Abel, titre du dernier roman d’Alessandro Baricco, évoque tout de suite la Bible. Abel, c’est la victime. C’est celui qui s’est fait tuer par son frère Caïn. Ici, il n’y aura pas de meurtre entre frères mais tout, dans chaque chapitre, évoque la mort, la vie, le destin. Le roman est dit philosophique. C’est vrai que les chapitres se suivent et qu’il n’est pas toujours facile de comprendre pourquoi et comment les évènements s’enchaînent. Les phrases sont courtes, le style est sobre voire froid. On sent une distance entre l’histoire, l’auteur qui raconte et le lecteur qui écoute. Il n’empêche, on lit avec plaisir ces cent cinquante-neuf pages écrites par un des auteurs italiens le plus traduit en France. Lise Caillat, traductrice, fait passer toute l’originalité de la façon d’écrire d’Alessandro Baricco dans notre langue.
L’histoire, si tant est que l’on puisse parler d’histoire, il s’agit plutôt d’une chronique, se passe dans l’Ouest américain du temps de sa conquête. Elle raconte la vie d’Abel Crow, pistolero de son état et véritable expert dans l’art du tir au jugé. A tel point qu’il a réussi à dégainer ses deux pistolets et à tirer en même temps pour abattre ses deux cibles. Coup très difficile à réaliser et surtout à réussir, qui s’appelle le mystique, et qui lui a été enseigné par le Maître, mystérieux personnage, sorte de gourou qui maîtrise le temps, la peur de mourir et toutes les angoisses.
Abel Crow, élève du Maître, est marié avec Hallelujah Wood avec qui il entretient une relation épisodique dans laquelle l’infidélité est une chose normale et admise. Hallelujah, dont le prénom est, comme celui de son mari, évocateur de la Bible, disparaît souvent pour réapparaître sans que l’on ne sache ni quand ni pourquoi.
Tout cela est naturel et ne pose aucun problème. Abel a quatre frères, Isaac qui meurt de fièvre, David le pasteur, Samuel et Joshua, dont les prénoms n’ont pas été choisis au hasard et une sœur Lilith, dotée d’un caractère fort avec une capacité à affronter et résoudre les problèmes. Il y en a d’ailleurs un qu’il va falloir résoudre : leur mère a été condamnée à la pendaison pour de menues broutilles et Lilith va chercher à la sauver avec l’aide de ses frères.
Point central du roman, cette condamnation et l’exécution de cette mère pas comme les autres puisqu’elle a abandonné sans hésitation ses enfants, est l’occasion de démontrer le caractère aléatoire de la justice et l’existence d’un destin incontournable. Difficultés de communication, isolement des personnages, peu d’importance de la vie sont les sous-entendus de ces pages dans lesquelles on croise Platon, Aristote et Hume, ce qui leur vaut d’être qualifiées de philosophiques. Mais les interrogations sur l’exploration de contrées et paysages inconnus, de peuples différents mais voisins, l’importance et le sens des liens familiaux sont des motifs bien plus importants pour caractériser ce western de métaphysique d’autant plus qu’Abel Crow devient shérif et qu’il représente donc la loi, l’ordre et qu’il protège la société face à tous les maux, bandits et autres assassins auxquels il doit faire face
Alessandro Baricco a construit son roman avec des références et allusions multiples à la Bible et à d’autres récits qui ont défini des civilisations entières. La vie, bien précieux, n’est pas une simple partie de plaisir même si le plaisir existe de temps en temps. Il faut être bon dans son domaine, savoir être drôle et défendre et comprendre que la solitude est incontournable. Nous vivons et nous mourrons seuls mais ce n’est pas si grave.
Tu vas naître à nouveau, dit la Bruja, sorcière d’origine espagnole, à Abel Crow. Elle lui demande de s’épanouir et de naître une seconde fois, ce qui va peut-être lui arriver naturellement sans qu’il y fasse attention ni qu’il se donne du mal pour y arriver. La vie existe, qu’elle ait ou non un sens. Il faut la vivre telle qu’elle est. Ce pourrait être une des conclusions de ce roman d’Alessandro Baricco. Il nous interroge et nous questionne sur les fondements, les origines et les conséquences de nos actes et de ce que nous vivons. Métaphysique ou philosophique, c’est un roman qui interroge et c’est là tout son intérêt.
Abel
Alessandro Baricco
éditions Gallimard. 20€50
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