Jour sans retour, le livre de Kressmann Taylor, avait été pensé, dès sa conception, pour servir d’œuvre de propagande destinée à montrer au public américain les agissements des nazis. Oh , pas les discriminations faites aux Juifs, francs-maçons ou autres communistes, mais à l’Église, protestante qui plus est ! Dans un pays aussi religieux que les États-Unis d’Amérique, les tentatives de main-mise sur l’Église sont intolérables, le spirituel n’est pas le temporel, la foi ne doit, ne peut pas être au service d’une idéologie païenne.
En effet, en 1942, Kathrine Kressmann Taylor (connue alors pour son opposition au nazisme grâce à son livre Inconnu à cette adresse) est alors sollicitée par le FBI pour recueillir le témoignage d’un pasteur allemand, Léopold Bernhard, qui a fui son pays face à la montée du nazisme. Elle met tout son talent pour en faire une fiction (il y avait trop de risques à mettre de vrais noms, surtout pour ceux qui étaient encore en Allemagne) centrée autour de la défense de la religion et la dénonciation du nazisme.
Bon, Pearl Harbor étant survenu avant la parution du livre, et après ce choc, l’opinion publique avait changé, les Américains ouvrant les yeux sur la situation du monde et comprenant enfin toute l’horreur de l’idéologie nazi. Dès lors, il nous reste un roman d’une force, d’une intelligence remarquable, sur un thème peu connu de ces années noires pour l’humanité.
Karl Hoffmann est l’unique fils d’un pasteur d’une des plus importantes paroisses d’Allemagne. Il a une enfance protégée, marquée par une éducation du siècle passé, avec son conservatisme, ses rituels, ses interdits, ses codes qui le préparent assez mal à affronter la nouvelle société de la république de Weimar. Aussi, conscient qu’il a une vraie vocation, il prend la décision de faire des études de théologie pour devenir pasteur. Il est alors confronté à la politique, d’autant que les nazis, insidieusement remettent progressivement en cause tous les privilèges multi-centenaires de l’Université. Il comprend que de fait, il ne s’agit pas d’une idéologie politique mais d’un nouveau dogme religieux que l’on veut imposer aux Allemands. Dogme autour de la pureté du sang et de l’arianisme.
Karl comprend très vite la menace pour le pays : « Dans la violence de leur foi, les nazis ressemblaient aux missionnaires de jadis. Je commençais à remarquer une étrange glorification du Führer : Hitler était leur Dieu. Je me demandais quand cette nouvelle religion en viendrait à affronter ouvertement l’ancienne. ».
Mais au début il est bien seul, même son père ne l’approuve pas car l’église ne doit pas se mêler de politique. Et quand bien même, elle est bien plus forte qu’un gouvernement, son histoire basée sur la tradition ayant démontré sa force et sa puissance de résistance.
Se faisant, l’ennemi progresse sournoisement, les dignitaires discutent, font des concessions sans s’apercevoir que le piège s’est refermé sur eux. Quand ils pensent à réagir, il est trop tard, au sein de l’église unifiée imposée par Hitler, un groupe « les chrétiens allemands », a pris le pouvoir et veut imposer une théologie basée sur la supériorité de la race allemande et de l’arianisme, occultant les racines et fondements juifs de la Bible. Ainsi, ceux qui ont du sang juif sont exclus de la communion, certains pasteurs zélés remplacent le Christ en croix par le portrait d’Hitler, on fait disparaitre Saint Paul des textes sacrés, etc. De fait, on veut transformer l’Église en une simple division du gouvernement.
La résistance se met en place, l’université se montre rebelle, une église clandestine, l’Église confessante basée sur la charité et l’amour de l’autre se met en place. Mais le système politique est implacable, arrestations arbitraires, disparitions, mises en camps de concentration sans jugement, voire assassinats, se multiplient. Aussi, malgré sa volonté de se battre dans sa patrie, Karl est alors obligé de partir en exil.
Voici donc un livre remarquable exposant les tentatives de résistance de certains, non pour des raisons politiques, mais au nom de leur foi, de leur croyance religieuse, au nom de l’humanité face à la violence aveugle d’une idéologie fondée sur la haine et la violence. On perçoit très bien, le climat de terreur qui régnait en Allemagne à cette époque, les lâchetés, l’aveuglement de certains même des plus cultivés. Mais aussi les manipulations de la société par les nazis qui savent parfaitement flatter l’orgueil de la population. Difficile d’imaginer l’inimaginable. C’est pour cela même que l’on ne peut qu’inviter tous ceux qui ne connaissaient pas ce livre à se précipiter chez leurs libraires pour en acquérir la nouvelle édition que viennent de publier les éditions Autrement (12€ seulement).
Or rares furent ceux comme Karl, à être assez lucides pour percevoir le danger, et comment furent-ils impuissants face à la violence que les nazis, en peu de temps, réussirent à instaurer dans ce pays. Mais, il y a une force plus grande que l’idéologie qui transcende bien des êtres. Cette force, la foi, la force de l’esprit, se dressent (se dresseront toujours) contre la tyrannie : « ceux qui croient à la force physique peuvent conquérir, mais ils ne gagnent pas. Ils n’ont pas d’arme qui puisse pénétrer les esprits. » Citation d’une grande vérité, il suffit de voir la force des Églises dans les anciens pays communistes.
Quand on a fini de lire Jour sans retour, comment ne pas faire raisonner en soi l’extraordinaire poème du pasteur Martin Niémöller, cet homme courageux, placé en camp de concentration car prêchant dans les temples contre la barbarie nazi et que Karl rencontre :
« Quand ils sont venus chercher les communistes,
je n’ai rien dit. je n’étais pas communiste
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
je n’ai rien dit. je n’étais pas syndicaliste
Quand ils sont venus chercher les juifs,
je n’ai rien dit. je n’étais pas juif
Quand ils sont venus chercher les catholiques,
je n’ai rien dit. je n’étais pas catholique
Et, puis ils sont venus me chercher.
Et il ne restait plus personne pour protester.«
Jour sans retour
Kressmann Taylor
Éditions Autrement 12€
Illustration de l’entête: 13 juin 1936, lors de l’inauguration d’un navire en Allemagne, perdu dans la foule et seul des ouvriers du chantier naval de Blohm+Voss à Hambourg à ne pas faire le salut nazi. Bien seul…oui bien seul.. On ne saura jamais qui fut cet homme. Source : Suddeutsche Zeitung/Rue des Archives