De nos archives, nous actualisons un article publié le 07/08/2015, et consacré au général de Gaulle.
Juin 1940...La France est battue, écrasée par une armée allemande bien équipée, motorisée, utilisant les techniques de guerre les plus modernes qu’elle a apprises et appliquées pendant la guerre d’Espagne au service de Franco. Son moral est au beau fixe.
En face, c’est tout l’opposé : moral en berne, haut-commandement français se croyant encore en 1914, équipement douteux, insuffisance des blindés mal intégrés par l’état-major…Le généralissime Gamelin vient d’être remplacé par Weygand à la tête des armées françaises, ou plutôt de ce qu’il en reste. Pourtant un certain colonel de Gaulle préconise l’utilisation des blindés. Il remporte même avec sa 4e division cuirassée une victoire contre la Wehrmacht à Moncornet dans l’Aisne.
Pourquoi ? Quand Paul Reynaud, alors président du Conseil [[équivalent à la fonction de Premier ministre aujourd’hui]], vient lui demander d’utiliser les troupes de réserve pour arrêter l’invasion après Sedan, Gamelin lui répond qu’il n’y a pas de troupes de réserve…
Paul Reynaud est un politicien assez brillant, en paroles…Il ne réussira jamais à appliquer concrètement sa politique : c’est un individu versatile, sans réelle volonté… D’autre part, lui et Daladier, qui a signé les accords de Munich avec Hitler en 1938, se détestent cordialement. Leurs tempéraments les opposent mais aussi les femmes avec qui ils vivent : toutes les deux sont des aristocrates qui se haïssent depuis toujours. La compagne de Reynaud sera tuée pendant l’exode….
L’intelligence de Reynaud est certaine : il sait s’entourer de professionnels de qualité, à l’instar de son conseiller militaire qui a préconisé l’utilisation massive des chars dans son livre « Vers l’armée de métier » en 1934. Il s’agit du colonel de Gaulle qu’il fait monter en grade : en pleine débâcle, il est nommé général de brigade à titre temporaire. Malheureusement, il ne l’écoute qu’à moitié et est incapable d’imposer ses vues au Conseil des ministres…
Après Dunkerque (4 juin 1940), les Allemands foncent sur Paris, déclarée ville ouverte par les autorités françaises qui fuient vers le sud…Un parlement-croupion se regroupe à Bordeaux. Tous les députés n’ont pas pu rejoindre l’Aquitaine mais, gouvernement et parlement réunis là sont légaux, quel que soit le nombre d’absents.
Cela figure dans la constitution. Un certain nombre d’historiens ont voulu démontrer le contraire, désirant faire accepter l’idée de l’illégalité de la procédure, mais ils n’ont jamais convaincu: la France de la Troisième république était un état de droit. Ce qui est beaucoup moins normal c’est la situation : le pays vient de connaître la pire défaite de son histoire. La rapidité de l’écroulement de la France surprendra même les Allemands !
Le désarroi est total à Bordeaux…Que faire ? Sous l’influence de Weygand, qui a rejoint la ville, on décide de capituler. Les ordres arrivent aux armées qui se rendent en masse…On verra des divisions complètes rejoindrent en bon ordre les camps de prisonniers…Le maréchal Pétain, le héros de Verdun, dans un discours radiophonique célèbre fait « don de sa personne à la France dans la terrible situation où elle se trouve ». Il reçoit les pleins pouvoirs (16 juin) du parlement et du gouvernement qui disparaissent…
Un siècle et demi de conquêtes démocratiques, lentes et continues, est rayé de l’histoire. L’armistice signé à Rethondes (22juin), dans le wagon où fut signée la capitulation allemande du 11 novembre 1918, est terrible : la France est coupée en deux : zone occupée et zone libre. Paris est sous la botte allemande.
Les frais d’occupation devront être payés par les Français. Le chef de « l’État Français » ( et non point de la République française) et son gouvernement de collaboration s’installent à Vichy.
