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Giuseppe Bonaviri poète de la Sicile

par Philippe Poivret

Qui était Giuseppe Bonaviri, écrivain sicilien et donc italien, pressenti pour le prix Nobel à plusieurs reprises et traduit dans le monde entier ? Cardiologue le matin, Giuseppe Bonaviri était poète, romancier, auteur de pièces de théâtre, essayiste l’après-midi. Né à Mineo en Sicile le 11 juillet 1924, il est mort le 21 mars 2009 à l’âge de 84 ans à Frosinone au sud de Rome. L’un de ses ouvrages les plus marquants, La divine forêt, est paru en Italie en 1969. Il est sorti en France une première fois en 1975. Il a été publié à nouveau en 2024 aux éditions La Barque dans une traduction de Uccio Esposito Torrigiani

 Giuseppe Bonaviri invente une histoire qui part des origines du monde pour arriver à ce qui pourrait être notre époque. Au départ, il n’y a rien si ce n’est un magma informe où apparait, sans raison, une forme qui est rejointe aussitôt par un vis-à-vis sans que l’on sache vraiment de quoi ils sont faits ni qui ils sont. Le personnage principal a un nom, Fermenzio, le second personnage s’appelle Grumina. Giuseppe Bonaviri nous dit que Fermenzio est un « être abyssal » et que l’univers est « indéfiniment ouvert ». Ces deux adjectifs, abyssal et ouvert, pourraient caractériser son œuvre qui est une ouverture sur un monde infini et sur le cosmos. Doué d’une imagination sans limite, Guiseppe Bonaviri nous porte aux plus lointaines limites du ciel, de l’univers et de la création littéraire.

Ici, dans cette forêt qu’il qualifie de divine, il part du magma informe dans lequel apparait Fermenzio, ce quelque chose ou ce quelqu’un qui va aller découvrir l’univers, le monde et surtout la Sicile dont il dit qu’elle « brisait et dominait, grâce à certaines forces occultes, la fermeté de la roche sous une immense floraison ». Dans toute son œuvre, sa terre natale, est un point d’ancrage. Il la définit comme un mélange de beauté avec des fleurs et une nature magnifique qui reposent sur une terre dure et rude où la vie est fragile et difficile. Sans oublier les forces occultes, tous les mystères et toutes les légendes qui la parcourent et la font vivre. 

Revenons à cette forêt divine et à cette fable dans laquelle les métamorphoses vont se succéder. Fermenzio disparait assez vite pour se transformer en Senapo, une plante de bourrache, qui se retrouve à côté de Fiordimaggio, une fleur-de-mai. Tous les deux vont dialoguer et échanger par leurs racines et le pollen jusqu’à ce que le vent et une abeille, Irrumina, fassent comprendre à Senapo qu’un changement « s’opère en toute chose vivante » et que « chaque chose vivante, au lieu de mourir banalement, doit périr selon sa propre loi de métamorphose ». Lentement, progressivement mais inexorablement Senapo va devenir un oiseau. Giuseppe Bonaviri raconte cette métamorphose pas à pas, étape par étape avec quelques instants de tristesse mais c’est une évolution normale. Il n’y a rien à regretter. S’en suivront bien d’autres transformations et rencontres dans le monde animal. Ces animaux rentrent en relation avec le monde végétal mais ne rentrent pas tous en relation avec le monde des humains, ils ont plutôt tendance à l’éviter ou à s’en éloigner. Ils partagent tout de même avec nous la quête d’une vérité inatteignable et inconnue. Sans but défini, sans raison ni logique, les métamorphoses se succèdent dans un univers où les hommes n’ont pas le beau rôle. Les préoccupations écologiques ont déjà une place. « car la grossière ignorance des hommes était en train de corrompre l’aspect du monde ».  

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Devenu un vautour du nom d’Apomeo et en couple avec une femelle vautour qui s’appelle Toina, le personnage principal se dispute avec d’autres oiseaux à propos de la domination d’une espèce animale sur les autres et conclut « qu’il était inutile d’établir ou de rechercher la primauté d’une espèce sur l’autre, car nous étions tous des êtres corruptibles, en continuelle transformation et devenir ». Ce qui est valable aussi pour les hommes. 

Continuation et devenir sont deux autres axes de réflexion de cette fable. Ces deux axes débouchent naturellement sur le temps qui passe. La mort est présente mais reste en arrière- plan. C’est la vie qui est au premier plan. Les métamorphoses et les rencontres que ces métamorphoses provoquent, en sont le fil rouge. Les expériences et les rencontres avec d’autres oiseaux, animaux et plantes amènent le vautour à s’élancer dans une expédition avec d’autres oiseaux. Au début de cette aventure, un vieil ermite va aider les oiseaux dans leur quête. Il porte le prénom de l’auteur et sent mauvais. Giuseppe Bonaviri ne s’est pas donné un rôle très gratifiant ! 

Depuis les origines, le magma informe du début, d’où est sorti Fermenzio, s’est métamorphosé lui aussi. Il est maintenant un ciel doté d‘un soleil qui éclaire une lune inatteignable pour des oiseaux. La vérité n’est pas connaissable. Il y a toutefois de la lumière « là où un début d’aube éclaircissait l’horizon ». Le ciel s’éclaire mais la vérité ne surgit pas du néant ni du ciel. 

