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Le travail d’une plasticienne exposé au milieu du musée de la Toile de Jouy

par Christophe Baillat

Le travail de Karine Bedjidian est actuellement à voir dans les Yvelines dans la charmante petite ville de Jouy-en-Josas, à 20km de Paris. Cette artiste que notre époque n’a de cesse d’interpeller, notamment la relation de l’Homme à la nature, s’est d’abord formée à la peinture à l’huile aux Beaux-Arts de Paris qu’elle intègre en 1996, quand le statut du dessin est encore grandement réduit au croquis préparatoire ou à l’illustration. En tant qu’artiste plasticienne ayant, depuis maintenant plus de 15 ans, recentré exclusivement sa pratique autour du dessin, elle en revendique le statut de medium artistique à part entière à l’instar de la peinture.

Son rapport au verbe

La Bièvre d’Oberkampf,(20×20), graphite et feutre à l’encre de Chine,

Dans ses premières années de formation, ses enseignants, pétris du rejet du verbe, donnaient toute la place aux formes « car nous sommes des plasticiens » : « Dehors, le verbe ! », nous disaient-ils, « Concentre-toi sur la forme ! ». C’est alors le temps des œuvres sans titre (ni signature). Néanmoins, elle continuera en parallèle d’écrire principalement des textes sur son travail. Ce n’est que lorsqu’elle va se consacrer pleinement au dessin, qu’elle va progressivement réintégrer le verbe dans sa création plastique, les outils du dessin (le papier et le crayon) étant aussi ceux de l’écriture. Dès le premier, elle lui donna un titre, non comme un sous-titre que le dessin viendrait illustrer, mais comme un élément sensible venant résonner avec un autre. Mais ce n’est que dans les tout derniers qu’elle s’autorise à faire dialoguer formes et mots au sein même de la feuille, désirant ainsi s’émanciper de tout interdit pour plus librement expérimenter.

Son rapport au temps

À une époque où l’injonction de la vitesse règne, dans sa pratique de la peinture à l’huile, « le médium lent par excellence » puis du dessin – espaces dans lesquels le temps est mis sur « pause » -, Karine Bedjidian fait acte de résistance à la fuite du temps (elle ira jusqu’à dessiner des vanités) et s’offre le luxe de prendre le temps (autant pour concevoir ses projets que pour les exécuter).

Son rapport à l’équilibre et à l’harmonie 

La main et les cheveux des Pinceauteuses,(20×20), graphite et feutre à l’encre de Chine,

« L’équilibre (la répartition égalitaire des proportions) c’est la mort. L’enjeu des plasticiens est ainsi de mettre premièrement en forme un déséquilibre – ce qui s’apparente à une dissonance en musique –, pour tendre à créer une harmonie finale ». Et de citer Ravel (« Dans ses sonates, le compositeur n’a pas hésité à déconstruire une structure très codifiée ») et Bartok dont la dissonance n’est qu’apparente, quand, à la fin de l’écoute, une harmonie s’est créée. En utilisant le format carré dont le caractère parfaitement symétrique pose d’entrée de jeu le postulat de l’équilibre, pour y placer une seule forme, qui, si elle y était parfaitement centrée, produirait alors un équilibre donné d’avance et totalement figé, Karine Bedjidian joue subtilement avec la composition pour ramener du mouvement, de la vie en somme.

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L’exposition de ses œuvres au Musée de la Toile de Jouy a donné à Karine Bedjidian l’occasion d’une réflexion sur les impacts sur notre époque des comportements humains qui se sont développés depuis la première révolution industrielle au XVIIIe siècle. La nature qui fournissait à la Manufacture Oberkampf les matières premières nécessaires, en conditionnait les techniques et inspirait ses motifs des toiles imprimées.

« Ainsi, cette exposition a vocation à nous nourrir du passé pour comprendre le présent et mieux envisager l’avenir ». nous a-t-elle déclaré

«  Car, finalement nous ne faisons qu’un »  au Musée de la Toile de Jouy, en compagnie de l’artiste

Pendant le marché de Noël ce 1er décembre 2024, l’artiste plasticienne Karine Bedjidian – notre guide pour l’occasion – nous révèle les mille et un détails du fonctionnement de la manufacture de Toile de Jouy. Avec ses œuvres, on découvre ce musée autrement. Elles prennent place naturellement dans des cadres posés sur le mobilier des salles d’évocation historique. Dans la chambre de Madame Oberkampf ou le bureau de Christophe, le manufacturier allemand à l’origine de cette industrie qui prospéra à partir de 1760 dans la vallée de la Bièvre et ferma ses portes en 1843

Chaque dessin exécuté à partir d’un fichier numérique (en provenance du musée ou issu de ses propres recherches sur Gallica …) lui a demandé une centaine d’heures. La plasticienne détaille son travail : Il y a « le temps de l’acuité de l’œil jusqu’à ce qu’il parvienne à distinguer les couleurs. D’autant que je ne mélange pas, je les superpose, il me faut sept couleurs différentes pour obtenir un noir. Je dessine au critérium avant de venir poser les couleurs au feutre à l’encre de Chine – le repentir n’est pas possible – sur une feuille de papier carré à grain fin.  J’aime rompre l’équilibre [du format carré] en créant une harmonie par d’autres éléments plastiques ».

Interrogée sur ses maîtres, Karine Bedjidian évoque volontiers Jan Van Eyck (vers 1390-1441), un peintre classé comme primitif flamand qui a un sens de la minutie dans le travail ( Le retable de l’Agneau mystique, présentation de Patrice Mauriès sur YouTube ). Les dessins de son lointain disciple nous plongent dans l’univers de l’industrie manufacturière, qu’il s’agisse des ingrédients utilisés pour la production ou la transformation des toiles de coton (les indiennes), du geste final des pinceauteuses (quel joli mot. Ndlr), ou de l’humble vache dont les excréments servaient à la teinture à la garance. La vallée où coule la Bièvre, qui emprunte à la carte de Cassini levée au XVIIIe siècle, rentre dans le même format aux petites dimensions (20 cm x 20 cm) que les autres dessins, toujours encadrés d’une frise. 

Ce n’est qu’après une recherche menée en collaboration avec l’équipe muséale, suivie d’une lente observation chromatique, que l’artiste (Compte instagram @BEDJIDIAN_KARINE) a prêté sa main à ce travail exécuté sur un an de novembre 2023 à octobre 2024.

L’exposition Car, finalement nous ne faisons qu’un, est à voir jusqu’au 5 janvier 2025
Musée de la Toile de Jouy, 54 rue Charles de Gaulle. Jouy-en-Josas 
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