Accueil Sciences Pourquoi la nuit est-elle noire ?

Pourquoi la nuit est-elle noire ?

par Palantir Dewuka

Il est étonnant de constater que cette question, pourtant fondamentale, ne traverse l’esprit que de peu de gens. La noirceur de la nuit semble être une évidence pour la plupart d’entre nous, mais nous nous sommes rarement interrogés sur ses raisons profondes. Et vous, y avez-vous déjà songé ?

Le ciel nocturne, dans toute sa beauté astrale, n’a jamais été une source d’émerveillement pour la race humaine. Mais il y a plus d’un siècle, certains astronomes ont levé les yeux et ont vu un paradoxe.

Pourquoi, se demandaient-ils, si l’Univers était infini, avec un nombre infini d’étoiles, le ciel nocturne n’était-il pas blanc ? Dans chaque direction que nous regardons, il devrait y avoir une étoile dont la lumière a voyagé jusqu’à la Terre. Donc le ciel nocturne devrait être une mer de soleil.

astrophysique lumière
Galaxie Whirlpool M51.
Photo télescope Hubble NASA/ESA
https://esahubble.org/images/archive/top100/

Alors pourquoi la nuit est-elle noire ? Cette interrogation est loin d’être anodine. En effet, si l’on considère l’existence des milliards d’étoiles qui peuplent l’univers, le ciel nocturne ne devrait présenter aucune zone d’ombre. Pourtant, il est d’un noir profond. Ce paradoxe a intrigué les penseurs pendant des millénaires, des philosophes de la Grèce antique aux astrophysiciens contemporains. Mais rassurez-vous, une explication existe aujourd’hui. Si cette explication nous a échappé pendant plus de 2500 ans, c’est parce que notre conception de l’univers nous a induits en erreur. Depuis Aristote, la pensée humaine admettait l’infinité de l’univers dans le temps et dans l’espace. Nous vivions dans un univers supposé éternel, immuable et statique. 

Olécio partenaire de Wukali

Cette énigme est communément appelée paradoxe d’Olbers, ainsi nommé d’après l’astronome allemand Heinrich Wilhelm Olbers, qui a écrit en 1823 que la lumière des étoiles devait être absorbée au cours de son voyage dans l’espace, ce qui diminuait son intensité et rendait la nuit noire. Mais cette explication ne fonctionne pas car la lumière ne se perd pas : toute lumière absorbée est réémise. L’énigme de la nuit noire restait donc entière.

Bien que ce paradoxe d’une nuit noire au sein d’un univers infini ait suscité des interrogations idéologiques pendant des siècles, ce n’est qu’au siècle dernier que les avancées scientifiques ont radicalement transformé notre perception de l’univers.

Semblable à une tempête d’étoiles, le cluster Messier 79 situé à 40.000 années lumière de la Terre dans la constellation du Lièvre soit près de 150.000 étoiles. Cette constellation avait été découverte en 1780 par l’astronome français Pierre Méchain
Photo Téléscope Hubble, NASA/ESA . https://esahubble.org/images/archive/top100/

La noirceur de la nuit témoigne d’une vérité fondamentale : notre univers possède une histoire et n’a pas toujours été là.

Il convient de rappeler que notre compréhension cosmologique moderne est relativement récente. C’est seulement depuis quatre siècles que nous avons découvert la sphéricité de la Terre, abandonné le géocentrisme, et réalisé que le Soleil n’est qu’une étoile parmi d’autres, et que chaque étoile est elle-même un soleil. Cette révolution conceptuelle a profondément transformé notre vision du monde. La reconnaissance que les étoiles sont des soleils a conduit à une conclusion incontournable : si ces astres nous apparaissent si faibles malgré leur nature similaire à notre astre du jour, c’est qu’ils doivent se trouver à des distances inimaginables de nous.

Edgar Poe. 1849

L’histoire est d’autant plus incroyable que la réponse, qui a échappé aux recherches de nombreux astronomes célèbres tels que Nicolas Copernic, Johannes Kepler et Edmond Halley, est venue d’un écrivain et poète, un homme de lettres passionné de sciences : Edgar Allan Poe.

Edgar Allan Poe a été le premier à suggérer en 1848, dans son œuvre «Eureka», que si la lumière des étoiles les plus lointaines de notre ciel, aussi nombreuses soient-elles, n’avait pas eu le temps de nous parvenir, le ciel nous apparaîtrait moins lumineux.

Sa réflexion était juste et, sans le mentionner explicitement, elle remettait en question l’idée d’un univers éternel.

Le physicien Michio Kaku a traduit la prose de Poe dans son livre, L’Équation de Dieu. En d’autres termes, le ciel nocturne est noir parce que l’univers a un âge fini. Nous ne recevons pas de lumière du passé infini, ce qui rendrait le ciel nocturne blanc, car l’univers n’a jamais eu un passé infini. Cela signifie que les télescopes scrutant les étoiles les plus lointaines finiront par atteindre l’obscurité du Big Bang lui-même.