Insistons sur un point d’histoire qui ne fut jamais clairement expliqué : beaucoup de soldats s’évadent facilement (il y en a tant à surveiller!) et rejoignent leur foyer et leur famille. Ils se déclarent à leur mairie qui leur accorde un petit pécule et leur feuille de démobilisation indispensable à tout retour à la vie civile (sinon ils seraient déserteurs!), à condition qu’ils signent un document certifiant qu’ils ne sont pas juifs… . Or les lois raciales du troisième Reich n’avaient pas encore été mises en place en France sous la houlette complaisante de Vichy et du gouvernement collaborateur…! Et je n’ai jamais lu cette information rigoureusement véridique dans des commentaires historiques sur cette période !
Reynaud est contre la capitulation, il veut continuer la guerre en Afrique du nord, mettre toutes les ressources de « l’Empire français » à la disposition des Britanniques, maintenant seuls face à l’ogre nazi. Il est persuadé que les Anglais ne pourront pas résister. Comme d’habitude, il n’est pas écouté et, cette fois, il démissionne…
Le nouveau général-intérimaire gagne Londres et lance son appel historique à la résistance le 18 juin 1940 à la BBC, deux jours après celui de Pétain. Peu de gens l’entendront.
Ce n’est que quelques jours plus tard que ça se saura en France…
Examinons la situation telle qu’elle se présente: le gouvernement de 1939 est légal puisque créé selon les règles en vigueur, le Parlement a été régulièrement élu, il est légal également. Donc, ils ont parfaitement le droit « constitutionnel » de confier les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. La légalité de Pétain et du gouvernement de Vichy ne peut être contestée…La suite, tout le monde la connaît…
A Londres, Charles de Gaulle, le seul militaire qui a dit non à la défaite, en appelant à la résistance contre l’occupant et à la désobéissance civile face aux autorités de Vichy, devient un rebelle, et plus grave encore : il demande à tous les soldats, à tous les hommes en âge de se battre de le rejoindre ! C’est un appel à la guerre civile du point de vue de Vichy. La conclusion logique sera la condamnation à mort, par contumace, du « général félon ». La légalité politique est du côté des collaborateurs vichyssois, c’est indiscutable. Mais que vaut celle légalité politique quand le pays est occupé, pillé, détruit ?
La France est un vieux pays, le sentiment national est né sur le champ de bataille de Bouvines (1214) où, à l’heure du danger, toutes les forces de la nation se sont rangées sous l’étendard royal de Philippe-Auguste et ont infligé une défaite historique aux ennemis coalisés (Anglais, Flamands, Allemands du Saint-Empire, nobles rebelles français).
Revenons à 1940. Pour en avoir souvent parlé avec d’anciens soldats ayant vécu ces tragiques événements, c’est la rage au cœur que les hommes ont capitulé. De colère, beaucoup ont détruit leurs armes, se sentant trahis par des officiers dépassés, par des généraux incompétents et par des politiciens médiocres ou corrompus. Ils n’ont jamais pu oublier…
La voix du général de Gaulle, si loin en Angleterre, leur disait d’espérer, qu’un jour le pays renaîtrait… Qui aurait pu y croire en juillet 1940 ? Quelques illuminés, et encore… Surtout que la bataille d’Angleterre allait commencer (juillet 1940-printemps 1941) dans les pires conditions pour les Britanniques, qui ont cette faculté particulière d’être les plus grands dans les heures les plus noires…Les grands hommes se révèlent en temps de guerre… Churchill et de Gaulle sont là pour le prouver.
Dans un contexte comme celui-là, et l’histoire a ratifié ce jugement, l’attitude de Charles De Gaulle ( fils d’un professeur de philosophie ultra-catholique), proche de l’extrême droite antisémite, maurassien, monarchiste, général de brigade à titre temporaire formé à l’école de l’obéissance, est, stricto sensu, extra-ordinaire…
Sans le moindre doute sur les valeurs qu’il défend alors, lui qui les pourfendait trois mois plus tôt, sans le moindre doute sur la voie à suivre, comme si tout cela était naturel, il va devenir l’incarnation physique de la République, de la tradition démocratique française et des valeurs héritées de la Révolution de 1789 ! C’est ce qui s’appelle « la légitimité historique ».
