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La Marche sur Rome ou quand l’Italie sombre dans le fascisme

par Philippe Poivret

 La marche sur Rome, marche des fascistes sur la capitale de l’Italie, est le moment clé de l’année 1922 où le destin de l’Italie se joue. Ce qui va se passer guidera le devenir de tout le pays jusqu’en 1945. Ce seront les vingt-ans du fascisme, le Ventenio fasciste. On est au début des années 20 et pour arriver au pouvoir, Mussolini va profiter de la faiblesse et même de l’absence de réponse de l’Etat. 

Emilio Lussu, député de Sardaigne, opposant à Mussolini, raconte cette période de l’histoire qu’il a vécue en tant qu’acteur politique et résistant dans un livre qu’il a intitulé « La marche sur Rome et autres lieux ». Publié pour la première fois en Italie en 1933, puis en France en 2002, 2009 et 2023, il montre la prise du pouvoir par un petit groupe déterminé face à une opposition bien trop molle 

Le traité de Saint-Germain, signé le 10 septembre 1919, un an après l’armistice qui met fin à la première guerre mondiale, n’accorde pas aux Italiens ce qui leur avait été promis. Le président Wilson qui dirigeait les Etats-Unis avait rédigé un manifeste de 14 points. Ce manifeste avait été retenu comme base de discussion. Il promettait, après la victoire des alliés, la Dalmatie aux Italiens où ils étaient majoritaires. Mais il n’en a rien été. L’Italie a ressenti douloureusement et comme une humiliation ce refus alors que les Italiens avaient chèrement payé cette victoire. Les douze batailles de l’Isonzo, un fleuve à la frontière nord-est du pays, en témoignent : les forces austro-hongroises visaient Trieste et le nord de de l’Italie pour descendre jusqu’à Rome. 300 000 Italiens et 200 000 Austro-Hongrois y ont perdu la vie de juin 1915 à septembre 1917. Si la dernière bataille fut perdue par les Italiens, elle fut aussi à l’origine d’un changement majeur de tactique qui débouchera sur la victoire finale. 

Mussolini était peu considéré par les anciens combattants qui jugeaient qu’il avait beaucoup appelé l’Italie à rentrer dans la première guerre mondiale mais ne l’avait pas beaucoup faite. Démobilisés, déconsidérés à leur retour de la guerre, ils ont fini, séduits par le talent oratoire et politique du futur Duce, par le rejoindre et constituer avec lui les faisceaux italiens de combat dont l’organisation était calquée sur l’organisation de l’armée de l’empire de Rome. Mussolini n’eut aucun mal à les transformer en un parti politique : le Parti National Fasciste. S’imposant par la force, ce parti était loin, d’après Emilio Lussu, d’être majoritaire en Italie. Il menaçait de marcher sur Rome ce qu’il finit par faire les 28 et 29 octobre 1922. Mal équipés, mal organisés, peu armés, les troupes fascistes ne constituaient pas une menace impossible à arrêter. Mais le Roi refuse de signer l’ordonnance instituant l’état de siège que le président du conseil Luigi Facta lui propose. Dès lors tout est joué. L’armée qui aurait pu les arrêter reste dans ses casernes, la police est immobile. Mussolini qui attendait la suite des évènements à Milan, pour pouvoir rejoindre la Suisse si les évènements ne tournaient pas en sa faveur, gagne la capitale et le Roi l’appelle pour former un gouvernement d’Union. 

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Mussolini est nommé Président du Conseil par le Roi. La chambre des députés, tétanisée, lui accorde les pleins pouvoirs. L’appareil d’Etat est maintenant aux mains du Parti National fasciste. Il va s’en servir largement. S’imposant par la force, jamais condamnés par des tribunaux ni par des magistrats aux ordres, jamais freinés par une police qui ferme les yeux et ignorants une armée muette, les fascistes imposent leur politique et leur idéologie. L’Etat doit être fort et l’opposition détruite. Emilio Lussu constate, ne comprend pas et regrette les conversions au fascisme qui se multiplient y compris au sein de ses amis et parmi les anciens opposants. L’huile de ricin coule à flots dans la gorge des récalcitrants. Appelée baptême patriotique, l’ingestion forcée de litres d’huile de ricin est censée laver les opposants de leurs péchés de résistance. Loin d’être réservées aux hommes, ces cérémonies s’appliquaient aussi aux femmes. Les fascistes avaient même inventé un instrument pour maintenir ouverte la bouche de leurs victimes. Et les exactions ne se limitent pas à ce genre d’humiliations, les assassinats politiques sont légion.

