S’il y a bien un livre que les amateurs du Moyen Âge connaissent, c’est à n’en pas douter Le Mesnagier de Paris. J’ai bien écrit « connaissent» et sûrement pas «ont lu», car le moins que l’on puisse dire, il n’est pas d’un abord évident ni facile tant il est plein de digressions, d’allers et retours, d’apartés qui rendent la lecture assez difficile, même en français moderne actuel, comme dans la très subtile étude que signe Karin Ueltschi dans cette édition des Belles Lettres.
Ainsi Karin Ueltschi étant l’une des plus éminentes spécialistes de ce livre phare, elle nous livre ici une analyse particulièrement pertinente de son contenu. Tout d’abord qui est l’auteur ? On ne le sait. Tout au plus certains indices laissent à penser que même s’il était « bourgeois », il était proche des cercles du pouvoir royal, du moins de Jean de Berry, un des frères de Charles V. Mais fut-il militaire, clerc ? Nous n’en savons rien. Il écrit ce Mesnagier à la demande de sa Belle Amie, son épouse, nous savons tout juste qu’elle a 15 ans, alors que lui est beaucoup plus âgé, ce qui est normal à l’époque.
Nous ne savons pas non plus où se trouvait sa demeure ni même comment elle était conçue. Et pourtant nous connaissons certaines des pièces : la cuisine, le cellier, la chambre de Belle Amie. Indéniablement un ostel, une maison de sûrement 3 étages, grande, environ 100 à 150 mètres carrés ou logeait le couple, une béguine et tout le personnel nécessaire à leur train de vie. Mais surtout, on voit se dessiner, dans cette société fortement hiérarchisée, l’apparition d’une « sous-classe » du Tiers état : la bourgeoisie avec ses codes, ses intérêts, sa culture.
A cette époque, elle a une place bien déterminée et doit être comme elle doit être et surtout pas vouloir ressembler à la « classe supérieure : en restant à sa place, on ne s’attire pas d’ennuis semble nous dire le rédacteur. C’est un homme de son époque, chrétien, attaché à son salut, mais sans être bigot, mysogine (par rapport à nos critères actuels) mais très respectueux des femmes et montrant une grande tendresse pour son épouse. Celle-ci doit être discrète, ne jamais aller contre les désirs de son mari et n’avoir aucune attitude pouvant être critiquable. Il insiste beaucoup sur la pudeur, l’obéissance qu’elle doit avoir. Elle a même le droit de mentir pour donner une bonne image aux tiers, l’apparence est très importante. Si les hommes sont tournés vers l’extérieur (qui ne peut être que dangereux pour les femmes), celles-ci sont les responsables de ce qui se passe à l’intérieur de l’ ostel. Elle doit être économe, mais en même tant veiller aux provisions et surtout, responsable du personnel, elle doit leur porter attention, les diriger par la douceur et sûrement pas par la peur. Il apporte une attention particulière à la cuisine et surtout à la nourriture. D’ailleurs le Mesnagier (rappelons sa date 1393) fut essentiellement connu, à partir du XIXè siècle, avant tout comme un livre de cuisine, rapproché au Vivandier de Taillevent qui date de la même époque. Cet égard il est intéressant de remarquer que, même au niveau des repas, s’il décrit certains festins de l’aristocratie, il insiste sur ce que doit être un repas « bourgeois ». Même la cuisine est hiérarchisée au niveau des classes !
Des recettes basées essentiellement sur le bouilli, des recettes, bien moins détaillées que les nôtres et qui doivent avoir des résultats quelque peu difficiles pour nos palais actuels. D’ailleurs, le Mesnagier s’achève brusquement sur le début d’une recette à base de harengs !
Karin Ueltschi fait des parallèles avec l’œuvre d’une des contemporaines : Christine de Pisan et montre comment leurs pensées sur la société parisienne de cette fin du XIVè siècle, s’harmonisent parfaitement. Nous assistons non point à l’émergence, car elle a déjà commencé depuis plus de deux siècles, mais à l’enracinement de la bourgeoisie. Cette bourgeoisie qui va prendre de l’ampleur jusqu’à vouloir sortir de sa place dans la société de l’Ancien régime, mais c’est une tout autre histoire.
Quoiqu’il en soit, le Mesnagier est une œuvre totalement atypique, unique en son genre, une référence pour tous ceux qui apprécient le Moyen-Âge et Karin Ueltschi nous offre dans son adaptation, dans sa traduction, une grille de lecture et de compréhension qui fait de cet ouvrage, un élément incontournable pour percevoir cette époque, sa culture, ses aspirations, sa quotidienneté, comment agissaient, réagissaient, pensaient nos ancêtres.
Vivre en bourgeoise au Moyen-Âge.
Les leçons du Mesnagier de Paris (1393)
Karin Ueltschi
éditions Les Belles Lettres. 25€90
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