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Niki de Saint Phalle s’installe avec ses Nanas et son bestiaire fantastique à Aix

par Pétra Wauters

Pour les Aixois, c’est Caumont, pour les visiteurs d’Aix-en-Provence et amoureux de cette ville, c’est un musée (pardon c’est LE musée), une étape à ne pas manquer, l’un des coeurs vibrants et artistiques de cette ville si particulière, si riche et féconde en multiples trésors et talents. Ainsi, et jusqu’au 5 octobre 2025, l’Hôtel de Caumont présente Le bestiaire magique de Niki de Saint Phalle (1930-2002), c’est qui plus est une première pour cette institution avec une exposition consacrée à une femme artiste. 

Hall de l’Hôtel de Caumont. Exposition Niki de Saint Phalle

Près de 200 œuvres et archives y sont présentées, provenant en partie de la fondation créée par l’artiste elle-même : La Niki Charitable Art Foundation, devenue particulièrement active après sa disparition. Bloum Cardenas, petite-fille de l’artiste en est la curatrice. On y trouve la collection personnelle de l’artiste, diverses œuvres d’art ainsi que les archives de Niki de Saint Phalle. La Fondation constitue le principal lien et point de contact pour tous les projets liés à l’artiste. L’exposition présente également des œuvres issues de collections privées. 

Niki de Saint-Phalle, Le Dragon Rouge, 1964
Assemblage de plâtre, grillage, tissu, peinture aérosol, ficelle, cheveux et figurines en plastique, 87 × 132 × 58 cm
Courtesy galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois

Connue du grand public pour ses célèbres Nanas, figures féminines aux corps exubérants et dansants, l’artiste franco-américaine a aussi développé un univers riche en symboles, peuplé de créatures hybrides, d’animaux fabuleux et de monstres familiers.

Niki de Saint Phalle – Le Monde, 1989. Résine polyester peinte, fer et moteur, socle de Jean Tinguely, 430×185×160 cm. Collection particulière.
©Photo Petra Wauters 

Dès l’entrée, le ton est donné : monumentale, éclatante, une sculpture de Niki de Saint Phalle s’est installée dans la cour pavée de l’Hôtel de Caumont. Posée là comme un manifeste, elle attire tous les regards. Déjà ceux des visiteurs, venus au centre d’art pour découvrir l’exposition, mais aussi ceux des passants de la rue Joseph-Cabassol, qui s’arrêtent devant le grand portail en fer forgé, intrigués par la sculpture.

Olécio partenaire de Wukali

Niki de Saint Phalle, Oiseau de feu / Sun God, 1982
Polyester peint, 40 × 44 × 18 cm
Niki Charitable Art Foundation

On se souvient du cheval de Botero, arrivé en convoi spécial et soulevé par une grue, le temps de l’exposition « Botero dialogue avec Picasso ». Cette fois encore, les grandes manœuvres ont repris. Depuis le 15 avril, « Le Monde » trône fièrement, portée par ses formes sensuelles, ses couleurs franches et ses mosaïques vibrantes. Il s’agit d’une version d’une des vingt-deux sculptures monumentales du Jardin des Tarots, œuvre majeure à laquelle Niki de Saint Phalle a consacré vingt années. Réalisée ici en résine de polyester, cette sculpture repose sur un socle mécanique animé conçu par Jean Tinguely. Pour préserver le mécanisme, la rotation est minimale : il faut « tomber au bon moment »… ou patienter quelques minutes ! « Le Monde » est la 22e carte du tarot de Marseille, traditionnellement représentée par une femme entourée de symboles. Niki de Saint Phalle réinterprète ce thème avec sa propre vision artistique, créant une « femme-monde » dans le style de ses célèbres « Nanas », une figure triomphante en mouvement. L’œuvre évoque la Vierge écrasant le serpent du péché, mais l’artiste transforme cette relation : au lieu d’un combat religieux, Niki de Saint Phalle nous suggère une réconciliation entre principes féminin et masculin. Le serpent, élément récurrent dans l’art de Saint Phalle, devient ici un symbole positif d’équilibre universel.

Car derrière ces nanas colorées se cache une œuvre bien plus vaste, politique, intime, foisonnante. L’univers de l’artiste est généreux, habité. Un art dans lequel on entre physiquement, qu’on traverse, qu’on touche presque et c’est ainsi que la scénographie originale d’Hubert le Gall, avec la collaboration de Laurie Cousseau, sert efficacement le propos sans l’alourdir. Entre chronologie et thèmes, on plonge comme dans un monde parallèle, peuplé de figures mythologiques, de rêves féminins, de colères explosives et de douce poésie.

Dans l’œuvre de l’artiste s’entrelacent féminité, utopie, provocation et amour profond pour l’humain et la nature. 

Un bestiaire magique et intime

Chez Niki de Saint Phalle, les animaux ne sont jamais là par hasard. L’exposition du Centre Caumont, sous ses allures de balade enchantée, nous plonge dans un monde peuplé de créatures étranges, hybrides, drôles ou inquiétantes. Un monde bien à elle, nourri de mythes, de rêves, de peurs et de souvenirs personnels.

Tyrannosaurus Rex (Study for King Kong), 1963
Peinture, plâtre, objets divers sur bois. Fondation Gandur pour l’Art, Genève.