Au pays de Voltaire et d’Hugo, le droit du plus fort a toujours existé. Mais qu’il soit imposé par les envahisseurs teutons, c’est la barbarie contre la civilisation. Certains se résignent et attendent des jours meilleurs, d’autres iront jusqu’à la collaboration active avec la création de la LVF (Légion des volontaires français contre le bolchevisme) et le partenariat économique avec les nazis, quelques uns rejoignent de Gaulle à Londres, d’autres créent les mouvements de résistance (Francs-Tireurs Partisans, Forces Françaises de l’Intérieur)…
Quand de Gaulle refuse la proposition de Churchill d’union perpétuelle entre la France et la Grande-Bretagne, il montre sa force de caractère et affirme sa foi en la France éternelle. Il ne changera jamais de discours. Il en payera les conséquences. Roosevelt ne le supportait pas. Pour lui, le général était de la graine de dictateur et il fera tout pour l’éliminer du jeu politique, en traitant avec Vichy où résidera un ambassadeur américain jusqu’au débarquement d’Afrique du Nord (8 novembre 1942), en gardant les collaborateurs en place au Maroc et en Algérie, en privilégiant Darlan (qui sera assassiné le 2 décembre 1942), en obligeant de Gaulle d’accepter Giraud comme coprésident de la France Libre à la conférence de Casablanca (14 au 24 janvier 1943), Il sera vite liquidé politiquement.
Rien n’y fit : déjà en 1943, a fortiori encore plus en 1944, l’incarnation de la France Libre, de la France éternelle, de la résistance à l’occupant, c’était Charles de Gaulle qui avait pour lui sa légitimité historique conférée par son attitude dès juin 1940, par son intransigeance sur ce qu’il voyait comme ses droits de chef d’état, car la France s’incarnait naturellement en lui, par la reconnaissance que lui vouait la population d’un pays encore sous la botte allemande. Ce qui se verra lors de son premier discours en terre de France libérée : à Bayeux (14 juin 1944), où tous se rangeront derrière lui.
Quand les résistants l’accueillent dans Paris libéré et lui demandent de proclamer la République, la réponse de Charles de Gaulle fuse, elle est caractéristique : « La République ? Elle n’a jamais cessé d’être, pourquoi irais-je la proclamer ? »
Ce qui signifie que, pour lui, Vichy était illégitime et qu’il se considérait comme l’héritier de la Troisième république.
Les Américains avaient prévu des autorités d’occupation en France (considérée comme alliée du Reich), ainsi que l’établissement d’une monnaie d’occupation. On imagine la réaction du général !
Partout où il passait, tous se ralliaient à lui, y compris les communistes, fortement organisés. Mais ce sont la descente des Champs-Elysées puis le discours à l’Hôtel de ville de Paris (25 août 1944), sous la mitraille en provenance des étages supérieurs (on ne sait toujours pas exactement ce qui s’est passé là) qui firent du général de Gaulle l’incarnation de la France et lui donnèrent, définitivement, sa légitimité historique en balayant toutes les oppositions intérieures et les doutes extérieurs. Même Roosevelt s’inclina devant le fait accompli. La France devint une puissance alliée à part entière,fut rétablie dans ses droits, participa militairement à la fin de la guerre et reprit le franc comme monnaie nationale.
Certes, ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire. Mais l’aventure gaullienne démontre à quel point la légalité politique ne pèse pas lourd face à la légitimité historique. La première est un ensemble de règles écrites plus ou moins abstraites, la seconde transcende le temps et les hommes, leur rappelant les valeurs de là où ils vivent…
Illustration de l’entête : le général de Gaulle passe en revue à Londres les premiers volontaires de la France Libre. Photo Ministère des Armées/ Fondation de la France Libre
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