La romancière argentine, Agustina Bazterrica, nous embarque avec Les indignes dans une dystopie des plus intéressantes. Un roman ? Oui, mais surtout une véritable dystopie, au sens premier du terme : « société imaginaire régie par un pouvoir totalitaire ou une idéologie néfaste » selon la définition du dictionnaire Larousse. Des dystopies, il y en a dans la littérature, beaucoup. Des pas bonnes, à peine lisibles et d’autres extraordinaires, il suffit de penser à 1984 de George Orwell qui est sûrement le chef-d’œuvre absolu du genre.
L’auteure nous plonge dans un pays indéterminé, à une époque qui subit les conséquences du dérèglement climatique. L’humanité, enfin ce qui en reste, est retombée en mode survie : sols pollués, eau potable quasi inexistante, faune et flore ayant presque totalement disparu, plus d’électricité, le niveau des océans a tellement monté que des régions du monde, comme l’Angleterre, ont disparu, êtres humains qui ne pensent qu’à manger, peu importe comment (de temps en temps comment ne pas penser aux bandes d’écorcheurs du Moyen Âge), c’est la loi du plus fort, la loi de la jungle, plus aucune loi, plus aucune morale pour gérer les rapports sociaux qui se sont évaporés.
L’héroïne, une orpheline, a erré dans ce monde apocalyptique, accompagnée par un chat Circé, jusqu’à leur agression par une des multiples bandes qui sèment la terreur.
Elle finit, totalement par hasard, à trouver refuge à la Maison de la Sororité. C’est un ancien monastère pour hommes où ne se trouvent que des femmes et un seul homme : « Lui », que personne ne voit jamais mais dont elles entendent la voix qui « prophétise », qui les humilie, qui demande des sacrifices pour leur bien, pour le bien de l’humanité. La Maison de la Sororité est un « paradis » qui œuvre au renouveau, qui est protégé par les « illuminées » que chacune aspire à devenir. Cet endroit est dominé, géré par la Sœur Supérieure, qui dirige par le fouet et les punitions qui confinent à la torture. Une parfaite sadique. Ici, on prie, mais plus un concept qu’un Dieu, certainement pas le « Dieu erroné, le faux fils et la mère indigne ». Si l’une d’entre elles fait référence aux croyances passées, elle est sévèrement punie. Une devise : « Sans foi, point d’abri ».
La Maison de la Sororité est hiérarchisée : en bas les servantes, des sortes d’esclaves, quantité négligeable, même pas perçues comme des êtres humains, puis les indignes (dont fait partie l’héroïne) qui sont les plus nombreuses. Elles vivent chichement, on leur demande des sacrifices continuellement, toutes espèrent être choisies pour partir dans une « catégorie supérieure» : Saintes mineures aux chants envoutants (mais qui ont les paupières cousues »), Diaphanes d’esprit qui écoutent la vie de la nature (mais dont la langue est coupée) ou encore Illuminées, celles que l’on ne voit plus, enfermées dans un lieu clos et qui ont le pouvoir de prophétie.
L’héroïne enfreint une des règles : elle écrit, elle tient un journal où elle couche sur le papier son ressenti, son passé, ses aspirations, les tensions, les groupes qui se forment au sein de la communauté, ses moyens pour essayer de survivre dans cet univers totalitaire mais protecteur par rapport à la violence, à l’horreur qu’elle a connue à l’extérieur de l’enceinte. Ici au moins, elle peut manger (spartiatement) et boire.
Et arrive Lucia. Une jeune fille lumineuse qui marche sur les braises sans se brûler, qui commande aux guêpes, qui derrière une soumission formelle, viole bien des règles. Un lien amoureux se tissent entre elles, la nature reprend progressivement ses droits, comment sortir de cet univers carcéral, surtout quand Lucia disparait derrière la porte où se trouvent les Illuminées ?
La Maison des Sororité est un lieu clos où vit une secte dirigée par un couple sadique et pervers. Les membres acceptent ce qu’elles subissent car l’extérieur est encore pire. Elles n’ont qu’une possibilité, se soumettre et, malgré les privations au niveau de la nourriture, aspirer à faire partie des élues, à sortir de la masse pour avoir un « statut » supérieure dans cette société oppressive.
Dystopie sur la soumission, sur la survie, sur la manipulation qui règne au sein des sectes. Une dystopie pas toujours optimiste quant à la nature humaine, mais avec l’espoir en la force de l’amour et en la résilience de la nature.
Les indignes
Agustina Bazterrica
éditions Flammarion. 21€50
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