Un bijou, un plaisir, une exposition à ne pas manquer avec et autour de Picasso, à voir à Saint-Rémy-de-Provence.
Qui ne dira jamais assez la beauté, la richesse de la France dans sa profondeur, ses paysages, ses villes et ses villages, et bien entendu ses musées. Le Ciel et la Terre, l’élévation et l’enracinement, la puissance et la liberté, le talent et l’imaginaire, un jeu de diptyques qui s’entrecroisent, se fécondent et se multiplient. Prendre le temps de vivre, prendre le temps d’aimer. Aimer, oui !
Saint-Rémy-de-Provence, au coeur des Alpilles, une terre bénie des Dieux, des paysages minéraux et verdoyants, un jardin de Paradis croyez-moi. Si vous vous promenez dans cette charmante petite ville, peut-être y apercevrez-vous quelques célébrités parisiennes qui y ont déposé leur sac, mais plus intéressant, au détour d’une rue vous découvrirez l’un de ses musées, le musée Estrine, et actuellement une exposition Éros dans l’arène de Picasso, sous-titrée: Entre art populaire et art contemporain, à voir du 21 juin au 21 septembre 2025 .
Ce vingtième siècle dont la glèbe s’accroche toujours à nos pas pressés, c’est le siècle de Picasso, et pas étonnant qu’à fur et à mesure que le temps passe, la célébration de ce de génie dérangeant ( car ainsi sont tous les génies) explore toutes les facettes de sa création tout simplement prométhéenne. Picasso aussi comme source d’inspiration, Picasso notre maître à tous, Picasso, force de la vie, lubrique et jaillissant, existant tout simplement !

© Cliché Bibliothèque nationale de France. © Succession Picasso 2025
Picasso et l’érotisme, Picasso et les femmes, que n’en a -t-on dit ! Picasso et la puissance fébrile de son agitation artistique, de sa soif de vie. Il est ce taureau, ce Minotaure, ce monstre tout à la fois fauve et humain, sauvage et ravageur, il est cet Alpha mâle qui laboure de ses sabots la terre de l’arène, cet «animal totémique» selon Françoise Gilot, sa femme, qui le connaissait bien. Il est la Force, il est le Verbe, et parce qu’il est la Force, et parce qu’il est le Verbe, Il est le Maître.
« Nous, les Espagnols, c’est la messe le matin, la corrida l’après-midi et le bordel le soir. Dans quoi ça se mélange ? Dans la tristesse».
André Malraux, La Tête d’Obsidienne, 1974
Picasso, comme André Masson, trouve son inspiration dans les corridas, et invite avec lui pour ces spectacles d’émotions hauts en couleurs ses cohortes d’amis et ses femmes du moment. Ainsi représentera-t-il Marie-Thérèse Walter en Europe torera. Tout au long de sa vie Picasso est ébloui par ce spectacle sauvage, ce combat entre l’homme et le bête, sombra y sol.

AGIP (Agence d’Illustration pour la Presse)
Tirage photographique Collection Bridgeman Images
© Bridgeman Images
Le thème de la femme qui assiste au combat de l’arène depuis une loge (palco) est un motif récurrent du costumbrismo. Des dessins de 1905 jusqu’à l’affiche linogravée de 1954 en forme de lettre de deuil pour les adieux de Françoise Gilot ou à celle de la Galerie des Ponchettes en 1960, Picasso est revenu sur le motif de la femme au balcon du palco, spectatrice du combat saisi en plongée, de son point de vue.
Marie-Thérèse, la plus éloignée de l’univers taurin,« a incarné la femme dans le couple pictural qu’elle forme avec le taureau ou son avatar humain, preuve s’il en fallait que le combat de l’arène se présente chez Picasso en théâtre de ses fantasmagories.»

La vie, la mort, la femme, puissance de l’être et mystères insondables, telles sont les forces qui arrachent à Picasso ses cris de génie. André Masson, nous l’avons déjà cité, aura la même approche, la même fascination pour cette fête sacrificielle, pour cet holocauste entre le torero et la brute animale dans l’arène au soleil de plomb, sous les vivats des publics électrisés par cette offrande sanglante.

Musée national Picasso-Paris, Dation Pablo Picasso, 1979. MP144
© Cliché Grand Palais – RMN / photo : Mathieu Rabeau; © Succession Picasso 2025
Une exposition comme on les aime, simple et apaisée, où l’aura de l’artiste, le peintre le plus célèbre du XXème siècle, se réfléchit sur les peintres d’aujourd’hui. Ainsi à côté du maître des oeuvres contemporaines de Vincent Bioulès et Pilar Albarracin, de Sophie Calle, Jean-Paul Chambas ou Claude Viallat…

Une exposition qui bénéficie du soutien exceptionnel du Musée national Picasso-Paris et le concours de la famille Picasso.
Des regards pleins d’humour avec des mises en abyme parfois nimbées d’un féminisme provoquant de second degré comme ce tirage photographique en couleurs de Pilar Albarracín, La Revolera, 2012, où l’artiste se représente, femme libérée, avec comme compagnon de lit le monstre noir et cornu.

© Cliché Pilar Albarracín. © Adagp, Paris 2025
Le culte de la corrida, cette tradition pareillement française et provençale, celle des manades de Camargue et des Férias, illustré par ce tableau de Vincent Bioulès, L’enlèvement d’Europe.

©cliché Fabrice Lepeltier © Adagp, Paris 2025
Nous sommes ici dans cet univers méditerranéen, dans cette lumière crue et éblouissante du Sud, de Provence, comme un défilé de panathénées où les gardians remplaceraient les cavaliers athéniens, et où Europe, rayonnante de pureté nue et joyeuse, triomphe dans l’obscurité azuréenne du ciel à la Van Gogh.
Symbiose, rencontre encore des traditions, les mythes s’affrontent, les résistances se cabrent sur ces terres de Méditerranée toutes nourries de ces mythologies comme les sublimait Roland Barthes.
Clara Castagné représente le rapt d’Europe, la fille du roi de Tyr, chevauchant la bête, une naïveté touchante un peu à la matière du douanier Rousseau, dans un traitement picturale de marbrures et de transparences.

Encre sur papier, Collection particulière
© Cliché Pierre Schwartz, © Adagp, Paris 2025
Prendre le temps oui, voir cette exposition dans un dialogue muet et bavard avec chacune des oeuvres présentées, cheminer de salles en salles dans ce délicieux musée Estrine à Saint-Rémy-de-Provence, savourer l’instant et vivre, oui vivre!
Éros dans l’arène de Picasso
Entre art populaire et art contemporain
Musée Estrine – Saint-Rémy-de-Provence
21 juin – 21 septembre 2025