L’exposition à Aix-en-Provence consacrée à Steve McCurry cet hiver au Caumont-Centre d’art, réunit 80 des œuvres les plus emblématiques du grand photographe américain contemporain. Son travail a fait l’objet d’expositions majeures, et celle d’Aix-en-Provence nous réjouit à plus d’un titre. S’y trouvent rassemblés ses travaux les plus marquants et des clichés inédits, jamais exposés. Des portraits intenses, des paysages urbains et des scènes prises dans plus de 30 pays.
Le photographe né en 1950 à Philadelphie, en Pennsylvanie est très connu en France, même s’il n’a pas vécu de façon prolongée dans notre pays, il y a souvent exposé son travail.
Un travail reconnaissable entre mille.
Ce créateur d’images poignantes et emblématiques a parcouru le monde avec son objectif toujours tourné vers l’humain, offrant ainsi un témoignage marquant de notre époque. Steve McCurry a longtemps travaillé avec des appareils argentiques avant de passer au numérique. Cette exposition retrace près de 40 ans de sa carrière. « C’est un photographe, qui travaille tous les jours » commente Biba Giacchetti, la commissaire d’exposition qui nous accueille pour la visite. « Ce n’est pas un reporter, il ne travaille pas pour des journaux ou magazines. C’est un homme libre qui raconte des histoires. Il se définit lui-même comme un conteur de récits visuels.
Jeune homme, il envisageait une carrière dans le domaine du cinéma, l’a même étudié à Philadelphie, mais à l’occasion de voyages, il a choisi la photo. « Avec elle, il serait plus libre ! » Précise encore la commissaire, amie du photographe qui l’a accompagné dans de nombreux pays.
Qui ne connait pas la jeune afghane aux yeux verts au superbe regard hypnotique, l’une des images les plus iconiques du photographe Steve McCurry, maître de la photographie contemporaine. Cette photo est parue en 1985 sur la couverture du National Geographic. Il s’agit du portrait de Sharbat Gula, une jeune afghane pachtoune photographiée dans un camp de réfugiés à Peshawar au Pakistan. On ne peut détourner notre regard. On ne cherche pas du reste. Ils en disent long sur ce qu’elle a vécu et sur ce qu’elle sait déjà de la vie. Le photographe a immortalisé la puissance du regard humain, le sien et bien d’autres encore et mis en lumière les réalités des populations déplacées. Biba Giacchetti nous livre une anecdote : « Des décennies plus tard, McCurry l’a retrouvée et l’histoire de Sharbat Gula devenue célèbre malgré elle en tant que symbole des réfugiés afghans, a refait surface. Elle a vécu encore bien des épreuves. Steve McCurry a pris des mesures pour l’aider elle et sa famille ».
McCurry a débuté en Asie. Ses sujets étaient principalement axés sur la guerre d’Afghanistan. Compliqué de rejoindre les populations. Il a passé clandestinement la frontière pakistano-afghane, s’est déguisé en local. Son courage a été récompensé. Il est revenu avec des images colorées, fortes et expressives, notamment celles de villages et de sites historiques dévastés. Ce sont d’ailleurs ces photos qui lui ont rapidement valu une reconnaissance internationale. Depuis, il a capturé d’autres moments, s’intéressant aussi bien à la vie quotidienne qu’aux scènes de conflit, posant son regard sur des lieux incroyables où la culture et l’histoire laissent une empreinte indélébile.
Quand on lui demande quelle est la photo qu’il préfère, Steve McCurry n’hésite pas. La commissaire de l’exposition commente : « Il s’agit de Rajasthan, Inde, une photo prise en 1983. Pour nous, c’est simplement une image. Pour lui, c’est une partie de son histoire. À 11 ans, on lui offre un livre de Dylan Ray, un photographe néo-zélandais. Ce livre l’a profondément marqué. Il travaillait sur la mousson, son premier projet sur ce thème. Il part en Inde, où il devait rester trois mois, mais il y passe finalement trois ans de sa vie. Cette photo, prise un peu par hasard, est une de ces images d’un instant. Mais pour lui, il y a aussi les photos qu’il cherche, celles qu’il finit par trouver, quitte à revenir plusieurs fois sur le même lieu ».
