Une nouvelle exposition à découvrir à Aix-en-Provence à Caumont-Centre d’Art, son titre « Regard d’un collectionneur» et à voir jusqu’au 22 mars 2026. « Nous souhaitons offrir au public une traversée dans l’histoire de l’art », commente Emmanuelle Lussiez, directrice des expositions de Culturespaces.

« Uranie II » de R.T. Bosshard.Crédit : Archives
Association des Amis du Petit Palais, Genève
Oscar Ghez, (1905-1998) industriel et collectionneur passionné, nous séduit dès le début du parcours : déjà, parce que sa collection, on le voit bien, est à contre-courant de tout ce qui était « dans l’air du temps » à l’époque, même si on retrouve des artistes très connus, incontournables, comme Pablo Picasso, Auguste Renoir, Maurice Denis, Raoul Dufy, Edouard Manet, Marie Laurencin, Suzanne Valadon, Félix Vallotton, Edouard Vuillard, Paul Sérusier, Claude Monet, Henri-Edmond Cross, Théo Van Rysselberghe, Achille Laugé et bien d’autres encore. : « On traverse près d’un siècle de l’histoire de l’art », poursuit Emmanuelle Lussiez. L’exposition révèle un regard sincère et intuitif : il a su voir avant les autres la force émotionnelle d’artistes parfois négligés, et a réussi à les rassembler avec une profonde humanité. Près de 60 chefs-d’œuvre issus de cette collection sont réunis dans un parcours chronologique et thématique. De l’impressionniste au cubisme, en passant par le néo-impressionnisme, le fauvisme, l’école de Paris, la peinture décorative, jusqu’aux avant-gardes du XXe siècle » Commente encore la jeune femme.
L’exposition de Caumont est une rare opportunité de voir ces œuvres en France. En 1968 Oscar Ghez ouvre son musée à Genève dans un hôtel particulier transformé, qu’il fréquente quotidiennement jusqu’à sa mort. Fermé pour rénovation en 2000, le musée reste actif grâce à son fils, Claude Ghez, qui fait circuler la collection depuis la mort de son père. Des œuvres sont régulièrement prêtées pour des expositions temporaires. Ainsi, la collaboration avec Culturespaces et la commissaire Marina Ferretti représente une nouvelle façon de perpétuer l’esprit d’Oscar Ghez à travers cette exposition qui promet d’attirer le public du pays d’Aix, mais aussi des amateurs venus d’horizons variés, bien au-delà des frontières régionales ou nationales.
C’est presque un retour aux sources !
On apprend que l’industriel a grandi et étudié à Marseille avant de prospérer dans l’industrie du caoutchouc en Italie. Contraint à l’exil par la montée du fascisme dans les années 1930, il se réfugie en France, puis aux États-Unis face à la menace nazie. De retour en France après-guerre, une succession de drames personnels dans les années 1950 le conduit à vendre son usine pour se consacrer exclusivement à l’art.
Sur les cimaises, on découvre de nombreux artistes que l’artiste a collectionnés dans la région. Charles Camoin, Frédéric Bazille ou Auguste Chabaud, des peintres qui ont également vécu et créé leurs œuvres autour de Marseille. Visionnaire, il s’intéresse à des artistes alors peu considérés par le marché de l’époque mais qui deviendront de grands noms de l’histoire de l’art. » commente la directrice des expositions Caumont.
Alors que le marché privilégiait les paysages impressionnistes, Oscar Ghez s’est orienté vers des thèmes délaissés comme les figures et les portraits. S’il a acquis le rare Portrait de Berthe Morisot à la voilette (1872) de Manet (1832 -1883) et l’important Portrait de la poétesse Alice Vallières-Merzbach (1913) de Renoir (1841-1919, il a délibérément renoncé à des toiles mineures de Monet, Degas ou Cézanne pour privilégier des œuvres majeures d’artistes alors peu reconnus comme encore Frédéric Bazille, Gustave Caillebotte ou Marie Bracquemond. Cette stratégie visionnaire lui a permis d’acquérir des pièces capitales telles que Le Pont de l’Europe (1876) de Caillebotte (1848-1894) , aujourd’hui considéré comme un chef-d’œuvre incontestable.
