Bien que les abus sexuels dans l’Église catholique de France aient déjà été largement divulgués, leur ampleur chiffrée établie par le récent rapport « Sauvé » glace d’effroi. Les remèdes suggérés pour la formation des prêtres ne manquent pas d’intérêt, mais à l’aune des crimes dénoncés, ils ont tout l’air d’emplâtres sur des jambes de bois.
Quand l’Église catholique se résoudra-t-elle enfin à mettre en cause ce qui constitue si évidemment le terreau de la criminalité en col romain, à savoir le célibat consacré ? La plupart des dignitaires de l’Église et leurs collaborateurs laïcs martèlent depuis des années l’argument que les mêmes faits se produisent au sein des familles, des écoles, des clubs sportifs, et sont donc sans relation avec le célibat des prêtres. Le rapport « Sauvé », qui lui aussi exonère le célibat, devrait suffire pourtant à démontrer que le fléau au sein de l’Église catholique est sans commune mesure avec les autres milieux. Tant qu’à proposer des comparaisons, pourquoi les catholiques ne se demandent-ils pas comment il se fait que les mêmes abus n’aient pas cours chez les protestants, les orthodoxes, les anglicans ou les Juifs ? Ne serait-ce pas tout simplement que les ministres du culte chez ces derniers sont des hommes et des femmes mariés ?
Le célibat consacré pour les prêtres est une règle introduite dans l’Église au XIIe siècle. Ce n’est nullement une contrainte voulue par le Christ. Selon les Évangiles, le Christ lui-même, suivant sa propre expression, s’était « fait eunuque » pour le royaume des cieux[1], c’est-à-dire pour sa mission de prophète itinérant qui « n’avait même pas un refuge où poser sa tête[2] ». Il n’a jamais imposé le célibat à ses disciples. Non seulement Pierre, le premier d’entre eux, les textes l’attestent, était marié, mais certainement la plupart des autres, comme il ressort des propos de Paul dans la première Épître aux Corinthiens[3].
L’abstention sexuelle s’est imposée comme une vertu plus tard, lorsque le christianisme, se répandant à travers l’empire romain, s’est constitué en doctrine dans le cadre intellectuel de l’époque dominé par la philosophie grecque. La dichotomie corps-esprit, étrangère aux conceptions bibliques qui animaient le Christ, imprègne la pensée grecque tout entière et culmine dans le néo-platonisme dont les chrétiens s’emparèrent, séduits par l’idée de l’Un indicible, le Dieu unique, que les héritiers de Platon érigeaient en principe ontologique premier. Si l’être humain veut rejoindre ce principe suprême au-delà de toutes les réalités terrestres, il doit par conséquent se libérer de l’emprise de son corps.
Au tournant des 4e et 5e siècles, les Confessions de saint Augustin expriment de manière saisissante le drame de qui cherche à vivre selon la volonté de Dieu : il doit se défaire de la chair. Rupture cuisante pour Augustin dont les jeunes années sont marquées par une sexualité débordante. Renoncer au corps, c’est donc, pour lui, renoncer à la femme. Il renvoie celle avec laquelle il vécut treize ans, rechute avec une concubine pendant deux ans encore, puis enfin fait ceinture, devient prêtre, puis évêque.
Quelques siècles encore et la règle si douloureuse du célibat qu’il s’est imposée s’imposera à tous les clercs, comme l’aboutissement disciplinaire de ses conceptions, qui imprègnent l’Église à l’aube du Moyen Âge. Pas de femme pour le prêtre dont la vie doit être vouée à Dieu seul. On ne saurait vivre avec Dieu et avec une femme.
Hélas ! Qui veut faire l’ange fait la bête. L’Église catholique, si prompte à dénoncer ce qu’elle estime contraire à la loi naturelle, devrait savoir que l’absence de vie sexuelle est contre nature. C’est même une insulte à la volonté du Dieu de la Genèse qui, en créant les êtres humains « à son image », « les fit homme et femme ». Les clercs, engagés sincèrement dans la vie sacerdotale, ne tardent pas à constater que le sacerdoce ne les a pas débarrassés de leur libido. Si la femme reste l’interdit par excellence, les homosexuels du clergé s’en tirent sans dommage, mais il y en a d’autres, trop nombreux qui, profitant de leur autorité sur les enfants, tombent dans le dérivatif abominable de la pédérastie.
Ceux qui pensent que le Christ parle par leur bouche quand ils articulent consciencieusement « Ceci est mon corps » feraient bien de se souvenir d’une autre de ses paroles : « Si quelqu’un en vient à scandaliser un de ces petits pleins de confiance, mieux vaut lui attacher au cou une meule à âne et le jeter à la mer[4]. »
[1] Matthieu, 19,12
[2] Matthieu, 8, 20
[3] 1, Corinthiens, 9, 5 : « Ne pourrais-je pas moi aussi emmener avec moi une femme chrétienne, comme les autres apôtres, les frères du Seigneur et Céphas ? »
[4] Marc, 9,42
Illustration de l’entête: Fra Angelico – Le Christ aux outrages – fresque (détail) couvent San Marco. Florence.