Ici, les femmes se sont blotties les unes contre les autres pour se protéger d’une tempête de sable dans le désert. Nous n’allons pas reprendre ce qui est écrit sur le cartel, chacun peut le faire. La commissaire de l’exposition nous l’affirme. Son ami McCurry souhaite « laisser au spectateur la possibilité de construire son propre récit à partir de l’image ». On comprend que McCurry aime particulièrement cette photo. C’est vrai, qu’esthétiquement elle est superbe. Mais on l’apprécie également parce que l’on connait son histoire. Le fait que le photographe se soit retrouvé bloqué dans un petit village à cause de la tempête, qu’il ait failli perdre son appareil photo, son outil de travail à cause du sable qui s’engouffrait partout. Au final, il a pu prendre cette photo de femmes unies, serrées les unes contre les autres, face à la tempête prête à les engloutir. Dans une autre série tout aussi captivante sur l’Inde, McCurry s’arrête sur des instants de la vie quotidienne baignés de couleurs vibrantes, on se promène dans des marchés, déambule dans des temples, et marque une pause pour regarder les habitants, des autochtones que McCurry photographie avec une empathie palpable. Il se défendait d’être un reporter et pourtant ! On comprend, dans cette exposition, que sa démarche, en capturant des événements, ne s’arrête pas à juste documenter la réalité. La photographie est avant tout un moyen de raconter des histoires humaines.
C’est vrai, McCurry est avant tout un photographe, mais aussi un peintre de la vie. Ainsi chaque portrait, chaque scène raconte une histoire. Qu’il s’agisse d’un moine tibétain ou d’une rue en pleine effervescence, il pose un regard profond sur l’âme humaine. Il nous fait parfois penser à Titouan Lamazou, même s’ils évoluent dans des styles et des médiums bien distincts, ils partagent en quelque sorte une mission artistique commune : celle de capturer l’âme humaine et les histoires de vies à travers des regards croisés sur les cultures du monde. McCurry, avec son objectif de photographe, et Lamazou, par sa double casquette de photographe et peintre. Leur travail va au-delà de l’esthétique pure pour entrer dans l’intime, la résilience et nous livrer avec intelligence et émotion, toute la diversité de l’expérience humaine. Les deux hommes parcourent la planète pour ramener des images qui nous parlent des pays qu’ils explorent.
Des regards empreints d’humanisme
« Mais qui regardent qui ? » S’interroge la commissaire. « L’exposition s’appelle « Regards » car nous, public, sommes regardé. Voilà qui renverse les rôles traditionnels du spectateur et du sujet. Biba Giacchetti le soulignera souvent tout au long du parcours. « Les yeux des personnes nous fixent, femmes, enfants, personnes âgées, pratiquement tous regardent directement l’objectif, créant un lien visuel qui nous invite à réfléchir. »
La salle dédiée aux enfants nous émeut. Les clichés nous les présentent le plus souvent sur un territoire de guerre. « En Afghanistan ou partout dans le monde, les enfants restent des enfants » commente la commissaire. « On les voit jouer, et parfois, ils jouent dangereusement comme le montre ces photos. Celle de la voiture peut paraitre sympathique, mais elle ne l’est pas. Ce que l’on voit est dramatique. Les enfants et les femmes n’avaient pas le droit de rentrer dans une voiture. Ils pouvaient monter sur le toit ou se mettre dans le coffre, mais seuls les hommes avaient le droit de rentrer à l’intérieur. Ici, il s’agit de vieilles voitures russes, transformées en un service de taxis (bus !)
Une des photos préférées du Steve McCurry même s’il garde de cet instant fugitif un sentiment douloureux. Il se sentait privilégié, à l’abri dans la voiture. Explique Biba Giacchetti. Il n’a pas eu le temps de donner un peu d’argent, car la voiture est repartie trop vite. Il a pris cette photo de façon quasi inconsciente et elle représente beaucoup pour lui.
