L’auditorium du parc de Florans de La Roque d’Anthéron n’est pas rempli ce dimanche 3 août. C’est incompréhensible ! Pourtant, c’est bien Arcadi Volodos, l’un des pianistes les plus fascinants de sa génération, qui est programmé. Le virtuose russe (chanteur à l’origine, le saviez-vous ?) possède une sensibilité musicale exceptionnelle. Et si sa technique est impressionnante, on est surtout frappé par sa capacité à transcender la virtuosité pour atteindre une poésie rare.Et déjà, c’est clair dès le début du programme :

©photos Valentine Chauvin
Les Six Moments musicaux D. 780 de Schubert, c’est tout un poème
Ces pièces brèves, qui durent quelques minutes chacune, semblent si simples, d’une écriture tellement dépouillée, qu’on en oublierait presque le génie de Schubert. Dans une simplicité apparente se dissimule une profondeur émotionnelle vertigineuse. Et surtout, paradoxe : ces six moments demandent au pianiste une grande maturité artistique, car chaque phrase est importante, chaque silence est habité.
On a parfois l’impression d’entendre une mélodie qui flotte, qui oscille, portée par un accompagnement en suspens, à peine effleuré. On s’interroge : tout en haut de l’auditorium, entend-on encore ces notes qui s’évaporent, dans ces passages de profonde intimité où l’on savoure la lenteur, et où il n’y a de place que pour la musique et la contemplation ?
On pense au plus célèbre d’entre eux, le n°3, notre préféré sans doute. Avant de venir, nous l’avons écouté en boucle sur le site du festival (une playlist que nous vous recommandons : https://www.festival-piano.com/fpr_editorial/votre-concert-en-musique/)
C’est si beau, et cela l’est davantage encore lorsque le pianiste est là, sur scène, en chair et en os, pour vivre avec nous ces moments.
D’autres instants bénis, pleins de tendresse, exigent de l’artiste une palette aux multiples couleurs, et ici, nous avons un grand interprète qui excelle dans ce répertoire. Tout est d’une belle évidence, tout coule avec simplicité, alors qu’en réalité cette musique est d’une complexité incroyable. Schubert se fait velours sous les doigts d’Arcadi Volodos. Sa sonorité est caressante, le timbre soyeux.
Schubert / Liszt : Litanei auf das Fest Aller Seelen
Avec Arcadi Volodos, cette pièce révèle toute sa dimension spirituelle. Sa sonorité veloutée, dont nous parlions précédemment, trouve ici son espace : chaque note semble habitée d’une intériorité rare. Ce qui fait la beauté de cette œuvre jouée par Volodos, c’est justement cette superposition magique : Schubert, sa mélodie, qui dialogue avec un superbe accompagnement au piano, une transcription que l’on entend distinctement. On ne quitte pas des yeux ses mains, qui prennent possession du clavier avec une indépendance impressionnante. Et pourtant, ce qui est toujours paradoxal avec les plus grands, c’est que la technique devient, ici encore, quasi invisible.
Schubert / Liszt : Der Müller und der Bach, extrait de Die schöne Müllerin D. 795 (Le Meunier et le ruisseau)
On retrouve ici encore tout le lyrisme schubertien et la virtuosité lisztienne, une alliance qui a donné naissance à des joyaux du répertoire pianistique. Et on la connaît bien, cette œuvre dramatique, pour l’avoir si souvent entendue. Elle nous parle d’un jeune meunier, désespéré car la belle meunière ne l’aime pas. Le jeune homme dialogue avec le ruisseau, avant de s’y noyer. Oui, l’ambiance est angoissante et Arcadi Volodos nous en restitue toute la gravité. Le pianiste excelle à mettre sa virtuosité au service de la musique, et le public, là encore, n’est pas distrait par la sophistication de l’interprétation.
Schubert : Sonate n°22 en la majeur D. 959
Une œuvre sublime, un chef-d’œuvre de l’art pianistique romantique. Et la magie opère de nouveau. On aurait pu rester à distance, tant cette œuvre évoque la mort avec force, comme la précédente. Mais Volodos, justement, joue avec une espèce de pudeur touchante. Rien n’est oppressant ni angoissant ici. Il est très à l’aise dans cette partition, et son piano se confie à nous. Il ne dramatise pas. Car là où d’autres artistes forceraient le trait, lui privilégie une forme de confidentialité, une approche plus introspective. Étonnant, du reste, de voir l’homme droit, pour ne pas dire raide, sur sa chaise (et non un banc de piano), ne laissant rien paraître de son émotion. Il ne bouge que ses mains, ses doigts, lève parfois la tête et regarde au loin… Quel contraste entre cette attitude d’une étrange sobriété et l’intensité de son jeu virtuose.
L’Andantino fascine : sa mélodie est d’une beauté déchirante, pleine de mystère. Idem pour le Scherzo qui suit, avec ses rythmes instables, ses jolis phrasés mélodiques, ses harmonies audacieuses. Sous les doigts du pianiste, cette sensation de poésie, de contemplation, d’intimité musicale, nous accompagne jusqu’au bout.
Ce dimanche 4 août, c’était la rencontre idéale entre la profondeur schubertienne et l’art de Volodos !
Voici le programme et les bis ci-après. Rien ne vous interpelle ?
Schubert : Six Moments musicaux D. 780
Schubert / Liszt : Litanei auf das Fest Aller Seelen
Schubert / Liszt : Der Müller und der Bach, extrait de Die schöne Müllerin D. 795
Schubert : Sonate n°22 en la majeur D. 959
Bis du concert :
F. Schubert : Ländler III en la mineur
F. Liszt : Rhapsodie hongroise n°13, S.244/13
Notre bis préféré !
L’approche de Volodos n’est que pure magie. Les mains du pianiste semblent littéralement voler au-dessus du clavier, créant une impression de disparition tant les mouvements sont rapides, fluides, et la cadence impressionnante.
L’effet visuel est aussi saisissant que ce que l’on entend. Du grand art.
Et encore deux bis :
J. Brahms : Intermezzo opus 117 n°1 Andante moderato en mi bémol majeur
F. Mompou : Impressions intimes n°5, Pájaro : Oiseau triste
Oui, quelque chose saute immédiatement aux yeux n’est-ce pas ?
La générosité d’Arcadi Volodos s’exprime autant dans la profondeur du programme principal que dans la richesse et la diversité des bis. Ce ne sont pas de simples extraits glissés en fin de concert pour saluer et remercier un public qui, ce soir-là, applaudit comme rarement : un épilogue magistral, presque un nouveau récital. Chaque pièce bissée, choisie avec soin, prolonge l’émotion.