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Puissante exposition Zurbarán au musée des Beaux-Arts de Lyon

par Communiqué musée

Cette exposition entre Saône et Rhône à Lyon au musée des Beaux-Arts, réunit pour la première fois les trois tableaux du peintre espagnol Francisco de Zurbarán (1590-1664) représentant saint François d’Assise mort mais paraissant vivant, conservés au musée des Beaux-Arts de Lyon, au Museu Nacional d’Art de Catalunya de Barcelone et au Museum of Fine Arts de Boston. Une exposition exhaustive d’une très grande richesse et qui marque l’influence du peintre à travers les siècles, elle bénéficie de prêts d’oeuvres venues de France, d’Europe, du Canada et des Etats-Unis

Le sujet de ces œuvres emblématiques participe de leur singularité, au même titre que leur exécution magistrale. Le corps de saint François (vers 1182-1226) y apparaît tel que le pape Nicolas V (1397- 1455) l’aurait découvert, en 1449, dans la crypte de la basilique San Francesco d’Assise (Italie) : debout, les yeux ouverts levés vers le ciel, comme une personne vivante.

Présent avant la Révolution française dans le couvent lyonnais des Colinettes, sur la colline de la Croix-Rousse, le Saint François du musée des Beaux-Arts de Lyon est la première œuvre de Zurbarán à avoir rejoint les collections d’un musée français, en 1807. Devenu dès lors l’une des pièces maîtresses de la collection de peintures, le tableau a de tout temps frappé par sa force d’expression et par sa remarquable qualité.

Francisco de Zurbarán, Saint François d’Assise, 1636. Huile sur toile.
Lyon, musée des Beaux-Arts. Image © Lyon MBA – Photo Martial Couderette

Cette exposition propose d’explorer les ressorts et les sources de cette création si originale, mais aussi de prendre la mesure de la prodigieuse réception des Saint François de Zurbarán auprès des artistes, du 19e siècle à aujourd’hui. Elle interroge le sens des avatars de ces trois icônes du Siècle d’Or, période de rayonnement culturel de l’Espagne en Europe (1492-1681).

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Tes moines, Lesueur, près de ceux-là sont fades.
Zurbarán de Séville a mieux rendu que toi
Leurs yeux plombés d’extase et leurs têtes malades,

Le vertige divin, l’enivrement de foi
Qui les fait rayonner d’une clarté fiévreuse,
Et leur aspect étrange, à vous donner l’effroi.
Comme son dur pinceau les laboure et les creuse !

Aux pleurs du repentir comme il ouvre des lits
Dans les rides sans fond de leur face terreuse !

Comme du froc sinistre il allonge les plis ;
Comme il sait lui donner les pâleurs du suaire,
Si bien que l’on dirait des morts ensevelis !
(…) Deux teintes seulement, clair livide, ombre noire ;

Deux poses, l’une droite et l’autre à deux genoux,
À l’artiste ont suffi pour peindre votre histoire.

Théophile Gautier, extrait du poème « A Zurbarán »,
issu du recueil España, in Poésies complètes, Paris, Charpentier, 1845

La célébration de la beauté de l’œuvre de Zurbarán, de sa « modernité », va ainsi de pair avec la démonstration de l’intemporalité de ces chefs-d’œuvre, qui offrent à chaque époque des ferments pour la réflexion, la délectation et de nouvelles créations.

Né en 1598 à Fuente de Cantos, en Estrémadure, Francisco de Zurbarán est considéré de nos jours comme l’un des plus grands maîtres de la peinture du Siècle d’Or espagnol, à l’instar de son ami Diego Velázquez. La clarté de ses compositions, son évocation du sacré au moyen d’un clair-obscur découpant les formes avec vigueur et sa description scrupuleuse des matières et objets renvoyant au quotidien des fidèles en ont fait l’interprète par excellence de la discipline monacale prônée dans le cadre de la Réforme catholique et plus particulièrement de la mystique espagnole.

Francisco de Zurbarán. Nature morte aux pots. Vers 1650-1660, huile sur toile
Barcelone, Museu Nacional d’Art de Catalunya. Photo © Museu Nacional d’Art de Catalunya / Marc Vidal

Durant ses années de formation à Séville, Zurbarán apprend l’art de la peinture, de la sculpture, de la polychromie des statues et de la dorure de retables. Il s’établit ensuite, de 1617 à 1628, à Llerena, en Estrémadure. Durant cette période, il reçoit d’importantes commandes pour les églises et les couvents de Séville.

