Situé au bout d’une allée bordée d’arbres dans le quartier de la Nouvelle Athènes au cœur du neuvième arrondissement de Paris, le Musée de la Vie romantique[1] a pris le parti d’ouvrir sa programmation au-delà du XIXème siècle en poursuivant le dialogue entamé avec l’exposition collective Cœurs, du romantisme dans l’art contemporain en 2020, entre le romantisme et la création contemporaine, en résonance avec les collections du Musée, à laquelle Françoise Petrovitch avait participé.
Elle revient, cette fois seule, au Musée de la vie romantique pour l’exposition Aimer Rompre, du 5 avril au 10 septembre 2023, présenter une quarantaine d’œuvres inédites créées spécialement pour le musée, dans l’atelier du musée où elle s’est installée pendant quelques mois.
Dans ce parcours l’artiste établit un dialogue avec les œuvres accrochées aux murs du musée, hantées par le souvenir de Georges Sand et de nombreux artistes[2] qui se retrouvaient autour d’Ary Scheffer[3] dans les salons feutrés de ce pavillon 1830. Elle reprend à son compte les thèmes de la nature et du sentiment amoureux, chers aux romantiques, en les réinterprétant à travers un regard contemporain.
Née en 1964 à Chambéry, Françoise Pétrovitch commence à dessiner dans les marges de cahiers d’écolières, datant de 1940, trouvés au Salon des vieux papiers. Après des études aux Arts Appliqués de Lyon et à l’École Normale Supérieure de Cachan, elle s’intéresse à la gravure puis à la poterie mais gardera une prédilection pour le dessin. L’univers onirique déployé par l’artiste imprègne toute son œuvre quelle que soit la technique ou le support utilisé : peintures à l’huile, fresques, sculptures ou céramique. Ses lavis d’encre entre taches vaporeuses et lignes claires dont les effets visuels reposent sur le temps de séchage des encres utilisées, lui offrent le moyen de matérialiser sur le papier le rapport au temps qui passe, à la fragilité du moment, à la fois éternel et flottant, que l’on retrouve dans ses paysages imaginaires, insaisissables, images oniriques qui s’estompent au réveil.
L’exposition propose une première immersion dans l’atelier-salon présentant le travail de l’artiste pour le musée. La salle basse du grand atelier, dont le sol est recouvert d’une moquette imaginée par l’artiste, est consacrée aux paysages. Une quinzaine de lavis d’encre sur papier[4] évoquent des forêts et des Iles imaginaires désertes et inquiétantes, entre ciel et eau, eau et terre, peuplées d’étranges figures humaines à la présence silencieuse, dont la chevelure se métamorphe jusqu’à se confondre avec la végétation. On pense aux vues rêvées des peintres romantiques et à la technique de la « dendrite »[5] utilisée par de George Sand pour ses paysages accrochés aux murs du pavillon, mais aussi à L’île aux morts du symboliste suisse Böcklin, son contemporain. Ces paysages énigmatiques font écho au nouveau regard porté par les romantiques sur la nature au XIXe siècle, un regard empreint d’une certaine mélancolie.
La salle haute du grand atelier présente des toiles de grand format, conçues parfois en diptyque, sur le thème de l’adolescence et de l’entre-deux : entre enfance et âge adulte, force et vulnérabilité, angoisse et merveilleux, humour et gravité. Entre-deux marquant le vide irréductible qui sépare ces couples d’adolescents aux yeux clos, baissés ou fixées ailleurs, silencieux et inquiétants dont les corps en pleine métamorphose oscillent entre masculin et féminin, vie et mort.
Les toiles de Françoise Pétrovitch nous plongent dans les eaux troubles et bouillonnantes de l’adolescence loin de l’inséparabilité des amants romantiques, c’est l’incertitude des sentiments et la solitude partagée qui l’emporte dans cette interprétation contemporaine qui questionne le lien qui unit deux êtres.
Un ensemble de dessins, de plus petit format, accompagne ces grandes toiles montrant des figures féminines énigmatiques et des détails de mains. Ces dessins expriment un double désir de figurer à la fois une forme de beauté colorée et l’ombre d’une perturbation repérable dans les fragments.
Dans les petits et grands salons du Pavillon, les œuvres de l’artiste, disséminées parmi les œuvres du XIXe siècle, se déclinent dans une tonalité rose. Dans ces portraits de jeunes femmes dont l’une avec sa cigarette fait un clin d’œil au cigare de George Sand, et l’autre, les yeux clos, évoque l’intériorité. Un couple de chiens rappelle le thème du double cher à l’artiste.
Enfin, dressée au centre du jardin, L’ogresse, la sculpture d’une jeune fille dressée sur un socle tenant entre ses dents un os, peut-être celui d’un ogre sorti tout droit d’un conte d’enfant, interpelle le public en jouant des codes traditionnels de la représentation du pouvoir et en annonçant le triomphe du féminin.
On ressort de cette invitation au rêve à la fois émerveillé mais aussi avec un sentiment d’inquiétude généré par le regard lucide de l’artiste porté sur la jeunesse et sur l’incertitude de ses sentiments. Une très belle exposition à ne pas manquer.
[1] 16 rue Chaptal, 75009 Paris.
[2] Rosini, Chopin, Dickens, G. Sand, Delacroix, Victor Hugo, Liszt, et la cantatrice Pauline Viardot, pour ne citer qu’eux.
[3] Ary Scheffer (1795-1858) est un peintre romantique d’origine hollandais installé à Paris dans le pavillon qui deviendra Le musée de la vie romantique.
[4] Françoise Petrovitch, Île, 2023, lavis d’encre sur papier, A. Mole, Courtesy Semiose, Paris.
[5] La dendrite est une technique « d’aquarelle à l’écrasage » utilisée par Georges Sand pour ses paysages. Elle consiste à retoucher au pinceau ou à la plume une forme abstraire obtenue par pliage de taches d’encre, de gouache ou d’aquarelle projetées sur un papier mouillé.
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Exposition Françoise Petrovitch
Aimer Rompre
Jusqu’au 10 septembre 2023
Musée de la Vie romantique. Hotel Scheffer-Renan. 16, rue Chaptal. 75009 Paris
Illustration de l’entête: Françoise Pétrovitch, Sans titre, 2023, huile sur toile, diptyque, 240 x 320 cm © A. Mole, Courtesy Semiose, Paris © Adagp, Paris, 2023.