Marche sur Rome. La foule assiste aux émeutes et aux incendies

La dictature fasciste s’instaure définitivement en 1925, le Parti National Fasciste est le seul autorisé. Mussolini règne en maître. Hitler arrivera au pouvoir en janvier 1933, élu démocratiquement alors que Mussolini a pris le pouvoir par un coup d’Etat initié par la marche sur Rome et avec la complicité du Roi. 

Emilio Lussu raconte l’instauration de la dictature en Sardaigne. Pour lui, l’île était, elle aussi, majoritairement opposée au fascisme. Les combats ont été longs, le fascisme ne s’y est pas installé facilement. Opposant, il sera emprisonné en 1929 et déporté sur l’île de Lipari dont il s’évadera en compagnie de Carlo Rosselli et Francesco Fausto Nitti. Tous les trois rejoignent la France pour fonder le mouvement Giutizia e Libertà en août 1929. Carlo et son frère seront assassinés par des sbires fascistes à Bagnoles-de- l’Orne en Normandie en 1937. Emilio Lussu prend alors la tête du mouvement. 

Emilio Lussu

Avant et après les deux guerres, Emilio Lussu a eu un parcours politique compliqué et discuté. Partisan, avant la première guerre mondiale, de l’entrée en guerre de l’Italie, il n’adhère pas aux idées de Mussolini qui réclamait lui aussi l’intervention de l’Italie aux côtés des alliés.  Les perspectives politiques étaient radicalement opposées, lui était républicain alors que Mussolini réclamait la disparition de la République. Il participe à la Première Guerre mondiale en tant qu’officier, est décoré quatre fois et promu au grade de capitaine de la Brigade Sarde composée de paysans et bergers sardes. En 1916, sa brigade participe aux combats sur le plateau d’Asiago à la frontière nord de l’Italie au-dessus de Vicence en Vénétie. L’armée italienne avait résisté à une attaque des forces austro-hongroises qui visaient Venise pour couper les communications avec les troupes qui se battaient sur l’Isonzo Il racontera ces batailles dans « Les hommes contre » publié en 1938. 

 Contrairement aux idées pacifistes qu’il développe après la première guerre mondiale, il participe à la guerre d’Espagne du côté républicain, sans toutefois porter les armes en raison de problèmes de santé. 

Après la Seconde Guerre mondiale, il sera ministre dans plusieurs gouvernements dont un dirigé par Alcide De Gasperi et sera élu sénateur à quatre reprises de 1948 à 1963 sous l’étiquette du Parti Socialiste Italien. Il quitte ce parti en 1964 pour rejoindre le Partito Socialista Italiano di Unità Proletaria qui voulait maintenir une alliance avec le Parti Communiste italien alors que la majorité du Parti Socialiste Italien soutenait le gouvernement en place, lui avait accordé un vote de confiance et s’était éloignée du Parti Communiste après l’entrée des chars russes à Budapest en 1956. 

Farouchement attaché à son île natale mais républicain et refusant les idées indépendantistes sardes dont il avait été proche, il défendra toujours les paysans et ouvriers de son île et votera les quelques prérogatives que l’Etat italien accordera à la Sardaigne. 

Il se retire de la vie politique en 1968 et meurt à Rome en 1975 où il repose avec son épouse.

Témoin direct de la prise de pouvoir par Mussolini, ne déviant jamais d’une opposition absolue au fascisme, Emilio Lussu nous fait comprendre combien la démocratie est fragile et qu’elle doit pouvoir se défendre contre celles et ceux qui veulent un pouvoir fort, sans opposition ni contestation pour imposer une politique et une philosophie qui ne supportent pas la moindre opposition.

La marche sur Rome et autres lieux
Emilio Lussu, préface de Antonio Tabucchi, postface, notes, chronologie et biographies établies par Paolo Romani
éditions du Félin, 2023, 288 pages. 11€90

Illustration de l’entête: Archivio Luce

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