En 1629, à la demande du Conseil Municipal, Zurbarán s’installe définitivement à Séville avec son atelier. Il reçoit cette année-là sa première grande commande pour l’église San Buenaventura du collège des Franciscains de l’Observance, à Séville. Soutenu par ses puissants commanditaires, Zurbarán est nommé, l’année suivante, « maître peintre de la ville de Séville ». Durant les années 1630, Zurbarán, aidé de son atelier, produit de nombreuses œuvres pour des institutions religieuses sévillanes, qui connaissent un succès retentissant. C’est à cette époque qu’il commence à peindre des représentations de saint François, une production poursuivie jusqu’aux années 1650, dont on recense une cinquantaine d’exemplaires destinés aussi bien à des couvents qu’à des particuliers.

Les succès rencontré en Andalousie et l’appui de son ami Velázquez lui valent d’être invité, en 1634, par le roi Philippe IV à livrer des toiles pour le décor du Salon Grande du palais du Buen Retiro, à Madrid. Il retourne ensuite à Séville, où il répond, avec son atelier, à de très nombreuses commandes durant plus de deux décennies.

En 1658, le peintre s’installe définitivement à Madrid, où il produit des œuvres de dévotion privée pour l’aristocratie. Il s’y éteint le 27 août 1664.

En marge des grands cycles qu’il a conçus pour des monastères et des couvents, Zurbarán a peint des tableaux de formats plus réduits, aussi bien pour une clientèle religieuse que privée : des œuvres de dévotion – support à la prière -, tels que les Sainte Face, les Saint François, les Agnus Dei (Agneau de Dieu) et des natures mortes, qui sont l’une des composantes les plus séduisantes de son œuvre.

Le peintre sous les traits de Saint Luc devant le Christ sur la Croix. Vers 1655-1660, huile sur toile
Madrid, Museo Nacional del Prado Photo© Museo Nacional del Prado

Le Peintre devant le Christ sur la Croix, peint par Zurbarán, constitue un véritable manifeste du rôle joué par la peinture dans la diffusion de la ferveur religieuse durant le Siècle d’or espagnol. Le Christ y manifeste sa reconnaissance envers une incarnation de la figure du peintre. Le dialogue surnaturel entre les deux protagonistes est ainsi emblématique de la condition de l’artiste pieux dont Zurbarán est l’un des plus fameux représentants.

À l’instar de la Nature morte aux coings, certains bodegones (natures mortes d’objets et d’aliments) de Zurbarán firent partie de compositions plus vastes évoquant un intérieur domestique dans lequel évoluaient la Vierge ou l’Enfant Jésus. Ainsi a-t-on été souvent tenté de doter d’une dimension symbolique ces œuvres d’une grande simplicité, mettant en scène des fruits et de la vaisselle. Il en émane un sentiment d’irréalité, voire de sacré, dû à la maîtrise des effets de lumière, qui sculptent les volumes devant des fonds sombres et animent la peinture d’ombres et de reflets savants.

La sobriété de la mise en page, la réduction des volumes à l’essentiel et la précision de la description sont autant de caractéristiques de l’art de Zurbarán résumés dans ces petits tableaux, que l’on retrouve dans le Saint François de Lyon.

Extases

À la fin du 16e siècle, puis au 17e siècle, la Réforme Catholique promeut le culte des saints et leur représentation, à travers des œuvres destinées à orner aussi bien les églises et les monastères que les chapelles privées. L’ordre franciscain est le plus important à cette époque en Europe. L’ascétisme rigoureux de saint François en a fait un modèle particulièrement édifiant pour le fidèle.

Atelier du Greco (1541-1614). St François recevant les stigmates (1590-1595)
 Huile sur toile. 76cm/55,6 cm. Musée des Beaux-Arts de Pau

Ainsi, les représentations de ce saint abondent et des artistes tels que Peter Paul Rubens (1577-1640) ou Georges de La Tour (1593-1652) inscrivent leurs œuvres dans la lignée des modèles élaborés par Giotto (v. 1267-1337) dans la basilique San Francesco d’Assise. Sous leur pinceau, cependant, le saint rempli d’amour face à la nature décrit dans les Fioretti – un recueil d’histoires légendaires de la vie de saint François – laisse la place à l’ascète et au pénitent, le plus souvent figuré en extase ou méditant sur la destinée de l’homme.

