Dans les mémoires de Casanova se trouve ce dialogue :« Dois-je comprendre que le français ne parle que de nourriture ? – C’est la nourriture qui se parle en français ! » C’est dire la renommée à cette époque qu’avait la cuisine française. Il faut savoir que le XVIIIe siècle a connu à ce niveau une évolution très rapide, surtout dans notre pays. Bien sûr, « l’art de la table » concerne essentiellement les classes les plus élevées de la société, le Roi (et en premier lieu le Régent au début du siècle), mais aussi la Cour et, par une sorte de capillarité, la bourgeoisie et le reste du peuple. C’est à cette époque qu’apparaissent les premiers cafés, les premiers restaurants, mais aussi le vol-au-vent, le baba au rhum et même le foie gras sous sa forme actuelle, et j’en passe… C’est aussi à cette époque que les médecins commencent à faire le lien entre bonne santé et bonne nourriture, où les légumes prennent de plus en plus en plus d’importance sur les tables.
C’est dans l’Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers que, pour la première fois, tous les métiers de bouche sont étudiés sous l’angle technique : le savoir cuisiner devient une compétence en soi !
Le « bien manger », c’est le pendant du « bien-vivre », c’est un élément de la sensualité qui existait dans la haute société de cette époque qui est celle de Boucher ou Watteau, entre autres célébrités. On est loin de la société rigide et immobile où seules les apparences comptaient à la fin du règne de Louis XIV ! Au lieu des grands repas pris en public, Louis XV (qui n’hésitait pas à se mettre aux fourneaux pour se faire des omelettes qu’il adorait) préférait, comme son mentor le Régent, les « petits soupers » avec peu de convives et où l’étiquette était moins prégnante.
Guy Savoy a déjà commis deux livres l’un dédié à la cuisine des écrivains du XVIè siècle et l’autre à la cuisine des écrivains du XVIIè siècle. Après Montaigne ou Louise Labé, après Corneille ou Madame de Sévigné, voici un résumé de la vie et de leurs rapports avec la bonne chère à travers les œuvres de écrivains de cette époque. Bien sûr on y trouve Voltaire, Marivaux, Diderot ou Madame de Staël, mais aussi Madame de Genlis, Beaumarchais ou encore Madame d’Epinay, Choderlos de Laclos ou Madame Leprince de Beaumont. Si tous aimaient le « bien et bon manger », la plupart ont mis en place les fondations de notre société actuelle : plus encore que Voltaire ou Montesquieu n’oublions pas l’œuvre pédagogique de Madame de Genlis, nettement plus intéressante que l’Emile de Rousseau.
On sait peu que Montesquieu a écrit pour l’Encyclopédie l’article : « le goût » ! Le moins que l’on puisse dire c’est que l’on aurait pensé à un article plus « politique » ou institutionnel. Pourtant la lecture des Lettres persanes aurait dû nous faire comprendre que ce grand bordelais était un amateur plus qu’éclairé de bonne chère.
Même au niveau de la nourriture, Rousseau est toujours aussi « paradoxal », pour ne pas dire rempli de contradictions : il aime et cherche les repas « fins » et en même temps n’est pas gêné du travail des paysans et des cuisiniers qui lui permettent, par, leur travail de bien manger. Ce n’est pas lui, mais ses hôtes qui doivent culpabiliser !
Le moins que l’on puisse dire c’est que la précision que nous connaissons dans nos actuels livres de cuisine n’existait pas à cette époque, tout dépendait du « talent », du « métier » du cuisinier : « étant presque cuite », « étant presque refroidie », etc., voilà des consignes laissant quelque peu de latitude d’appréciation ! De fait, il en est toujours de même, il suffit de voir travailler les grands chefs.
Il y a des recettes qui ont traversé les siècles comme le coq au vin ou les endives au jambon et qui font encore partie des mets que l’on retrouve de manière récurrente sur bien des tables, d’autres sont déjà « réservées » à des cuisiniers qui dispose d’une technique certaine digne des meilleure écoles hotelières comme le baba bouchon au Jurançon moelleux ou la tourte de pigeon, jus aux foies et champignons sauvages et que dire de la truite « Banka » marinée en salade de betteraves multicolores, vinaigrette aux écrevisses. Si les plats sont élaborés par Guy Savoy, je me mets tout de suite à table.
Pour autant, comme chaque fois que j’ai entre les mains un nouveau livre de cuisine, j’ai tenté de faire (et suis assez fier du résultat) une rouelle de porc, châtaignes et trompettes de la mort ainsi que des poupelins salés « comté ». Un voyage dans le passé grâce aux papilles gustatives, mais aussi au travers d’une iconographie de haute qualité, ce serait dommage de s’en priver.
Ce livre de cuisine développe toute une philosophie de vie autour du bien manger, résumée par Madame du Deffand : « les soupers sont une des quatre fins de l’homme ; j’ai oublié les trois autres. »
Cette philosophie, cette réputation de la cuisine française permettra à Talleyrand de créer et de développer la diplomatie culinaire au profit des intérêts de la France.
Et puis entre une pizza ou du foie de veau à la vénitienne et une canette des Dombes à l’orange sanguine, il n’y a vraiment pas photo à l’arrivée !
Guy Savoy cuisine les écrivains du XVIIIe siècle
Guy Savoie/Anne Martinetti/Gilles Chesneau
éditions Herscher. 29€
Illustration de l’entête: Jean-François de Troy. Le déjeuner d’huîtres (1735)
Huile sur toile, 180 × 126 cm, musée Condé, Chantilly
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