Cette intuition de Edgar Allan Poe est remarquable car il a anticipé l’une des explications modernes du paradoxe bien avant que la cosmologie du Big Bang ne soit développée. Il a compris que dans un univers ayant un commencement temporel, la lumière des régions les plus éloignées n’aurait pas encore eu le temps de nous atteindre.

Bien que le paradoxe soit souvent attribué à Heinrich Wilhelm Olbers (qui l’a discuté en 1823), la contribution de Edgar Allan Poe est significative dans l’histoire de cette réflexion cosmologique

Cette explication, bien que correcte, ne révèle qu’une partie de la vérité, car un phénomène supplémentaire joue un rôle crucial dans l’obscurité nocturne. Ce phénomène, dont la découverte remonte aux années 1920 grâce aux observations d’Edwin Hubble, n’est autre que l’expansion continue de l’univers.

Cette expansion cosmique entraîne un éloignement mutuel de toutes les galaxies. Il ne s’agit pas simplement d’objets se déplaçant à travers l’espace, mais plutôt du tissu spatial lui-même qui s’étire. Les observations ont également révélé un phénomène encore plus surprenant : cette expansion s’accélère avec le temps. Ainsi, les galaxies les plus distantes de nous s’échappent à une vitesse proportionnellement plus élevée que leurs voisines plus proches.

Quel est l’impact de ce phénomène sur l’obscurité de la nuit ? Lorsque l’espace entre deux galaxies se dilate, l’intensité ou la densité lumineuse (apparente, et non intrinsèque) diminuent.

Pour quelles raisons ? Parce que la lumière a une vitesse finie, elle se comporte comme une onde, et une onde a une longueur d’onde (ou période) qui se déploie dans l’espace. Lorsque l’espace se déforme, l’onde se déforme également. Ainsi, la dilatation de l’espace étire l’onde lumineuse, ce qui réduit son intensité.

En termes concrets, cette expansion entraîne un phénomène optique connu sous le nom d’effet Doppler-Fizeau, où la lumière émise par les objets célestes subit un glissement spectral du bleu vers le rouge. Pour l’observateur, cela se manifeste par un affaiblissement progressif de l’éclat apparent des galaxies les plus lointaines. Si cette tendance se poursuit, dans un avenir certes très distant, notre cosmos évoluera vers un état d’obscurité totale, de vide et de froid extrême. Mais ceci relève d’un autre récit

Galaxie des Antennes. NGC 4038 et NGC 4039
Photo télescope Hubble NASA/ESA https://esahubble.org/images/archive/top100/

Notre compréhension actuelle de la cosmologie

L’âge fini de l’univers : Avec un univers d’environ 13,8 milliards d’années, nous ne pouvons voir que les objets situés à l’intérieur de notre « horizon cosmologique » (environ 46 milliards d’années-lumière en raison de l’expansion). La lumière des objets plus lointains n’a pas encore eu le temps de nous parvenir.

L’expansion cosmique : L’espace lui-même s’étire, étirant les longueurs d’onde de la lumière. Cette expansion décale la lumière des galaxies lointaines vers le rouge et l’infrarouge, la rendant invisible à l’œil nu.

L’évolution stellaire : Les étoiles ne brillent pas éternellement. Elles naissent, brillent pendant un temps fini, puis s’éteignent. L’univers n’a pas eu le temps de « remplir » tout l’espace de lumière stellaire.

L’absorption intergalactique : La matière interstellaire et intergalactique (gaz, poussières) absorbe une partie de la lumière des étoiles lointaines.

Le Big Bang : Notre univers a eu un début, il n’est pas éternel dans le passé comme le supposait le paradoxe original.

Pierre Soulages (1919-2022). Huile sur toile, 2013. “Peinture 202 X 159 cm. Dominique Lévy Gallery, New York/Paris

Ce qui est fascinant, c’est que l’obscurité du ciel nocturne constitue en fait une preuve observationnelle importante en faveur d’un univers dynamique avec un commencement fini dans le temps, plutôt qu’un univers statique et éternel. En ce sens, l’obscurité de la nuit nous révèle des vérités fondamentales sur la nature de notre cosmos. 

«Voir l’univers dans un grain de sable, et le paradis dans une fleur sauvage, tenir l’infini dans la paume de la main, et l’éternité dans une heure.»  Oscar Wilde

WUKALI est un magazine d’art et de culture gratuit et librement accessible sur internet
Vous pouvez vous y connecter quand vous le voulez

Pour relayer sur les réseaux sociaux, voir leurs icônes en haut ou en contrebas de cette page
Contact ➽ : redaction@wukali.com

Illustration de l’entête: constellation Magellan. Photo NASA/ESA https://esahubble.org/images/archive/top100/

Ces articles peuvent aussi vous intéresser