Il faut être québécois, voire canadien, pour connaître, ou tout au plus avoir entendu parler dans un cours de géographie, de l’île Népawa sur le lac d’Abitibi, île reliée au reste de la province par un pont construit sous les ordres du grand-père de l’auteur.
C’est donc sur cette île que Julien Pelletier, romancier québécois installé aujourd’hui en France, passe son enfance. Son père est comme les autres hommes résidant dans l’île, bûcheron, sa mère s’occupe de la famille. Ils sont pauvres (d’autant que le père boit une grande partie de son salaire). La vie est rude l’hiver quand le thermomètre descend largement sous le zéro (nous sommes dans la période que les Canadiens ont nommé «la Grande Noirceur»). Le moins que l’on puisse dire c’est que les marques d’affection sont totalement absentes dans le foyer, et plus d’une fois le père est souvent violent avec ses enfants, sa femme et même son entourage. Et puis, il y a le poids de la religion, omniprésente, qui est plus un code social de façade qu’un engagement spirituel.
La famille finit par partir de cet endroit fruste et glacial. La mère s’émerveille de la modernité de leur nouveau logement : il y a des placards dans la cuisine! Quoiqu’il en soit, le père tombe malade et finit par quitter le domicile familiale sans donner d’adresse.
Le jeune Julien Pelletier commence une vie loin des codes dans lequel il a été élevé. Ayant très vite abandonné les études, il cumule les « petits métiers » sans diplôme : maçon, mineur, serveur, etc. Pour se faire de l’argent il part au Maroc pour acheter du hachisch, ce qui lui vaut un séjour de trois mois dans les prisons locales. Revenu au Canada, il repart en Europe : la France et plus particulièrement la Bourgogne puis la Grèce où il est pêcheur, etc. Mais son but est l’Inde où il se rend pour séjourner dans un ashram. Nous sommes dans les années soixante dix. Julien Pelletier est hippie, il lit Debord comme Kérouac. Il fume et consomme toutes sortes de produits stupéfiants, cumule les aventures amoureuses.
Toutes ses expériences le transforment et revenu au Canada, il s’inscrit à la faculté, revient en France et contre toute attente, finit par devenir expert en sociologie du travail. Un métier que son milieu social ne lui eût jamais même permis de rêver.
De fait, son errance tant amoureuse que géographique fut pour lui le moyen d’accumuler des expériences pour progresser, aussi bien au tréfonds de lui-même qu’au sein de la société. Il ne subit pas la vie, il ne subit pas son positionnement social dans lequel il est né. Tout au contraire, il est acteur de sa vie, assume aussi bien ses réussites que ses échecs. C’est en devenant « marginal » par rapport aux critères dominants de la société, qu’il trouve sa voie pour revenir dans la société, mais pas à son point de départ, bien plus riche alors personnellement des leçons qu’il a su tirer de ses voyages, de ses expériences.
Pour réussir sa vie, il ne bénéficie d’aucun « ascenseur social », loin de là. Au Canada à cette époque c’est un concept qui n’existe pas. Non, il ne compte que sur lui-même, sur sa curiosité intellectuelle, sur son ouverture aux autres et sur sa volonté de réussir (ou d’échouer). Il ne demande rien aux autres; sa vie, son histoire, c’est lui et lui seul, qui en est l’acteur.
Une très belle histoire individuelle, un bon récit qui montre que malgré toutes les embûches, les difficultés, il faut sans cesse agir, progresser et ne jamais subir et démissionner.
Quand j ‘ai quitté l’île Népawa
Julien Pelletier
éditions Julliard. 20€
llustration de l’entête: Ile Népawa, photo Mathieu Dupuis/ Le journal de Montréal
Vous souhaitez réagir à cette critique
Peut-être même nous proposer des textes et d’écrire dans WUKALI
Vous voudriez nous faire connaître votre actualité
N’hésitez pas, contactez-nous !