S’il est un nom qui évoque l’extrémisme religieux, c’est bien celui de Jérôme Savonarole, né le 21 septembre 1452 à Ferrare en Emilie Romagne et mort en 1498 à Florence, pendu et brûlé sur la place de la Seigneurie, en face du Palazzo Vecchio, la plus grande place de la ville. Sa condamnation et les deux bûchers des vanités qu’il a organisés, en 1494 et en 1498, ne sont pas pour rien dans sa sinistre réputation. Mais est-elle justifiée ? A lire « Savonarole L’arme de la parole » de Jean-Louis Fournel et Jean-Claude Zancarini, il semble bien qu’il faille réviser ce jugement hâtif et peu motivé. Ces deux auteurs, italianistes de longue date, se sont plongés dans les sermons de ce religieux et dans tous les textes et témoignages de l’époque pour brosser un portrait différent de celui couramment admis.
Qu’en est-il donc ? Moine dominicain, il était dans ses attributions de prêcher la bonne parole et de diffuser l’Evangile. Doué d’un talent oratoire indiscutable propre à séduire, convaincre et imposer ses vues à celles et ceux qui l’écoutaient, Savonarole a acquis très vite une grande audience puis une toute aussi grande influence dans la cité des Médicis. Arrivé en 1490 à Florence, il meurt huit ans plus tard, condamné à mort après un procès dirigé par un tribunal civil dans lequel il y avait tout de même deux religieux. Lors de son interrogatoire mené au début sous la torture par estrapade (le condamné est hissé en haut d’un mat puis lâché brutalement en évitant qu’il touche terre ce qui disloque les membres supérieurs) il renie ce qu’il avait toujours affirmé : « je suis un prophète et mes sermons sont inspirés directement par la parole divine ». Dès lors, les Florentins, choqués par ce reniement inattendu, lâchent celui qu’ils avaient écouté et suivi depuis huit ans.
Comment en est-on arrivé là ? Prieur du couvent dominicain de San Marco, Savonarole condamne, dès ses premiers sermons les mœurs dissolus de l’Eglise et des religieux de l’époque. Pour les laïcs, ce n’est pas beaucoup mieux. Selon lui, le jeu, le blasphème et la sodomie règnent. Ils forment, pour Savonarole, la trilogie du mal. Elle doit être fermement condamnée dans la cité ce qui va l’emmener à s’immiscer dans la gestion de Florence pour laquelle il défend le statut de République. Raison pour laquelle il voue aux gémonies les Médicis qu’il qualifie de tyrans. Ses sermons, son influence dans la cité participeront à l’envoi en exil de Pierre II de Médicis en 1494.
Pour développer la République, Savonarole propose une gestion de Florence par de multiples comités qui seront conservés après sa condamnation et sa mort. Il souhaite une gestion plurielle de la ville en redonnant aux Florentins un pouvoir certain sur la cité grâce à une représentation dans différents comités. Réclamant une Paix Universelle, il s’inspire de la république de Venise et du statut du Doge. Son interrogation concernera surtout la nomination temporaire ou non du sommet de la hiérarchie civile. Cette ingérence dans la vie de la cité lui sera reprochée, un moine dominicain n’ayant pas vocation à le faire.
Ce qui caractérise frère Jérome, c’est la revendication de son caractère de prophète. En condamnant les mœurs civils et religieux de l’époque, il se réclame d’une parole divine pour prophétiser, si rien ne change, une apocalypse à Florence. Il s’adresse souvent directement à Florence en la convoquant par son nom, pour l’invectiver et lui reprocher son manque de foi. Et l’apocalypse qu’il annonce va se réaliser. Nous sommes au moment de la première guerre d’Italie, en 1494. Les Français feront onze guerres en Italie pendant soixante- cinq ans jusqu’en 1559. Le but de cette première guerre menée par le roi Charles VIII est de récupérer Naples. L’armée française a franchi les Alpes et menace la ville dans laquelle elle va entrer le 17 novembre 1494 après que Savonarole a fait partie de la délégation chargée de mener les négociations. Finalement les Français vont épargner la ville mais les Florentins savent qu’ils massacrent les habitants des villes conquises. Ils sont terrorisés. La ville a été gravement menacée, même s’il n’y a pas eu de saccage, la prédiction de Savonarole a eu lieu. Il acquiert alors un pouvoir religieux qui va se compléter par un pouvoir, ou plutôt une influence décisive dans la vie politique de Florence. Ce n’est pas lui qui va diriger Florence, mais c’est lui qui organise la gestion de la cité et les candidatures aux postes de responsabilité.