Durant le règne du roi d’Espagne Philippe II (1527- 1598), de nombreux ordres franciscains réformés s’installent en Espagne. La dévotion envers saint François y est plus répandue qu’envers tout autre saint. Son humilité et son intense pratique de la méditation en font un exemple à suivre pour les croyants. Avant Zurbarán, Le Greco a été le premier artiste à décliner de manière aussi répétée et variée la représentation du saint, qu’il a figuré en train de recevoir les stigmates – des marques miraculeuses disposées sur le corps comme les cinq blessures du Christ, aux mains, aux pieds et au côté -, absorbé par sa méditation ou en prière. Ces créations produites à grande échelle par Le Greco et son atelier ont exercé une influence profonde sur l’art de Zurbarán.

Francisco de Zurbarán. Saint François en méditation. Vers 1635-1639, huile sur toile
Londres, The National Gallery. Image © The National Gallery, London

Un et multiple

Francisco de Zurbarán. Saint François d’Assise contemplant un crâne. Vers 1633-1635,
huile sur toile. Saint Louis, Saint Louis Art Museum Image © Saint Louis Art Museum

Au début de sa carrière, en 1629, Zurbarán reçoit une première grande commande pour l’église San Buenaventura du collège des Franciscains de l’Observance à Séville. Trente ans plus tard, il réalise une autre série importante de tableaux pour un ordre franciscain, les frères mineurs de l’Observance de Madrid. Entretemps, l’artiste et son atelier peignent une cinquantaine de Saint François, pour des églises et des chapelles privées.

Que saint François apparaisse debout ou agenouillé, en pied ou en buste, devant le fond uni d’une cellule, dans une grotte ou en plein air devant son ermitage de l’Alverne, près d’Arezzo, sa méditation prend invariablement appui sur la contemplation d’un crâne humain, en conformité avec les Exercices spirituels, un ouvrage de prières composé par le prêtre saint Ignace de Loyola (1491-1556).

Cette assemblée de Saint François peints des années 1630 jusqu’à la fin des années 1650 permet d’apprécier le succès constant remporté par ces œuvres. Elle donne aussi à voir l’évolution stylistique du peintre : à la fin de sa carrière, il délaisse la palette réduite à peu de tons et les larges ombres découpant les formes, pour leur préférer un chromatisme plus nuancé et une atmosphère plus claire.

Le Saint François de la National Gallery de Londres a été le tableau le plus remarqué parmi tous ceux exposés dans la Galerie espagnole du roi des Français Louis-Philippe au Palais du Louvre, de 1838 à 1848. Il a été considéré comme la quintessence à la fois de l’art de Zurbarán et du mysticisme espagnol.

Icônes du Siècle d’Or

Le Saint François du musée des Beaux-Arts de Lyon aurait été découvert, à la fin du 18e siècle, par l’architecte Jean Antoine Morand (1727-1794) au couvent lyonnais des Colinettes, situé sur les pentes de la Croix-Rousse. Selon François Artaud (1767-1838), premier directeur du musée, « Les religieuses l’avaient fait disparaître comme objet effrayant. M. Morand le retrouva dans les greniers. Son chien y aboya contre.»

Les sœurs et le chien ont dû être frappés par la sculpturalité de cette figure qui semble émerger des ténèbres. Pour créer cette image saisissante, Zurbarán a réduit la palette à peu de tons et a opéré une réduction quasi géométrique des volumes, définis par les contrastes entre ombre et lumière, tout en soignant beaucoup les détails.

Francisco de Zurbarán, Saint François d’Assise, Vers 1640-1645
Huile sur toile, H 207 ; L 106,7 cm. Museum of Fine Arts, Boston
Photograph © 2024 Museum of Fine Arts, Boston

Le peintre est parvenu à retranscrire la vision qu’aurait eue, en 1449, le pape Nicolas V du corps intact de saint François debout, les chairs du visage blanches et rosées et avec du sang fraîchement coagulé sur les stigmates, bien qu’il soit mort depuis deux siècles. Dans les tableaux de Lyon, Barcelone et Boston, Zurbarán traite de cet épisode en faisant abstraction du contexte narratif: celui qui contemple le tableau prend la place du pape et de sa suite et semble tenir la torche éclairant l’apparition miraculeuse du pape.