Parmi les artistes néo -impressionnistes remarquables, on aime particulièrement Henri-Edmond Cross, figure majeure du mouvement : « Après le bain, ou baigneur s’essuyant à Saint Tropez, » ou encore « Chèvres ou Paysage aux chèvres » nous ravissent pour toutes ces vibrations lumineuses, ces harmonies colorées, ces mosaïques de couleurs réalisées avec brio.
On s’arrête encore sur une surprenante toile de Charles Angrand, « La Seine à l’aube, (la brume). Dans une palette restreinte de bleu, vert et jaune, sur une grande surface d’eau qui occupe les trois quarts de la composition, tout n’est que Lumière. Étonnant quand on sait que l’artiste a consacré l’essentiel de sa carrière d’artiste au dessin. Seule une barque à contre-jour et un horizon dans la brume, viennent animer la scène. Très présent sur les cimaises, Théo Van Rysselberghe(1862-1926) un néo-impressionniste belge, dont le tableau « Portrait de la violoniste Irma Sèthe », de 1884 est particulièrement admirable et caractéristique du style raffiné de l’artiste. La pose concentrée de la jeune femme, un figure toute en souplesse qui tient son instrument avec élégance, cette lumière diffuse qui enveloppe la musicienne, les mèches blondes joliment éclairées qui s’échappent de son chignon, tout confère au portrait une dimension intime pleine de douceur. Douceur encore avec Madame Van de Velde et ses enfants (1803)
On n’oublie pas Achille Laugé, (1861-1944) qui fait preuve d’une belle assurance et qui saura élaborer un style très personnel. « Devant la fenêtre » 1889, résume à lui seul ce souci de restituer la lumière et traduire la douceur d’une scène intimiste.
Il y a encore Maximilien Luce, (1858-1941, qui met la lumière pointilliste au service du monde ouvrier et des réalités sociales, mettant un peu de côté les paysages. On le découvre notamment dans L’homme à sa toilette (1887), un ouvrier se lavant dans sa mansarde, ou encore dans « L’ Aciérie » qui met en scène des ouvriers contemplant le métal en fusion, fascinés par le spectacle comme nous le sommes devant le tableau.
Maximilien LUCE
Collection: Association des Amis du Petit Palais, Genève / Photo: Maël Dugerdil, Genève
Nous aimons les Nabis, ce groupe d’artistes libres et créatifs, qui se sont fait connaitre dans les années 1890. Chacun dans son genre est unique, et Oscar Ghez, découvre en explorateur, les richesses artistiques de Pierre Bonnard, (notre article dans Wukali parlait de l’exposition à Caumont en 2024 :
Maurice Denis 1870-1943, dont on retient « les devoirs de vacances» (1906), une scène d’intérieur paisible où des enfants studieux se penchent sur leurs cahiers dans une atmosphère sereine. Des couleurs douces, des formes simplifiées et la composition décorative reflètent l’esthétique nabis du peintre. Félix Vallotton 1865-1925 est bien représenté. Il se distingue par son style singulier : de la rigueur, des contours nets, des aplats de couleurs franches, une lumière incroyable qui donne une atmosphère particulière, inquiétante même. Son « Portrait de Thadée Natanson » (1897) est troublant. On est frappé par sa sobriété, l’intensité psychologique du personnage au regard pénétrant… Ce tableau est d’une incroyable modernité. Contours nets et palette restreinte encore, dans le superbe « nu couché au tapis rouge » : avec cette façon d’allonger le corps, ce dessin très pur, cette coiffure et ce regard tourné vers le spectateur, on songe à la Grande Odalisque d’Ingres. On aime encore « La toilette » de Vallotton. L’artiste transforme ce motif classique en une vision moderne et troublante.
Association des amis du Petit Palais, Genève Collection : Association des Amis du Petit Palais, Genève / Photo : Maël Dugerdil, Genève
Louis Valtat (1869-1952) est sur les cimaises, déjà avec un « petit format très expressionniste, qui accroche le regard, « Portrait de femme au chapeau », de 1895. L’artiste accuse les traits de son modèle, et ne fait aucune concession à un idéal esthétique. Surprenantes encore les toiles « les Porteuses d’eau », « Les rochers », les touches vigoureuses posées avec une énergie fauve, et cette dimension expressionniste qui nous a séduit dans le « Portrait de femme au chapeau ».