La forêt divine repose sur plusieurs groupes : le ciel, les plantes, les animaux, les humains. L’une des questions qui ressort de cette fable, est de savoir s’il « fallait entendre la substance de la réalité comme étant indivisible ou bien comme arithmétiquement divisible ? » Notre monde, l’univers tout entier est-il issu d’une même souche ou les divers groupes sont-ils irréductibles les uns aux autres et donc incapables de communiquer pas plus que de s’entendre ? Y-a-t-il une vérité, une unicité de notre univers ? La question reste posée. 

Un autre recueil de Giuseppe Bonaviri mérite que l’on s’y attarde. Intitulé Les Commencements, il fait d’emblée référence, par son titre, au temps qui passe et à une histoire à venir. Dans ces trente et un chapitres, la vie quotidienne dans le village de Mineo est racontée par l’auteur encore enfant ou adolescent. Partant de New York, but des émigrants, il revient vite à Mineo où rien n’est facile. L’abandon des nouveaux-nés est courant, la vie est dure mais la poésie est là. Tous les chapitres commencent par un texte en prose suivi, sur le même thème, d’une poésie. Deux regards sur un paysage, sur une famille ou sur un évènement donnent deux visions complémentaires avec des angles de vue différents. Les deux façons de dire se complètent et se répondent.  Virtuose de la langue, capable de s’exprimer tant en vers qu’en phrases, Guiseppe Bonaviri nous explique que les villageois sont poètes. Issus de la Grèce, de l’Espagne, de la France, du Moyen ou de l’Extrême-orient, d’origine souabe ou normande, beaucoup de villageois ont la fibre poétique. Philippe Di Meo, qui a traduit ce recueil, nous explique dans de très utiles notes en fin de l’ouvrage, que les poètes se réunissaient tous les ans à la « Pierre de la poésie », près de Camuti non loin de Mineo. Il en venait de partout, utilisant les dialectes et langues locales dans tous les sens possibles traduisant une vraie créativité qui paraissait évidente si ce n’est naturelle. 

La Sicile a toujours été une terre d’immigration et plus récemment une terre d’émigration. Les légendes venues de tous ces pays ou développées sur place courent comme celle des étoiles qui descendent s’abreuver aux torrents le soir venu. Le cycle nuit- jour fait référence au cycle obscurité- jour.  Le temps qui passe avec la lumière qui revient est aussi une poésie en soi. Il y a toujours, en arrière-plan, quelque chose de merveilleux, comme la lune qui apparait ou les bruits et odeurs du village quand le soir tombe. Avec un regard cordial, jamais destructeur ni négatif, se souvenant des émotions de son enfance, Giuseppe Bonaviri nous plonge dans les discussions, les inquiétudes et les bonheurs des habitants de Mineo. Les enfants, souvent présents dans l’œuvre de Giuseppe Bonaviri- ici avec l’émouvant « Voyage astral, le père mort parle à son fils », les femmes enceintes, l’histoire de la Sicile, les traditions comme celle du théâtre des marionnettes sont les têtes de chapitre qui donnent envie d’aller visiter la Sicile et surtout Mineo dont on finit par connaitre les habitants et leurs habitudes.

Ecrivain-médecin ou médecin-écrivain, Giuseppe Bonaviri est un auteur attachant. Avec sa puissance d’écriture et par les thèmes qu’il aborde, il regroupe sous sa plume les sciences dites dures avec un humanisme jamais dépassé. Ce qui représente l’un des fondements du savoir, du vrai et du juste. Et ce qui creuse le chemin de la paix.  

                            Philippe Poivret

La divine forêt
Giuseppe Bonaviri (Trad. Uccio Esposito Torrigiani)
éditions La Barque, 2024, 176 pages, 23€

Les Commencements 
Giuseppe Bonaviri (Trad. Philippe Di Meo)
éditions La Barque 2018, 176 pages, 22€ 

Bibliographie tirée de Wikipedia

  • Des nuits sur les hauteurs, Éditions Denoël, Paris, 1973
  • La divine forêt, Éditions Denoël, Paris, 1975
  • Le fleuve de pierre. Le débarquement de Sicile vu par un enfant, Éditions Denoël, Paris, 1976
  • Le tailleur de la grand-rue, Éditions Denoël, Paris, 1978; Gallimard, Paris, 1989
  • Le poids du temps, Éditions Denoël, Paris, 1980
  • Le dire céleste précédé de Martedina, Éditions Denoël, Paris, 1982
  • Contes sarrasins, Éditions Denoël, Paris, 1985
  • Dolcissimo, Gallimard, Paris, 1989
  • Ghigò, Hatier, Paris, 1990
  • Le murmure des oliviers, Verdier, Paris, 1990
  • La dormeveille, Gallimard, Paris, 1993
  • O corps soupirant, Arfuyen, Paris, 1994
  • Silvinia ou le voyage des égarés, traduit par Jacqueline Bloncourt-Herselin (postface de Giuliano Gramigna traduite par Joël Gayraud), Paris, Mille et une nuits, 1996
  • La ruelle bleue, Édition du Seuil, Paris, 2004 (Prix Super Vittorini)
  • L’histoire incroyable d’un crâne, Édition du Seuil, Paris, 2007

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