Notre revue de presse s’est intéressée à cette vente de la collection de Gérard Depardieu prochainement à l’Hôtel Drouot à Paris. On le savait un immense comédien, on le découvre un très grand collectionneur. Monsieur Depardieu, avec panache, chapeau bas !
Il n’est ici question d’aborder Gérard Depardieu que du point de vue du collectionneur. Évidemment. Et déjà le sujet n’est pas mince, tant l’acteur a maintenu la discrétion sur cette passion, et combien il a réuni un ensemble d’une rare qualité, à l’encontre totale des tendances de son époque, aussi rugueux que passionnant, qui nous embarque au cœur de la réflexion des artistes sur la création. Il était – pour sa grande majorité – abrité dans l’hôtel particulier de la rue du Cherche-Midi, acheté en 1994 et entièrement restauré en respectant les principes de sa construction au tout début du XIXe siècle. L’article de Raphaëlle Bacqué et Samuel Blumenfeld publié dans Le Monde du 17 juillet dernier cite l’apostrophe lancée un jour par la réalisatrice Josée Dayan : « Je ne comprends pas pourquoi tu as tant besoin d’argent… Tu roules à scooter, tu es mal fagoté. » La réponse est dans le soin méticuleux apporté à l’aménagement de sa thébaïde urbaine, mais aussi pour partie dans la réunion de sa collection de sculptures et de peintures des plus grands noms du XXe siècle. Des œuvres pour la plupart simplement posées par terre dans le vaste séjour qui lui sert de lieu de vie, cœur palpitant d’une résidence devenue trop grande, façonnée par le peintre et architecte Bernard Quentin – une rencontre, là encore, transformée en amitié.
Des sculptures comme un parcours de vie
À ses 16 ans, le psychologue d’une prison lui dit qu’il a des mains de sculpteur. C’est le déclic, il sera artiste, mais pas derrière une sellette, sur les planches. Ses cachets lui permettront de s’offrir les sculptures qu’il n’a pas créées. L’Homme qui marche de Germaine Richier (500 000/800 000 €, (voir au bas du texte) est certainement la pièce la plus puissante de l’ensemble. Outre qu’il s’agit d’une œuvre majeure dans le parcours de son autrice, elle plonge le spectateur dans sa réflexion sur la figure humaine, sur les peurs de chacun aussi. Tout comme les trois bronzes d’Auguste Rodin, acquis par l’acteur après avoir incarné le sculpteur dans le Camille Claudel réalisé par Bruno Nuytten : Paolo et Francesca (30 x 60 x 29 cm, 60 000/80 000 €) est ainsi proposé dans un tirage de 1982 du musée Rodin. La Valse de la sculptrice maudite est la seule pièce que Gérard Depardieu ait souhaité conserver. Ce n’est certainement pas un hasard. La frontière est mince entre les arts, le septième et le deuxième se rejoignent aisément…
D’Ossip Zadkine, il a retenu une implorante Femme agenouillée de 1922 (50 000/80 000 €), une terre cuite travaillée comme une pierre, et de Diego Giacometti, une bucolique Promenade des amis, une épreuve en bronze à deux patines (29,7 x 60,9 x 4 cm) du modèle créé en 1976 (150 000/200 000 €). Lorsd’un voyage au Sénégal, il rencontre Ousmane Sow. L’échange entre ces deux colosses se conclut par l’achat d’un bronze monumental, La Danseuse aux cheveux courts, estimé 60 000/80 000 €. Aucun rapport stylistique, semble-t-il, ne relie ces différents artistes, sinon le principal : une inextinguible soif de créer.
Le goût du geste
Les peintures se comptent par dizaines, entassées contre les murs et déplacées au gré des envies, notamment les vingt-trois toiles d’Eugène Leroy, un artiste auquel personne – ou peu – ne prêtait attention lorsque Gérard Depardieu, qui ne l’avait jamais rencontré, a décidé d’acheter l’ensemble, en bloc, au docteur Philippe Laloy. La découverte de ses œuvres avait été un choc, car « Eugène Leroy, c’est un géant devant ses questions », dit-il. Le Paysage à la fenêtre de ce membre éminent du groupe de Roubaix a fait la couverture de notre numéro de rentrée, celui du 1er septembre.
Il s’agit là d’« une collection dans la collection », explique le commissaire-priseur Xavier Dominique.
Les peintures livrent la passion du comédien pour l’art du XXe siècle, mais pas pour n’importe lequel. Un choix très pointu, affichant une affection particulière pour certains, notamment les tenants de l’abstraction lyrique, d’Hans Hartung – dont la Composition T.1971-E20 est attendue entre 50 000 et 80 000 € – à Olivier Debré. Lumineux, le Bleu léger aux taches lourdes (25 000/30 000 €) de ce dernier révèle pourtant une part d’ombres. « Il n’y a rien d’intellectuel et surtout rien de spéculatif.
Il y a simplement une chose qui te touche, des bleus, une forme, des choses qui te rappellent des peintures », justifie le comédien. On trouve encore deux Composition d’André Lanskoy des années 1950 (20 000/30 000 € chaque), un Gérard Schneider de 1946, Opus 316, estimé 25 000/30 000 €.