Progressivement les choses changent. Les prédictions de Savonarole ne se vérifient pas toutes et le doute finit par rentre dans les têtes. Il s’en tire en expliquant que le temps de Dieu n’est pas celui des hommes et que ses prédictions se réaliseront mais plus tard. L’argument est faible et ne convainc pas. Le pape lui-même, qui n’est autre que Alexandre VI Borgia, se méfie de ce moine que toute le monde écoute et suit. Ses sermons sur l’état de l’Eglise ne sont guère appréciés à la Curie, et pour cause, et il ne fait rien pour arranger les choses. Obstiné, têtu, persuadé d’avoir toujours raison, Savonarole ne fait aucune concession. Il a de puissants ennemis à Florence et petit à petit ceux-ci prennent le pouvoir dans les différentes instances qu’il a lui-même mises en place. Pierre de Médicis qui intrigue pour revenir en ville a, lui aussi, ses fidèles qui s’opposent à Savonarole. Partisan d’un Mont-de-Piété pour aider les plus pauvres, le moine dominicain s’oppose à la communauté juive alliée de Pierre de Médicis. Tous deux refusaient la mise en place de cette maison de crédit. Créer un Mont-de-Piété revenait en effet à chasser les Juifs qui étaient des acteurs financiers de talent, l’Église les confinant dans ces fonctions décriées et alors considérées comme contraires aux Évangiles pour les chrétiens (cf. Le Marchand de Venise de Shakespeare).
Les ennemis de frère Jérôme finissent par obtenir du pape un bref d’excommunication qui arrive à Florence le 18 juin 1497. C’est le début de la fin. Savonarole ne réussira plus à inverser la tendance. Ses fidèles se détournent de lui, il n’a plus le droit de prêcher et il ne trouvera guère de soutien dans la population. Après une attaque en règle du couvent de San Marco, Savonarole est arrêté. Un procès est décidé. L’issue ne fait guère de doute. Le pape donne l’autorisation d’user de la torture, le verdict est connu d’avance. Savonarole, accompagné de deux de ses compagnons, Domenico da Pescia et Silvestro Maruffi, meurt sur la place publique, pendu et brûlé le 23 mai 1948
Florence s’interroge encore sur le sort et la postérité réservés à un religieux venu remuer bien des consciences et apporter un soutien décisif à sa République. L’appel de Savonarole à une réforme de l’Eglise sera exaucé au siècle suivant avec Luther qui publie en 1517 « Les 95 thèses ». Jean-Louis Fournel et Jean-Claude Zancarini lui redonnent une place importante et qui parait plus juste dans l’histoire de Florence. On suit toute l’évolution de la pensée de Savonarole grâce à une lecture attentive de ses sermons et des différents témoignages qui confirment les écrits qu’il a laissés. Grâce à ces deux auteurs, les textes de Savonarole sont maintenant accessibles dans une traduction qui les rend compréhensibles.
Le couvent de San Marco, où Fra Angelico a peint une Annonciation en haut de l’escalier menant aux 44 cellules qu’il a toutes décorées, a gardé celle de Savonarole, sa chaise, son bureau et un buste le représentant. Son ombre, son souvenir restent présent dans ces lieux qui furent les siens.
Savonarole L’arme de la parole
Jean-Louis Fournel, Jean-Claude Zancarini
éditions Passés/Composés. 24€
Sermons, écrits politiques et pièces du procès Savonarole
éditions du Seuil, 1993. 28€80
Illustration de l’entête: Vénus et Mars (vers 1485) Sandro Botticelli (1445-1510).
Tempera, huile et plâtre sur panneau de peuplier. 69 cm/173,5 cm. National Gallery. Londres.
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