Il est là face à nous ce mercredi 3 août, le colosse aux doigts d’or, Arcadi Volodos ! Droit comme un I, tout de noir vêtu, l’air grave, il est déjà dans son récital Schumann/Schubert. Le quinquagénaire les fréquente depuis longtemps déjà.
Schumann : Scènes d’enfants opus 15 ; Schubert : Sonate n°19 en ré majeur opus 53 D. 850.
Le grand répertoire pianistique au programme ce mercredi soir a tellement été joué, que d’aucuns s’interrogent à l’issue du concert. « Pourquoi ce choix ? Le grand pianiste n’a pas pris de risque ! » D’autres mélomanes ne sont pas de cet avis : « Ces œuvres comportent tellement de pièges, c’est toujours risqué, car elles sont tout sauf faciles ».
Notre avis est mitigé, au début tout au moins. C’est vrai que nous étions au Grand Théâtre de Provence, en octobre 2021 et Arcadi Volodos proposait déjà ce programme avec la sonate pour ouvrir le récital et les « Scènes d’enfants » de Schumann à sa suite.
Pas moins de cinq bis également, avec comme souvent, Scriabine, deux poèmes op.71, et Monpou, Musica Callada lento. Il a choisi ce mercredi d’offrir Schumann : Scène de la forêt op.82, 7 – L’oiseau prophète – et Liadov : Prélude op.40 n°3 en ré mineur. Des Bis qui sont magnifiques, un vrai cadeau, et là encore, nous sommes interloqués par ces gens qui partent avant la fin ! Une envie pressante… de regagner leur voiture ? Il est pourtant indiqué sur le programme, que « Par respect pour les artistes et le public, nous vous remercions de ne pas quitter votre place avant la fin des bis »
Ils auront perdu ce pur moment de bonheur, un concert dans le concert.
Revenons à Schumann.
On les aime ces « Scènes d’enfants » et on ne se lasse pas d’écouter ce chef d’œuvre de poésie. A préciser que cette musique composée de 13 courtes pièces ont été écrites par un Schumann déçu sur le plan sentimental et elles ne s’adressent pas spécialement à des enfants, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer. Elles sont pour certaines d’entre elles très difficiles à interpréter, comme cette première, « Gens et pays étrangers » dans laquelle Arcadi Volodos s’engage avec prudence, trop peut-être car on reste un peu à la « frontière » de ce pays lointain. Cela ne va pas durer ! Déjà, comment ne pas être séduit par la virtuosité du pianiste, son art du phrasé. Il ne souligne pas tout, nous donne juste des pistes afin qu’on le rejoigne. C’est ce que l’on fera du reste sans peine. De plus en plus élégant dans la simplicité, Arcadi Volodos déploiera des couleurs superbes à ces miniatures, nous chahutera par moments, (dans la rêverie), nous invitera dans sa « Curieuse Histoire » jouée avec naturel et facilité et juste ce qu’il faut de malice. Ces « Scènes » glissent avec naturel, elles nous parlent, comme ce point culminant qui couronne ce cycle « Le poète parle » . Il est joué simplement, sans mièvrerie, sans minauderie. On savoure ! Entre chaque pièce, peu de silence, comme si le pianiste ne voulait pas laisser place aux applaudissements. Il faut dire que, dès la première scène, très courte rappelons-le, le public applaudit ! Sans vouloir brimer l’auditoire, un cycle comme celui-ci, dans lequel les courtes pièces sont censées s’enchainer, l’élan pourrait être coupé… 13 fois ! Cela gêne forcément la concentration de l’artiste.
Et nous voilà dans l’intimité de Schubert. Pas d’entracte, juste une courte pause.
Avec cette Sonate n°19, la séduction opère toujours et la vélocité est juste déconcertante ! Les passages les plus époustouflants sont livrés avec une telle facilité. Depuis le début du concert, Arcadi Volodos semble d’une sérénité et une gravité inébranlables. Pourtant, on le voit bien, le pianiste est carrément « entré dans la partition », son visage s’illuminant et se colorant de ses humeurs, entre fougue et rêverie. Depuis quelques temps, on a l’impression que la notion de temps fait davantage partie de ses interprétations, que le silence s’installe davantage encore, qu’il fait le « vibrer ». Dans cette sonate, tellement exigeante, rien n’est rien surjoué par Arcadi Volodos. Pourtant ce pourrait être le piège, tant elle est riche en éléments pianistiques variés. Arcadi Volodos a créé son propre univers, jouant du piano avec son cerveau et son cœur ! Et justement, c’est la main sur le cœur qu’il remercie le public à la fin du concert. Il peut enfin sourire, et cela lui va bien !