Les éditions Nouveau Monde viennent de publier la biographie de Marco Polo, initialement parue en 1983, du grand historien Jacques Heers. Une somme d’érudition qui non seulement fait date, mais qui a mis fin à bien des polémiques autour du vénitien voyageur.

Ce qui est certain c’est qu’il existe une « légende » autour de Marco Polo, crée deux siècles après son époque par l’écrivain vénitien Ramusio qui cherchait avant tout à montrer le génie de Venise à travers ses plus illustres fils. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que dans sa longue préface, il « invente » quelque peu pour étayer sa démonstration.
De fait, on sait très peu de chose sur la vie de Marco Polo et ce n’est pas Le Devisement du monde ou Les merveilles du monde, voire Il Milione pour les Italiens, qui nous renseignent sur la vérité. Tout au plus sait-on que c’est à l’âge de quinze ans qu’avec son père et son oncle il part une première fois vers la Chine pour un périple qui va durer une trentaine d’années. De retour à Venise, il est fait prisonnier deux ans après lors d’une bataille navale contre Gènes.
C’est pendant cette captivité qu’il fera la connaissance de Rusticello de Pise, prisonnier comme lui, qui le convaincra de produire ses mémoires, son journal de voyage, et qui lui servira de scribe pour la rédaction de ce livre qui le rendra aussitôt célèbre.
Ce qui est certain c’est que la famille Polo est composée de marchands, ayant quelques implantations en Orient. Ils ne font pas partie de l’aristocratie vénitienne, mais sont membres de la « bourgeoise moyenne » des marchands.
Leur périple en Chine est loin d’être original à cette époque où la papauté et les principaux royaumes essayaient de nouer des contacts avec les souverains de ces lointains royaumes, pour avant tout prendre les musulmans à revers et, accessoirement, pouvoir faire du commerce.

Illustration dans l’Atlas catalan d’Abraham Cresques, 1374.
©Gallicanismes/ BnF
Il est d’évidence que les Polo se comportent avant tout comme des messagers, sûrement de la papauté ou des franciscains, et très peu comme des commerçants. Le fait qu’il se voit doter de plusieurs missions par Kubilaï Khan n’a rien de très original (c’était un moyen d’imposer la nouvelle dynastie en passant outre l’administration mise en place par ses prédécesseurs). Mais c’est grâce à ses nombreuses missions qu’il a pu non seulement parcourir une grande partie de la Chine mais surtout de pouvoir décrire ses institutions (il ne s’occupe pas à décrire les populations, leurs façons de vivre (il n’est vraiment pas un ethnologue) et très très peu les réseaux commerciaux). Donc, il parle avant tout de la « monnaie papier », des postes, des réseaux routiers, fluviaux et maritimes, etc.
Jacques Heers démontre qu’il est inutile d’essayer de suivre le parcours de Marco Polo comme ont essayé de le faire bien de ses biographes ; il est totalement incohérent, fait d’allers-et-retours incompréhensibles. Non, de fait, il agrège des éléments qu’il a pu voir ou recueillir et les a tous insérés dans chaque chapitre sans prendre en compte une quelconque chronologie. Il rassemble tout ce qui intéresse un lieu ou un pays dans un seul développement.
De fait, ce qui est fondamental, c’est d’étudier son seul et unique œuvre en le remettant dans le contexte de son époque.
Le moins que l’on puisse dire c’est que son livre, qu’il n’a pas écrit mais plutôt dicté, est plutôt, comment dire, assez difficile à lire, non seulement du fait d’un style qui ne correspond plus à ce que l’on a l’habitude de lire, mais par ses lourdeurs, ses redites entre autres écueils. Le Devisement du monde est une œuvre « à quatre mains », enfin avec un auteur Marco Polo qui amène une très importante documentation et un écrivain pisan (lui aussi prisonnier des Pisans) Rustellico qui amène son savoir en tant que compilateur et d’auteurs d’ouvrages « au goût du jour ». Ils s’adressent avant tout aux aristocrates et à toutes une population lettrée, intéressés, attirés par tout ce qui se passe en Orient. C’est un livre écrit dans la langue internationale de cette époque où se trouvent les prémices de ce qui va être la Renaissance : non le latin (langue d’église et non vernaculaire), ni en une des langues italiennes mais en français du Nord, en langue d’oïl.
Il ne faut pas oublier que les auteurs étaient pétris non seulement de culture chrétienne mais aussi de mythes qui à l’époque étaient bien réels et leurs descriptions, leurs explications se doivent d’être en accord avec les dogmes auxquels il croit. Pour lui le Prêtre Jean (dont la fameuse lettre, faux d’un chanoine de la cathédrale de Metz, a été diffusée dans toute la chrétienté), et certains animaux qui nous paraissent fantastiques sont des réalités. Soit il ne les a pas vus, mais des personnes dignes de foi lui en ont parlé et il ne remet pas en doute leurs dires tant les mystères de la Création sont impénétrables. Il ne remet jamais en cause les miracles plus ou moins farfelus et pense sincèrement que la Vérité se trouve dans la religion chrétienne en général et dans le Livre en particulier. Il fait concorder réalité, connaissances livresques et fond culturel. Ce qui parfois peut nous paraître « farfelu » était alors une évidence aussi bien pour les deux auteurs que pour le public auquel ils s’adressaient.
Le travail de Jacques Hess nous permet d’avoir une lecture plus « sereine » de l’apport de Marco Polo à la culture occidentale et à la compréhension des sociétés européennes et asiatiques de la fin du XIIIème siècle.
Marco Polo
Jacques Heers
éditions Nouveau Monde. 9€90
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