Autres chefs d’œuvres : La peinture décorative avec Henri Van de Velde et « La faneuse », ou encore « La Guirlande de Roses » de Paul Sérusier (1864-1927) et ce tableau étrange et monumental qui nous accueille à l’entrée : « L’apothéose des chats à Montmartre » , des chats qui ont pris le contrôle de Montmartre, une inversion de l’ordre social dans une peinture décorative de Théophile-Alexandre Steinlen, 1859-1923, quelque peu inquiétante, ou encore Félix Bracquemont (1883-1914)
Une autre grande œuvre au format ovale, « Le grand Teddy » d’Edouard Vuillard, (1868-1940. Il s’agit d’un salon de thé parisien qui sera très à la mode dans l’après-guerre. Son travail est une décoration en miroir, où le panorama de la salle constitue le sujet du décor. C’est impressionnant de découvrir la profusion des détails : les mobiliers, les luminaires, les fauteuils, les personnages, des femmes surtout, très élégantes… Le peintre nabi capture avec brio l’univers intime et feutré de ce lieu.
On découvre encore Georges Lacombe (1868-1916, « Les âges de la vie », un thème récurrent si souvent traité dans l’histoire de l’art, et qui montre le gout du peintre pour l’ésotérisme.
Les avant-gardes du XXème siècle ne sont pas oubliés. Les choix d’Oscar Ghez ne sont pas seulement exigeants, l’homme a, avec une intuition remarquable, saisi les moments de bascule, les instants « »où la peinture s’invente un nouveau langage : fauvisme, école de Paris, Révolution cubiste…. Il y a les chefs de file, Matisse, Derain, Vlaminck, mais à la périphérie, on a d’autres artistes peu connus alors, mais dont la renommée n’a cessé de croitre. On pense à Henri Manguin 1874-1949 dont on admire son « Nu au canapé bleu, Anita Champagne« . L’exposition met également en lumière l’audace des fauves, avec notamment Raoul Dufy 1877-1953, dont on apprécie « le Marché à Marseille. » ci-après le lien qui relate l’exposition de 2022 à Caumont Centre d’Art.
Notre regard s’attarde encore sur un grand tableau étrange de Tsuguharu Foujita 1886-1968) Lupanar à Montparnasse, l’artiste décrit la vie nocturne de la capitale, mêlant des références japonaises et occidentales.
Le collectionneur s’intéresse encore à Gustave Caillebotte. Son Pont de l’Europe (nous y reviendrons plus loin) est l’un des chefs d’œuvre de l’exposition. A droite du tableau, un QR code renvoie à une vidéo, une étude approfondie qui nous permet d’en savoir un peu plus sur cette toile vraiment complexe.
« La collection inclut de nombreux artistes un peu à la marge de leur temps, notamment des femmes souvent victimes du machisme du marché de l’art. Oscar Ghez a acheté de nombreuses œuvres de femmes peintres comme Marie Bracquemond, Jeanne Hébuterne, Tamara de Lempicka ou Suzanne Valadon, bien avant que leurs carrières soient reconnues, » confient Emmanuelle Lussiez et Marjorie Klein, conservatrice de la collection du Petit Palais de Genève.
La dernière section montre la force créatrice des avant-gardes de l’École de Paris et cubiste. « Oscar Guez s’est arrêté aux années 30, l’art abstrait ne l’intéressant pas ». Commente Emmanuelle Lussiez. On est saisi par les figures puissantes et les portraits de femmes exposés ici, notamment Perspectives ou Les deux amies, thème audacieux pour l’époque, traité par Tamara de Lempicka. 1898-1980.
On reconnaît Marie Laurencin 1883-1956, avec La funambule, en équilibre sur un fil, et pourtant l’esprit « ailleurs ». Superbe toile encore de Nathalie Kraemer, 1891 – 1943 « La Femme au tabouret » d’une belle présence sculpturale. A savoir que l’artiste juive polonaise, réfugiée en France fut assassinée à Auschwitz en 1943.
