Les éditions Rivages viennent de republier dans leur collection de livres de poche Avoir et se faire avoir de l’excellente écrivaine américaine Eula Biss. Si vous ne l’avez pas lu, voilà une (très bonne) occasion de pouvoir le faire sans vous ruiner, à peine 9,50 euros, cela ne vaut pas la peine de prendre des risques en le volant !
Ce livre est une sorte de journal tenu au quotidien qu’elle tient depuis qu’elle a acheté une maison avec son compagnon. Elle met sur le papier toutes les interrogations qu’elle se pose en tant que membre de la classe moyenne américaine (le couple est enseignant (non titulaire, nous ne sommes pas en France !) dans une université. De fait, elle se pose des questions sur le système économique et social américain avec une lucidité qui explique en grande partie les difficultés qu’un Français rencontre quand il veut s’installer et travailler Outre-Atlantique. On parle plus de la minorité qui y réussit et jamais de la majorité qui revient après quelques années rarement épanouissantes.
Elle se pose des questions sur le capitalisme, avec un fort regret que les théories, toutes les théories de Galbraith soient devenues lettres mortes avec la transformation du capitalisme tourné vers l’industrie et la création de biens matériels en capitalisme purement financier basé sur la spéculation. En même temps, elle reconnait qu’elle est pleine de contradictions comme la nécessité de devoir spéculer si elle veut avoir une retraite. Elle déplore cet état de fait (et bien d’autres) mais ne peut s’en passer car elle est avant tout américaine vivant au XXIè siècle. On ne peut échapper à son entourage, tout au plus agir, chacun à sa place, pour le faire évoluer vers plus de solidarité, de fraternité en reconnaissant que notre niveau de vie se base quasi exclusivement sur l’exploitation, non seulement des ressources naturelles mais surtout (et c’est ce qui lui pose indéniablement le plus de problèmes moraux à Eula Biss), sur d’autres êtres humains qui sont rejetés dans une sorte d’esclavage moderne et qui ne pourront jamais atteindre le niveau de vie de ceux (dont elle) qui profitent du système.
N’allez surtout pas croire qu’Avoir et se faire avoir est un texte, un pamphlet politique, loin de là, c’est la simple description du quotidien d’une femme de la classe moyenne qui cherche à donner un sens (moral) à sa vie. Avec parfois un certain radicalisme, à partir de son quotidien, elle s’interroge sur le travail, les loisirs, la propriété, l’argent, les riches, les pauvres, etc. Un exemple parmi tant d’autres : « Si une femme doit faire le ménage, ne vaut-il pas mieux qu’elle soit payée plutôt que de le faire gratuitement ? Je pourrais dire aussi que se prostituer vaudrait mieux que d’avoir des rapports sexuels ordinaires, dans la mesure où les femmes sont payées pour faire quelque chose que beaucoup font gratuitement. Quand c’est bon, le sexe donne plus de plaisir que le ménage, mais être payé n’en apporte pas nécessairement davantage, ça fait juste un travail. »
On ressent sa quête d’essayer d’avoir une vie « éthique », pleine de respect et de tolérance pour autrui. Une vie dans laquelle l’humanité prévaut et non l’égoïsme et le matérialisme.
Avoir et se faire avoir nous offre une vision de la vie américaine, non originale, mais par rapport à un prisme éthique que nous avons rarement l’occasion d’avoir.
Avoir et se faire avoir
Eula Biss
éditions Rivages. 9€50
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