Accueil Livres, Arts, ScènesLivres Tout un automne de Daphné Dumont, soit les ravages d’un AVC sur toute une famille

Tout un automne de Daphné Dumont, soit les ravages d’un AVC sur toute une famille

par Pierre de Restigné

Daphné, la soixantaine, Jacques son mari, qui est atteint de son second cancer cette année, parents d’une multitude d’enfants, naturels et adoptés, sont des Belges retraités et heureux quand ils partent en vacances dans le sud de la France. Mais le lendemain de leur arrivée, ils apprennent que leur fils ainé, Gwenaël, 38 ans, marié à Juliette, deux petits-enfants, vient de faire un sévère AVC.

De retour en Belgique, Daphné se met à tenir un journal pour son fils où elle note strictement tout au jour le jour. On y apprend aussi bien sur les problèmes neurologiques du patient que le jour où elle lave la voiture, ou ceux de la chorale ou de l’éducation canine. Il faut dire qu’indéniablement, Daphné depuis toujours prend tout le temps des notes, ce qui lui sera reproché. Il faut dire qu’elle se sert de ses notes chaque fois qu’elle entre en conflit ou en discussion avec un tiers. Ses écrits font foi, par principe. Soit, mais c’est sa vision des choses, ce qu’elle a écrit, il est certain que c’est ce qu’elle a entendu, mais a-t-elle bien entendu, compris, transcrit ? Je vous laisse juger.

Il est un principe en droit français (et belge aussi) : on ne peut se constituer de preuve pour soi-même. Et son journal n’est qu’une longue preuve pour montrer ce qu’elle fait elle, nous n‘avons pas la vision des autres protagonistes de ce drame (car c’est un drame pour elle, mais aussi pour tous les autres). Nous n’avons pas le journal des autres, dont celui de Juliette pour percevoir ce qu’ils ont ressenti et, surtout, ce qu’ils pensent de Daphné.

Tous n’ont qu’un but, aidé Gwenaël, plongé dans un coma profond, sujet à de multiples infections. Gwenaël qui décline, plus le temps passe, plus les séquelles risquent d’être importantes quand il se réveillera, s’il se réveille…! Tous ont énormément d’empathie pour lui, mais chacun réagit comme il est, comme il pense devoir réagir. Daphné en veut beaucoup à son frère qui ne vient jamais voir Gwenaël. Elle a du mal à le comprendre.

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Il faut dire que d’entrée Daphné, à juste titre, réagit, agit comme mère. Mais pour elle, elle a en quelque sorte tous les droits par rapport à son fils, il n’y a qu’elle qui sait ce qui est bon pour lui puisqu’elle l’a ressenti grandir en elle : il est la chair de sa chair. Elle a du mal à admettre qu’elle ne sache pas tout de lui, qu’il y a des pans de vie de son fils qu’elle ignore, et elle a du mal à accepter ce fait. Ainsi, elle apprend que Gwenaël est diabétique, tout de suite, elle pense (elle est persuadée) que si elle l’avait su avant, elle l’aurait convaincu d’avoir un autre mode de vie (surtout au niveau de la nourriture) ce qui aurait sûrement évité l’AVC.

Se dessine la portrait, la personnalité de Daphné : une mère poule envahissante (et on en connait beaucoup), ancienne institutrice, elle veut tout régenter, elle peut-être très intrusive, envahissante, elle est certaine de son bon droit, du bien fondé de ses actions et des projets qu’elle développe. Les autres ont droit d’avoir leurs avis, leurs opinions, mais à condition qu’ils n’entrent pas en conflit avec les siens. Oh, elle montre de l’empathie, c’est certain, mais, vu la façon dont elle se comporte, ce n’est que de la surface, sûrement pas une démarche sincère. Elle n’arrête pas de trouver sa belle-fille courageuse, digne, etc., elle le dit, le répète comme si elle voulait s’en persuader. Car elle ne l’est pas : à chaque fois il y a un « mais », une critique plus ou moins voilée, ou tout au plus le regret qu’elle ne fasse pas comme elle ferait, elle, la mère. Sincèrement j’ai trouvé en Daphné ma sœur aînée (elle aussi institutrice à la retraite qui a vécu une situation d’horreur avec ses enfants, il n’y a pas de hasard.

Dans la situation de « crise » que représente l’AVC de Gwenaël et ses conséquences, apparaissent des tensions, sûrement préexistantes et qui font jour. La principale se situe au niveau des relations entre Daphné la mère, et Juliette, l’épouse. Elles se battent sur la garde des enfants, sur les décisions à prendre. Daphné est persuadée que ce qu’elle veut, ce qu’elle dit est bien, mais elle a du mal à supporter que sa belle-fille puisse avoir une autre vision. Daphné ne supporte pas que Juliette fasse appel à ses parents, les écoute. Les deux enfants, on dirait qu’ils n’ont qu’une seule grand-mère (et un seul grand-père Jacques, enfin accessoirement). On comprend son angoisse si Juliette part vivre avec eux près de chez ses parents qui résident à plus de 150 kilomètres de chez Daphné, mais indéniablement, elle est persuadée, qu’elle sait mieux que leur mère et leurs autres grands-parents ce qui est bénéfique pour eux.

De fait, on a l’impression qu’elle est jalouse du lien entre Juliette et ses parents, elle ne le comprend pas, pour elle ne compte que son lien avec Gwenaël et toutes les conséquences qu’il génère (dont les enfants).

Il y a des tensions, des « clashs » entre les deux femmes. Et, à chaque fois, Daphné fait référence à ses écrits dans son journal (les fameuses preuves qu’elle s’est construite sans aucune contradiction) et prend à témoin son mari ou ses enfants : des personnes qui sont loin d’être neutres, quelque peu dominées par la forte personnalité de Daphné. Quand les parents de Juliette essaient de défendre leur fille, ils sont soit de mauvaise foi, soit intoxiqués par leur fille. De fait, les tensions entre les deux femmes sont dues à leur sidération face à la maladie de Gwenaël et à ses conséquences au quotidien. Chacune réagit comme elle est, comme elle pense, sincèrement, profondément, ce qui est bon pour le patient, pour les enfants, pour l’épouse. Sauf que, bien-sûr, elles n’ont pas les mêmes visions, et tout cela ne fait que démontrer l’immense angoisse, l’immense douleur qui les ravage intérieurement.

Tout un automne est un témoignage parfois maladroit, mais toujours d’une totale sincérité, d’une mère qui voit son fils mourir. La pire des injustices, la pire des horreurs qui puisse arriver à un parent. Un témoignage profondément humain, tant, au-delà de ses côtés parfois énervants tant elle ramène tout à elle, Daphné Dumont se dévoile sans fard, telle qu’elle est, et surtout comme une mère qui adore les enfants. L’humanité serait composée que par des Daphné Dumont, elle se porterait sûrement mieux.

Tout un automne
Daphné Dumont

éditions du Panthéon. 19€90

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