Huile sur toile 146 x 97 cm
Association des Amis du Petit Palais, Genève /
Photo: Studio Monique Bernaz,
Suzanne Valadon 1865-1938, qui a souvent traité la nudité est présente sur les cimaises avec « Nu au canapé rouge « et « L’avenir dévoilé ou la tireuse de carte ». Voilà encore une artiste souvent sous-estimée. La mère de Maurice Utrillo est une coloriste hors pair et une figure essentielle de la naissance de la modernité.
Huile sur toile 80 x 120 cm
Association des amis du Petit Palais, Genève Collection : Association des Amis du PetitPalais, Genève
Jeanne Hébuterne 1898-1920, surtout connue pour avoir été la compagne d’Amadeo Modigliani, est-elle aussi une véritable artiste, trop longtemps restée dans l’ombre. Son Autoportrait est captivant, son visage vu de profil, son œil entouré de cerne qui nous fixe, son regard sombre, son teint laiteux, un fond décoratif qui évoque un kimono japonais, il y a chez cette artiste la volonté de s’inscrire dans la modernité picturale de son temps.
Dans la section cubiste, où l’on retrouve des œuvres de Picasso 1881 – 1973 dont « L’ Aubade » (1965) et un petit format « Personnages» récemment et exposée pour la première fois.
On revient sur des œuvres qui nous ont marquées, comme ce portrait de Berthe Morisot à la voilette » de Manet. Un tableau qui a quelque chose d’inquiétant avec ce voile noir qui assombrit et brouille les traits en créant une distance entre la dame et nous. Le regard du modèle aussi inquiet, il est comme filtré par cette dentelle sombre, inaccessible, autant que mélancolique. On est loin du portrait de Berthe Morisot au bouquet de violettes. Moins tourmenté, disons plus flatteur. Ici, Manet capte peut-être une tension, du tourment. C’est tout aussi beau, même si plus douloureux.
Je reviens encore sur une toile superbe Frédéric Bazille 1841-1870, « la terrasse de Méric », un tableau pourtant refusé au salon de 1867, tout comme Femme au jardin de Monet, que Bazille va acheter pour aider son ami. Tragique destin que celui de Frédéric Bazille, mort en 1870 pendant la guerre franco-prussienne. Peintre de grand talent et collectionneur éclairé !
Un choc visuel ! Gustave Caillebotte, Le Pont de l’Europe (détail), 1876, huile sur toile, 125 x 180 cm, Association des Amis du Petit Palais. ©Rheinisches Bildarchiv Köln.
huile sur toile, 125 x 180 cm,
Association des Amis du Petit Palais. ©Rheinisches Bildarchiv Köln.
Le tableau de Gustave Caillebotte est un chef-d’œuvre que tous les grands musées, Orsay en tête, rêvent de posséder. Dans le catalogue, Claude Ghez en livre une lecture : « Un ouvrier nonchalant, un chien surgit de nulle part, un couple énigmatique. Sont-ce de vieux amants ou s’agit-il d’une « transaction » tarifée ? Sur fond de structure métallique, la toile explose de modernité. » L’achat de ce tableau en 1957 en dit long sur la clairvoyance d’Oscar Ghez. À l’époque, Caillebotte est encore considéré comme un impressionniste de second rang : trop de personnages masculins, des cadrages trop photographiques, une obsession pour les scènes sportives en extérieur. Quand le marché de l’art commence enfin à le remarquer, Ghez possède déjà six de ses toiles et a, d’une certaine manière, contribué à sa reconnaissance. Comme toujours chez lui, le flair artistique va de pair avec le sens pratique.
Nous ne pouvons pas tout aborder, et il manque sans doute quelques peintres dans ce compte- rendu. Nous vous invitons à les découvrir car cette exposition, est un bel hommage à une collection singulière. A ne pas manquer !
COLLECTION OSCAR GHEZ
« Regards d’un collectionneur » : la nouvelle exposition à découvrir à Caumont-Centre d’Art, Aix-en-Provence
jusqu’au AU 22 mars 2026
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