Zurbarán s’est inspiré des tableaux sur ce thème d’Eugenio Cajés (1575-1534) et Alejandro de Loarte (vers 1590-1626) et des sculptures de Gregorio Fernández (1576-1636). Il fournit à son tour un exemple abondamment repris par des sculpteurs tels que Pedro de Mena (1628-1688).

L’œuvre a connu un succès tel que Zurbarán et son atelier l’ont répétée, comme en témoignent les Saint François de Lyon, Barcelone et Boston, réunis pour la première fois. Menées en 2023 et 2024 en vue de l’exposition, les restaurations des tableaux de Lyon et Barcelone ont révélé des éléments inédits qui permettent de mieux comprendre la genèse et le sens de ces trois œuvres. Dans le tableau de Lyon, sont ainsi réapparus la signature de l’artiste, la date de création (1636), la portion gauche de l’arc de la niche, l’évocation des mains dans l’ombre à la rencontre des manches et le pied gauche décou- vert par le pape pour constater la présence d’un stigmate avec du sang frais.

Autres visions

Au moment même où Zurbarán a créé les Saint François de Lyon, Barcelone et Boston, des artistes français, italiens et nordiques ont eux aussi traité l’épisode de la découverte miraculeuse du corps intact du saint par le pape Nicolas V, en 1449, dans la crypte sous l’église inférieure de la basilique San Francesco d’Assise.

Les rares tableaux sur ce thème se distinguent radicalement de ceux peints par Zurbarán, dans la mesure où ils comptent de nombreux protagonistes : saint François, mais aussi le pape, le cardinal Astorgio Agnesi, le secrétaire du pape Piero da Noceto, un évêque, le gardien de la basilique et des moines. La vision du pape proposée par les œuvres du peintre espagnol laisse ici la place à une vision globale de la scène, avec tous ses acteurs. La figure immobile de saint François et l’ascétisme rigoureux des œuvres de Zurbarán s’effacent au profit de la narration et parfois même d’une certaine agitation. Dans certains cas, comme dans le tableau de Pierre Jacques Cazes, apparaissent des personnages n’étant pas cités comme présents lors de cet épisode dans la lettre adressée par le cardinal Agnesi à l’abbé Jacopo de Cavallina.

Thomas de Leu, Vera Effigies S. Francisci, 1600-1610, estampes et photographie, Paris, Bibliothèque Nationale de France

Créées en dehors de l’Espagne, ces œuvres dérivent pour une grande part de gravures réalisées dans le nord de l’Europe, au tournant du 17e siècle, par Philips Galle (1537-1612) et Thomas de Leu (1560- 1612). Célèbre dès l’époque de sa conception, la composition de Laurent de La Hyre a elle-même inspiré de nouvelles créations, grâce à sa reproduction gravée.

Le début de la fortune

Le Saint François de Zurbarán est acquis en 1807, auprès du peintre et graveur Jean-Jacques de Boissieu, par le musée des Beaux-Arts de Lyon, ouvert au public depuis seulement quatre ans. Dès cette date, le tableau connait une fortune retentissante et est considéré comme l’une des œuvres majeures de la collection de peintures du musée, que fréquentent les artistes formés à l’École de dessin également située au Palais Saint-Pierre, actuel musée des Beaux-Arts.

Cette œuvre originale a ainsi inspiré plusieurs générations d’artistes tout au long du 19e siècle, plus particulièrement ceux d’origine lyonnaise, tels que Fleury Richard, Hippolyte Flandrin, Jean Carriès ou Alexandre Séon. De passage à Lyon, François-Marius Granet et Jules Ziegler ont également pu être impressionnés par le tableau.

Dans les œuvres créées d’après le tableau de Zurbarán, saint François se mue en simple moine, en saint Antoine, en prophète Daniel, en mage ou même en novice.

Ouverte à Paris, au palais du Louvre, de 1838 à 1848, la Galerie espagnole du roi Louis Philippe consacre le triomphe des « moines » de Zurbarán. Ce phénomène contribue au succès rencontré dès le début du 19e siècle à une échelle locale par le Saint François de Lyon. Célébrés par Théophile Gautier (1811-1872), ces Saint François font écho au « goût espagnol » qui s’impose alors dans le ballet, le théâtre et la poésie. Ils incarnent l’esprit de pénitence et le mysticisme exacerbé d’une Espagne dépeinte à la fois comme voluptueuse et cruelle.

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