Lorsqu’il aime, il multiplie : cinq Alexander Calder – dont une gouache L’Étoile à 60 000/80 000 € –, cinq flamboyants Bengt Lindström, autant de Jean Hélion – dont on retient la Suite machinale pluvieuse, venteuse, etc., une toile de 1977 (81 x 116 cm, 25 000/30 000 €). « Il maîtrise son sujet, il sait ce qu’il possède », explique encore Xavier Dominique, qui insiste sur « sa faculté de s’intéresser à des choses qui ne sont ni à la mode, ni chères ». De fait, les noms des grands tenants de l’art moderne en côtoient de plus confidentiels, par exemple Marco Del Re et Aki Kuroda, deux poulains de l’écurie Maeght.
Images intérieures
Il faut ici s’arrêter sur les vingt-trois encres d’Henri Michaux. L’écriture graphique de cet inclassable poète des mots et des formes cherchant à fixer ses hallucinations ne pouvait que séduire celui se plaisant à clamer qu’il « aime voir le trait. » La boulimie de « peindre, composer, écrire : me parcourir. Là est l’aventure d’être en vie » du premier fait écho au constat du second : « Il y a beaucoup de choses qu’on ne peut pas dire sur l’art parce que pour moi, l’art, c’est la vie. Moi je n’ai que la vie. »
On le répète, il n’y a pas de hasard dans la construction de cette collection. Gérard Depardieu a souvent suivi la route d’Alexandre Dumas, l’écrivain rabelaisien lui seyant parfaitement. C’est sur ses traces, dans la vaste région montagneuse allant de la mer Noire à la Caspienne, et avec pour seul guide son Voyage au Caucase, qu’il rencontre la famille de la peintre Maryam (née en 1991) et se lie avec elle. Aussitôt, il achète les toiles colorées et lumineuses de cet électron libre, née avec un chromosome en plus ; onze sont ici attendues entre 1 500 et 6 000 €. Car pour lui il n’est question en art que de cela : être touché au plus profond. Niki de Saint Phalle fait également partie des artistes féminines de la collection. Elle est présente avec La Vache jaune de 1959, une œuvre forte et tout en matière, annoncée à 50 000/80 000 €. En 2019, l’acteur avait déjà fait appel à la maison Ader pour disperser le mobilier de son restaurant, La Fontaine Gaillon. L’ensemble d’aujourd’hui, fort de 250 numéros, est estimé entre 3 et 5 M€, « en se fondant uniquement sur la valeur des œuvres sur le marché » explique Xavier Dominique. Quel sera l’impact de « l’effet » Depardieu ? Réponse dans les salles de l’Hôtel Drouot très prochainement.
La quête de l’humain
Œuvre à la fois unique et emblématique, cette sculpture, comme annotée, est la seule épreuve d’un agrandissement effectué en 1961 par le fondeur Susse à partir de L’Homme qui marche, créé en 1945 par Germaine Richier. Presque grandeur nature, elle trônait au centre du salon de Gérard Depardieu. Comme toutes ses acquisitions, l’acteur réalisa celle-ci par instinct, séduit par la violence des émotions qui émanent de ce bronze. Il s’est naturellement attaché au travail de cette artiste, première femme exposée de son vivant au musée d’Art moderne de Paris, et qui a forgé durant les dix dernières années de sa courte carrière une nouvelle représentation artistique de la figure humaine.
Étudiante aux beaux-arts de Montpellier puis dans l’atelier d’Antoine Bourdelle de 1926 à 1929, où elle occupe la place privilégiée de seule élève particulière, elle commence à sculpter dans les années 1930 des modèles masculins et féminins suivant la tradition française du bronze, dans la lignée de ces grands représentants du début du siècle qu’étaient Auguste Rodin et son maître.
« Plus je vais, plus je suis certaine que seul l’Humain compte et qu’il y a très peu de vérité dans notre vie », écrivait Germaine Richier dans une lettre de 1956 à Hermann et Anna Hubacher. Au fil des années, à la force de l’outil et de ses mains modelant la terre, Germaine Richier creuse dans ces corps, parfois même les troue – comme on peut le voir au niveau des tempes de L’Homme qui marche –, à la recherche de la vérité, basculant alors du réalisme au surréalisme. C’est pendant la guerre qu’elle réalise cette sculpture, alors installée à Zurich en Suisse.
Elle reprend un thème déjà usité par Rodin, et bientôt par Alberto Giacometti, livrant sa propre version, plus animale et gauche avec ce corps imposant et ces bras désœuvrés, auxquels s’oppose la petite tête difforme. L’œuvre marque ainsi une étape importante de son travail, qui la mènera bientôt vers des êtres hybrides, au-delà de l’humain, évoquant la fusion des différents règnes. Cette création de son temps révèle également la vie intérieure de l’homme, ses peurs et ses angoisses à la sortie d’une guerre mondiale.
Caroline Legrand
Article publié dans La Gazette Drouot
COLLECTION GÉRARD DEPARDIEU – PARTIE 1 : TABLEAUX MODERNES, SCULPTURES
Mardi 26 Septembre 2023 – 18:00 (CEST) – Live
Salle 1-7 – Hôtel Drouot – 75009
Ader
Illustration de l’entête: Buste de Gérard Depardieu / Guy Le Perse, né à Roubaix en 1953. Plâtre original / H: 43 X L: 49cm
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