Dès les premières salles, on comprend que ce bestiaire n’a rien d’anecdotique. Il traverse toute l’œuvre, depuis les tableaux-tirs jusqu’aux jardins monumentaux, et devient un langage symbolique à part entière. Le dragon, par exemple. Pour Niki, c’est plus qu’un monstre : c’est la peur, la colère, les cauchemars qu’on essaie de dompter. « Peindre calmait le chaos qui agitait mon âme », écrivait-elle. Chaque créature est un miroir,  du monde ou d’elle-même.

Niki de Saint Phalle. Lampe Hippopotame
Résine et peinture, 102 x 30 x 69 cm

Et ce n’est pas un petit zoo sage qu’elle nous livre, mais une ménagerie intérieure pleine d’ambiguïtés : le serpent, ambivalent, oscille entre maléfice biblique et renaissance.

Niki de Saint Phalle. La veuve noire. 1963. 45 x 43,5 x 9 cm – peinture et assemblage d’objets sur panneau de bois. Collection particulière, courtesy galerie Samantha Sellem, Paris, et galerie G.-P. et N. Vallois, Paris / Crédit photo : o2c pour Blogarts

L’araignée, quant à elle, évoque une mère omniprésente, dévorante, tout droit sortie d’un conte noir. À l’opposé de Louise Bourgeois, qui chérissait sa mère à travers ses araignées. Le contraste entre les deux artistes dans leur traitement symbolique de l’araignée est fort : figure menaçante chez Niki de Saint Phalle versus symbole maternel positif chez Louise Bourgeois. Et puis, il y a les oiseaux : messagers d’amour, de liberté, d’envol. Ils traversent ses œuvres comme des éclats de lumière. Parés de miroirs, de mosaïques et de peinture, ils relient ciel et terre dans un élan joyeux.


Niki de Saint-Phalle, Ganesh, 1994
Bois, feuille d’or, métal, plastique, résine synthétique, peinture à l’huile, peinture vinylique, moteurs électriques et composants électroniques
sur panneau, 126 x 106 x 32 cm, Belgique, collection particulière, courtesy galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois et Niki Charitable Art Foundation

Avec la série des « Tableaux éclatés », Niki rend hommage à Tinguely. Il est mort en 1991, mais elle continue à créer « avec lui ». Les formes se décomposent, bougent, se transforment. Elle invente une sculpture en mouvement, poétique et vivante.

Mais il y a aussi des périodes d’intenses souffrances physiques pour l’artiste dues à des difficultés respiratoires et à l’arthrite qui la conduisent à créer des sculptures faites d’air et de lumière, des minces silhouettes, qui, imagine-t-elle, l’aideront à ouvrir ses poumons et à respirer. Il s’agit de la série des « Skinnies », figures filiformes qui sont à l’opposé des Nanas aux formes pleines. Ces œuvres aériennes explorent des sujets mythologiques comme la Déesse de la lumière, personnage protecteur mi-femme, mi-oiseau, ou personnifient les cartes du Tarot, comme l’Ermite, ici représenté avec le serpent tentateur, lointain souvenir de la Vierge Marie foulant aux pieds la bête maléfique.


Niki de Saint Phalle, Déesse de la lumière, 1981, Résine polyester peinte, socle en fer, éléments
électriques et ampoules,163 × 90 × 34 cm, Paris, musée des Arts décoratifs

Le parcours, pensé comme un conte initiatique, nous fait traverser ce royaume peuplé d’animaux symboliques. On déambule parmi les chimères et les figures totémiques, entre rêve éveillé et introspection. L’art de Niki, c’est aussi ça : transformer la douleur en fête, les monstres en compagnons de route, et l’intime en fabuleux : « Niki de Saint Phalle aime les contes de fées car ils mettent en scène des peurs et des rites universels transmis depuis la nuit des temps ».


Niki de Saint Phalle. Serpent tête bleue,1998
Broche en métal doré et émaillé, 7,5 × 6 cm, Niki Charitable Art Foundation.
© 2025 Niki Charitable Art Foundation / Adagp, Paris

Son bestiaire met en scène des êtres à la fois protecteurs et menaçants. Ils aident l’artiste à traverser les différentes étapes de la vie. Incarnation du bien et du mal, du rêve et du cauchemar.  Un bestiaire magique qui peut être considéré comme le reflet de son âme, empreint aussi bien d’effroi et d’oppression que de liberté, de protection et d’harmonie. C’est seulement à 65 ans que Niki de Saint Phalle révèlera l’inceste dont elle fut la victime. Elle ne voulait en aucun cas influencer le regard du spectateur. Car au-delà de ce drame, elle était une féministe engagée, qui luttait contre les conventions et les carcans de la pensée. Son art s’est nourri de questionnements sur la société. Catherine Marie-Agnès Fal de Saint Phalle, dite Niki, décèdera en 2002 à l’âge de 71 ans


Niki de Saint Phalle, Last Night I Had a Dream, 1968-1988. Plusieurs pièces en polyester peint, dimensions diverses
Niki Charitable Art Foundation © 2025 Niki Charitable Art Foundation /Adagp, Paris;

« Last Night I Had a Dream » 1968, fait écho au célèbre discours I Have a Dream de Martin Luther King, prononcé en 1963. Niki de Saint Phalle joue sur l’ambivalence entre rêve intime et rêve collectif : le rêve personnel, onirique, poétique, féministe, et le rêve d’un monde meilleur, porté par les luttes sociales et politiques. Elle est composée de 18 sculptures en polyester peint,  de dimensions variées. L’artiste explore les thèmes du rêve, de l’amour, de la maternité et de l’imaginaire féminin. Elle met également en scène des motifs qui lui sont chers :  les Nanas, les serpents et d’autres figures symboliques.  

 

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