Qu’est-ce qui fait que l’on soit autant captivé par les clichés de Steve McCurry ? Déjà, grâce à son approche empathique et respectueuse, il cherche à montrer les individus dans leur dignité et leur singularité. Le photographe, donne, en quelque sorte, la parole, une voix aux femmes, aux plus faibles qui habituellement sont invisibles ou marginalisés. Ici, on découvre une photo incroyable d’un vieil homme, à Porbandar, en Inde, au moment de la mousson. Ce tailleur essaie de sauver sa machine à coudre. La publication de la photo dans le National Geographic a permis à Steve McCurry de retrouver l’homme, et de lui offrir une machine à coudre toute neuve.
La mousson, le fascine toujours, nous dit la commissaire amie du photographe. Un second livre est à paraitre en 2025, avec des nouvelles images très fortes. On l’a vu entrer dans l’eau, dans des conditions extrêmes, et il en garde aujourd’hui des cicatrices. » Une façon de s’immerger dans le sujet ! Il aurait pu rester dans le bateau qui parcourait les rues inondées, mais il bougeait trop. « Il décidait de se « jeter à l’eau », dans une eau incroyablement sale. « Mais la mousson ne signifie pas seulement la pluie, » souligne Biba Giacchetti. « Elle représente aussi le renouveau, un tournant dans la vie quotidienne, une force vitale et spirituelle dans les cultures qu’il photographiait aussi. »
McCurry à la manière d’un peintre, explore la couleur et fait surgir l’émotion.
La couleur exploitée comme une composante émotionnelle forte dans ses clichés. Il célèbre les tons vibrants qui animent les scènes urbaines et rurales photographiées, créant ainsi une atmosphère à la fois intense et réaliste. « Steeve McCurry compose, confirme la commissaire de l’exposition, et il a cette capacité à rentrer en contact direct avec son sujet. Et sans parler la langue du pays. »
En contact direct avec le sujet, oui, mais ce n’est pas toujours immédiat ! ici, on découvre la détermination de l’artiste. Il a été séduit par ce mur de graffitis, dans cette ruelle étroite. Il a attendu des heures, a laissé passer plein de monde …Puis ce petit garçon est arrivé. Le photographe a tout de suite su qu’il fallait l’ immortaliser dans sa course. Une fraction de seconde plus tard, et la photo n’existait pas. S’il excelle dans les instantanés qui révèlent, d’un clic, toute la dignité, la beauté et la complexité des peuples et cultures du monde entier, l’artiste sait aussi s’armer de patience.
Par ces clichés, Il sensibilise les gens à la triste réalité des zones de conflits et encourage une prise de conscience face aux injustices et plus encore, face aux crises mondiales. « Il ne choisit pas de montrer les photos les plus dures » Commente encore Biba Giacchetti qui avoue ne pas être capable de regarder certains clichés qu’il a réalisés. « Steeve McCurry ne veut pas choquer. Il choisit avec soin ses photos pour déclencher une réflexion. En explorant l’impact des guerres dans des séries telles que celles sur le Koweït et l’Irak le photographe nous bouleverse. Ces champs de pétrole en feu, des images surnaturelles qui nous glacent le sang. Elles témoignent de la destruction humaine et de la résilience de la nature. On découvre à la fin du parcours, des photos du 11 nov. Il était là, au dernier étage de la tour quand la première s’est effondrée. Et quelques minutes plus tard, photographiait ce drame, dans la poussière et les gravats, au milieu des ruines.
McCurry demande à des moines s’il pouvait les accompagner lors de leur marche matinale… quel sentiment de paix se dégage de cette photo.
Comme à chaque exposition, la présentation se termine par une projection. Un superbe montage qui rend hommage à ce « conteur visuel », Steve McCurry récompensé à de nombreuses reprises par des prix prestigieux comme le Robert Capa Medal, le National Press Photographers ou encore celui du World Press Photo.
Exposition Steve McCurry Regards
Caumont Centre d’Art. Aix-en-Provence
Jusqu’au 23 mars 2025
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Illustration de l’entête: Steve McCurry, Jaipur, Rajasthan, Inde, 1996, 70x100cm © Steve McCurry, “in partnership with Orion57”, commissaire d’exposition Biba Giacchetti