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Bataille juridique à la Cour suprême des USA concernant un Pissarro spolié par les Nazis

par Pierre-Alain Lévy

Quand histoire de l’art, histoire et affaires judiciaires s’entremêlent ou quand une vente forcée d’un tableau de Pissarro dans l’Allemagne d’Hitler à un marchand d’art nazi refait surface et fait aujourd’hui l’objet d’un intense débat juridique aux Usa et en Espagne.

Un litige qui dure depuis plusieurs décennies entre la fondation de la collection Thyssen-Bornemisza à Madrid et les héritiers de Lilly Cassirer, une juive d’Allemagne contrainte en 1939 de vendre contrainte à vil prix un tableau de Camille Pissarro dont elle était propriétaire, « Rue St-Honore, Après-Midi, Effet de Pluie » à un marchand Jakob Scheidwimmer, membre du parti nazi, pour obtenir le permis de sortie du pays et partir en Amérique.

Un débat procédural qui se complexifie et qui fait s’affronter aussi les mécanismes juridiques de la Cour suprême des Etats-Unis à Washington à celle de l’état de Californie

Rappelons tout d’abord le contexte de ce que fut l’histoire de cette sinistre période

En Allemagne, comme en Autriche les nazis ont depuis 1933 mis en place leur politique anti-juive. Les exactions et les violences se multiplient qui culminent pendant la nuit de Cristal du 9 au 10 novembre 1938 (Kristallnacht). Les vitrines des commerçants juifs sont fracassées et leurs magasins pillés.

Pendant le pogrom, environ 30 000 hommes juifs sont emmenés dans des camps de concentration. C’est la première fois que des fonctionnaires nazis procèdent à des arrestations de masse avec pour unique raison le fait qu’ils soient juifs, sans plus de justification.

Après Kristallnacht, le régime nazi inflige à la communauté juive une amende d’un milliard de reichsmarks « en réparation » et s’empresse de promulguer de nombreux décrets et lois anti-juifs ( Sources: Encyclopédie Multimédia de la Shoah).

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Il y a quelques années, les descendants de Lilly Cassirer aux USA ont fini par découvrir que le tableau de Camille Pissarro qui appartenait à leur aïeule, « Rue Saint-Honoré, Après-midi, Effet de Pluie », était accroché au mur du musée national Thyssen-Bornemisza de Madrid. Le tableau est estimé pour une valeur de plus de 40 millions d’euros.

La famille de Mme Cassirer a passé deux décennies dans les tribunaux, sans succès, à essayer de récupérer le tableau qui, de l’avis de tous, lui a été volé par les nazis.

Lilly Cassirer et son petit-fils Claude. Le tableau de Camille Pissaro

Le Los Angeles Times qui rapporte les derniers soubresauts de cette affaire indique « Elle va maintenant demander à la Cour suprême des États-Unis de se prononcer sur cette saga juridique. En quoi cette fois-ci est-elle différente ? Une nouvelle loi californienne, le projet de loi 2867 de l’Assemblée, qui a été adoptée en août et signée par le gouverneur Gavin Newsom en septembre. Cette nouvelle loi impose aux tribunaux d’appliquer le droit californien lorsqu’ils sont saisis par des résidents californiens ou leurs familles pour récupérer des œuvres d’art volées ou d’autres artefacts importants détenus par des musées. La Cour suprême est enfin en mesure de corriger la ligne de conduite des tribunaux inférieurs sur cette question, et elle devrait le faire.

Jusqu’à l’adoption de cette loi, lorsqu’un plaignant californien poursuivait une entité étrangère telle que le musée espagnol pour récupérer des œuvres d’art volées, le tribunal décidait d’appliquer la loi de l’État ou celle du pays du défendeur. Selon la loi californienne, un voleur n’a jamais de droit légal sur un bien volé, et quiconque obtient le bien par la suite n’a jamais de droit légal sur ce bien non plus. En revanche, le droit espagnol prévoit qu’après un certain temps, le détenteur d’un bien volé est légalement autorisé à le conserver».

Reprenons les différentes facettes de cette affaire Cassirer versus Fondation musée national Thyssen-Bornemisza et les décisions des Instances juridiques suprêmes américaines. Un tribunal fédéral de district saisi de l’affaire Cassirer s’est appuyé sur le droit espagnol et a jugé que le musée espagnol pouvait conserver le tableau. La famille Cassirer soutient qu’en vertu de la nouvelle loi californienne, la décision de la 9e Cour d’appel est désormais « inconciliable avec la loi californienne en vigueur ». La famille demande à la Cour suprême de rejeter cette décision et de renvoyer l’affaire devant le 9e circuit, qui devrait à son tour appliquer la nouvelle loi, annuler la décision de la juridiction inférieure et enfin ordonner que le tableau soit rendu à la famille.

Ce résultat serait non seulement juste, mais aussi conforme à des normes plus larges : La législature a spécifiquement rédigé la nouvelle loi « pour aligner le droit californien sur les lois fédérales, les politiques et les accords internationaux, qui interdisent le pillage et la saisie d’œuvres d’art et de biens culturels, et demandent la restitution des biens saisis ».

Le juge de district John F. Walter, dans sa décision en faveur du musée espagnol, a déploré le fait qu’il ne pouvait pas obliger le musée à « respecter ses engagements moraux », tels qu’ils sont énoncés dans des accords internationaux puissants mais non contraignants (signés par des dizaines de pays, dont l’Espagne), qui stipulent qu’il existe un devoir moral de restituer les œuvres d’art pillées par les nazis à leurs propriétaires légitimes ou à leurs héritiers.

La loi californienne permet désormais aux juges de prendre des décisions juridiques conformes aux principes moraux.

Mais le gouvernement espagnol, propriétaire du musée, n’a pas à attendre ces décisions. Il devrait faire ce qu’il faut et rendre ce tableau à ses propriétaires légitimes. Ce serait le moyen le plus rapide de rendre la justice tant attendue.

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