Avec Les Princes de la nuit, le tout nouveau roman de Jacques Forgeas, voici la suite aux Fantômes de Versailles dont je fis cette année la recension critique dans WUKALI. Le duo formé par les inspecteurs Laruche et Torsac (toujours grands amateurs de canards sur un lit de navets) ne va plus enquêter dans les milieux artistiques du Royaume. Faisant preuve d’initiatives parfois très risquées, ainsi que d’une indépendance certaine vis-vis de leur chef le commissaire Desmarets, l’adjoint du Lieutenant Général de Police Nicolas de la Reynie, ils vont devoir essayer de résoudre des crimes épouvantables en faisant attention et au clergé et à certains membres de la noblesse, c’est à dire aux deux classes privilégiées qui se croient au-dessus des lois. En même temps, de la Reynie doit montrer à Colbert que malgré les manipulations de ce dernier, sa police est d’une grande efficacité.

Septembre 1677, tout commence par la découverte d’une devineresse retrouvée vidée de son sang et crucifiée la tête en bas, puis de médecins, pendus par les pieds. Outre la mise en scène, les victimes ont été préalablement étouffées avec des oreillers. Les deux inspecteurs comprennent que les médecins sont aussi des scientifiques, des chercheurs, au fait des trouvailles des savants anglais et hollandais autour de la circulation sanguine et de la découverte des globules rouges grâce au microscope. Eux vont plus loin et pensent avoir démontré que l’âme n’existe pas. Même si la conclusion de leurs travaux n’a pas été publiée, cette théorie est susceptible de remettre en cause l’ordre établi en général et le rôle du clergé en particulier.
Grâce aux connaissances de Torsac, ils plongent dans l’univers mystérieux des sorcières. Ainsi, il en existe deux groupes et qui s’opposent entre elles. D’un côté les sorcières blanches ou devineresses, souvent des accoucheuses qui prônent le bien et développent l’idée, dans ce que les adeptes appellent l’Eglise Souterraine, que les animaux ont une âme tout comme les humains (nous ne sommes pas loin des théories actuelles développées par les animalistes). Ce sont elles qui sont assassinées. De l’autre, les sorcières noires, adeptes de Satan qui organisent des messes noires où participent des membres de la noblesse (Madame de Montespan, maîtresse du Roi n’a-elle pas été soupçonnée d’avoir participé à de telles séances ?) et surtout où est sacrifié un enfant, de préférence un garçon surnommé le prince de la nuit. Leurs investigations les mènent enfin à comprendre le rôle d’une frange extrémiste du clergé qui souhaite la venue du Diable, donc du chaos de l’Apocalypse pour régénérer la société et l’Église. Après bien des rebondissements, et quelques cadavres, l’ordre public sera rétabli, du moins en apparence.
Au-delà des théories animalistes (quelque peu anachroniques), Jacques Forgeas nous montre jusqu’où l’oisiveté de la classe dominante peut amener certains de ses membres qui se croient totalement au-dessus des lois (des exemples présents sont légion), mais surtout les horreurs engendrées par l’intransigeance religieuse. Savonarole, chez les catholiques a fait bien des émules. Même de nos jours, même s’ils sont moins présents médiatiquement que les extrémistes musulmans, voire juifs.
Les écrits de Jacques Forgeas sont toujours aussi agréables à lire et si qui plus est, une société, une civilisation passées servent de toile de fond, alors oui notre plaisir s’en trouve renforcé.
Une petite critique toutefois, il est difficile à la fin du XVIIIè siècle de manger des pommes de terre dans le royaume de France en général et à Paris en particulier. Ce tubercule américain n’est alors connu que des agronomes et il faudra attendre encore près d’un siècle pour que Parmentier, certes bien aidé par Louis XVI, arrive à le faire accepter et manger par la population. Les navets : oui ; les pommes de terre : non !
Les princes de la nuit
Jacques Forgeas
éditions Albin Michel. 22€90
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