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Le portrait d’Elizabeth Lederer par Klimt atteint 236.4 millions $ à New York

par Pierre-Alain Lévy

Le portrait d’Elizabeth Lederer peint par Gustav Klimt entre entre 1914 et 1916, vient d’être adjugé chez Sotheby’s ce mardi à New York pour la somme de 236,4 millions $, ce qui en fait la peinture la plus chère jamais vendue au monde après le scandaleux1 Salvator Mundi de Léonard de Vinci. Le nom de l’acheteur n’a pas été rendu public.

Une vraie peinture, somptueuse, raffinée, élégante, douloureuse aussi. Somptueuse, raffinée et élégante par le traitement pictural, par le soin apporté aux détails, par l’élégance toute majestueuse d’Elizabeth Lederer, par la centralité du personnage, comme sortie d’un retable du Moyen-Âge ou de la Renaissance.

Ainsi Elizabeth Lederer appartient à une famille juive de la bourgeoisie viennoise qui a fait fortune dans les industries de la distillerie et de l’amidon. La seconde plus grosse fortune de Vienne après les Rothschild disait-on. Vienne alors capitale européenne d’un empire, celui de François-Joseph, épicentre de la pensée et de l’art et où va naître sous le forceps de Sigmund Freud la psychanalyse. Cette ville si admirablement bien décrite par Stefan Szeig dans Le Monde d’Hier-Souvenirs d’un Européen. Une peinture, signature d’un temps, comme arrêtée au bord d’un précipice. Une femme, un regard féminin, soit la douceur du monde. De ces regards qui nous transpercent et nous bouleversent, et que nous emportons avec nous. Visage de femme, visage de mère, sourire ô combien doux et éternel qui nous accompagne dans l’émotion inachevée du temps qui passe.

Entre la famille Lederer et Gustav Klimt, c’est non seulement l’histoire d’un mécénat, c’est avant tout celle d’une admiration pour le talent de l’artiste au point que les portraits de nombre des membres de cette illustre lignée furent commandés au peintre.

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L’oeuvre est raffinée et comme cosmopolite ( et pour qui comme moi est très attaché aux mots, l’on sait, sans développer, l’usage toxique que d’autres feront du terme… ). Cosmopolite et oui, c’est à dire ouvert au monde, aux courants artistiques et de civilisations, aux influences. Cosmopolite oui encore ! C’est à dire utilisant la palette des formes et des symboles. Ainsi dans ce portrait, l’on peut distinguer à l’arrière-plan du personnage des dragons impériaux chinois sur un tapis de fleurs, ce qui contribue à ajouter de la puissance et de la majesté à la verticalité raffinée d’Elizabeth. Par ailleurs, nous ne nous attarderons pas (tant cela est évident),sur ce foisonnement de petits personnages colorés semblant juste sortis de la dynastie Tang, et qui fourmillent bienveillants, comme des féaux et des courtisans admiratifs et respectueux. Rappelons sans cuistrerie ni dérapage comparatif, la Ronde de nuit de Rembrandt, soit l’interprétation toute personnelle de l’artiste pour un sujet d’apparence banale et convenue.

Les couleurs sont particulièrement subtiles, des couleurs chaudes, des correspondances, sed non satiata2, où le zinzolin3 renvoie au jaune impérial. Nous ne développerons pas davantage pas sur les mains, en position ventrale, en protection, en maternité suggérée. Ici Tout est Luxe, calme et volupté4 n’est-ce pas !

Ce beau portrait est à considérer bien au-delà de l’œuvre d’art stricto sensu, ainsi il est constitutif de l’identité de la famille Lederer qui y était très attachée. On raconte que Klimt tardant à finir ce tableau, c’est Madame Lenderer en personne qui vint dans l’atelier de l’artiste pour le récupérer et l’emporter. De même manière il ne sortit de la famille pour exposition qu’une seule fois, et pour une exposition à Stockholm en 1917 et consacrée l’art autrichien

L’histoire de l’art, notre matrice, notre cheminement sensible et intellectuel, ici même dans ce portrait d’Élizabeth Lederer, se raconte l’histoire du monde, l’histoire de l’Europe et du siècle, ces années d’agonie et de douleurs, de ténèbres et d’enfièvrements. Elle s’était mariée à l’héritier d’une brasserie autrichienne Wolfgang von Bachofen-Echt, et convertit au protestantisme, elle avait eu un enfant. L’enfant mourra plus tard et le couple se disloquera. Elle reviendra au judaïsme nonobstant l’horreur du moment et pendant la période nazi, Elizabeth survivra tant bien que mal à Vienne où elle était restée. Elle meurt en 1944.

Les démons nationalistes et nazis du XXè siècle, cette idéologie d’assassins, de minables, de sales types, d’industriels voraces, de réactionnaires d’extrême-droite, d’intellectuels dévoyés, d’opportunistes ordinaires et d’abrutis mêlés, s’immiscent dans cette séquence d’histoire de l’art. Ainsi après l’Anschluss et dès 1938, la collection d’œuvres d’art d’August Lederer, le patriarche mort en 1936, est confisquée et saisie par les nazis et est ainsi aryanisée5. Serena Lenderer, la veuve d’August Lederer, réussit à s’enfuir à Budapest où elle meurt trois ans plus tard.

Une grande partie des oeuvres d’art de la collection Lenderer qui ont pu être récupérées (celles tout particulièrement accumulées par les nazis dans les mines de sel d’Altaussee en Autriche) se trouvent aujourd’hui dans la collection Getty de Malibu (dont nombre de dessins)

Les nazis restent ambigus sur Klimt qui l’avaient pareillement rangé dans l’entartung6 c’est à dire en traduction: l’art dégénéré. La Gestapo transbahute la collection vers le château Immendorf, dans le sud de l’Autriche pour la mettre à l’abri des bombardements alliés sur Vienne. Le 8 mai 1945, soit au moment même de la capitulation du Reich, une unité SS arrivée la veille au château et après avoir découvert les oeuvres d’art entreposées, décident d’y mettre le feu pour empêcher les Russes de les récupérer. Le propriétaire du château a rapporté plus tard que les officiers SS avaient admiré les peintures de Klimt ; l’un d’eux aurait déclaré que ce serait un «péché» de laisser les Russes mettre la main sur elles. Selon un rapport de police de 1946, les officiers SS «ont organisé une orgie toute la nuit dans les appartements du château.» 

Le lendemain, l’unité de SS a posé des explosifs dans les quatre tours du château avant de s’enfuir. Un homme est retourné pour allumer le feu dans l’une des tours. Le feu s’est propagé et tout a finalement explosé. Le château d’Immendorf a brûlé pendant quatre jours. Rien n’a pu être sauvé de tout ce qu’il contenait ; ses ruines ont ensuite été démolies.

Notes
1 – Lire notre article (cliquer) publié dans WUKALI au sujet de ce Salvator Mundi
2 – Lire le poème de Charles Baudelaire: Sed non satiata (cliquer)
3 – Le Zinzolin est une nuance de couleur de la gamme du violet
4 – Luxe, calme et volupté, L’invitation au voyage (cliquer), poème de Charles Baudelaire
5 – L’aryanaisation, terme nazi qui signifiait qu’un bien appartenant à une famille juive lui était confisqué pour être attribué à une famille non juive et bien dans la lignée nazi et collaborationniste/ Manipulation commode des mots!
6 – Entartung. Lire Wikipedia (cliquer)sur le sujet

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