont encore plus de bibliothèques, d’universités, de professeurs et de maîtres pour enfin saisir ce que le bon Rabelais appelait la substantifique moelle et percer le coeur du monde, de l’intelligence et de l’homme et donner du sens à la vie.
Aujourd’hui Damien Hirst vend en millions de dollars ses veaux disséqués et conservés dans le formol tandis que Maurizio Cattelan suspend des hybrides d’âne ou provoque en installant une statue d’Hitler en enfant agenouillé au coeur de ce qui fut le ghetto de Varsovie !
Le discours contre l’argent est profondément ancré dans un inconscient culturel et religieux qui n’est jamais loin et recherche des boucs émissaires à son ignorance. La translation du religieux au profane dans ce domaine s’est effectuée à partir du dix-neuvième siècle vers les milieux progressistes en rupture avec la société industrielle. Aujourd’hui n’ont-elles jamais envisagé ces bonnes âmes vertueuses et anticapitalistes dans leur propagande partisane de mener des batailles d’idées contre le sport de masse tel le football par exemple dont on sait parfaitement les dérives avec l’argent-roi et l’on pourrait poursuivre sur maints autres sujets, non n’est-ce-pas, mais passons je sors du domaine de l’histoire de l’art ! Ce n’est pas l’argent qui est en cause mais l’objet de sa destination.
A ce discours en colère, d’aucuns j’en suis sûr vont applaudir des deux mains car ils voient dans ces dérives financières une façon commode pour eux d’attaquer le système capitaliste dont ils se posent en adversaires, et dans mon irritation, un motif d’activisme. Mais ils n’ont pas davantage raison! Pareillement, ils se drapent de morale et de vertu et l’on connait au vingtième siècle où cela a pu aussi mener ( et je pense aux Khmers rouges ou à la Bande à Baader et autres épigones). Ils se trompent bel et bien! Le capitalisme en effet n’est pas le fruit pourri qui gangrène la récolte. Il existe depuis des siècles et s’est cristallisé à partir de la Renaissance. C’est lui, le capitalisme, qui a permis au Médicis, aux Visconti, aux Sforza, de devenir les mécènes de leur temps et c’est très bien ainsi.
Plus récemment au dix-neuvième et vingtième siècle aux marchands d’art Durand -Ruel, Ambroise Vollard ou aux riches collectionneurs américains de soutenir les plus grands peintres. C’est grâce au banquier Rockfeller ne l’oublions pas que le château de Versailles a pu être restauré entre les deux guerres et sauvé.
Ramasser tout un discours dans ce que certains nomment un concept, c’est ce que fait Piero Manzoni, franchement c’est un peu court et surtout démagogique. C’est bon pour les marchands du temple peut-être mais délétère sur l’image même que rend notre société. C’est un fumet pour le moins infect et épouvantable, il ne faut pas pousser quand même… Tirons et fermons la porte…!
Pierre-Alain Lévy
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