Bacchus de Michel-Ange, n’est-il pas sujet plus intéressant à traiter. Michel-Ange Buonarotti, passé à l’Histoire sous le nom de Michel-Ange(1475-1564), étant l’un des deux plus fameux génies artistiques de tous les temps ( l’autre est Léonard de Vinci), nous ne le présenterons pas et ne donnerons aucun élément biographique le concernant.
Le Bacchus est une sculpture en marbre blanc, d’une hauteur de 203 cm. L’œuvre est conservée au musée national du Bargello, à Florence.
Créé à l’âge de 22 ans, en 1496/1497, ce travail de jeunesse montre tous les aspects des divers talents d’un génie surdoué. La statue est une taille directe(3*). Ce qui se voit dans le traitement des pieds : celui de gauche, porteur, ne laisse pas apparaître la plante du pied, sinon il y aurait eu des risques d’ effondrement de la sculpture.
De la même manière le droit est en contact avec la base seulement par les orteils : de ce fait, ces derniers sont, légèrement, plus allongés qu’il n’est nécessaire. Mais l’art de Michel-Ange est tel que le spectateur ne s’en rend pas compte. Seuls des professionnels : experts, restaurateurs, collectionneurs chevronnés ou conservateurs de musées, le voient au regard.
Autre détail dénonçant la taille directe : l’endroit où la peau d’animal se détache de la jambe montre, à l’intérieur de cette zone précise, que l’artiste a partiellement évidé l’espace intermédiaire.
Le pénis, cassé, est manquant. La main droite et la coupe, cassées, ont été remises en place, suite à une restauration très ancienne ( avant 1530).
Sur une base de marbre épaisse, donc prévue pour affermir une statue importante, un personnage nu, le dieu romain du vin, Bacchus, une couronne de pampre sur le crâne et le front, lève une coupe remplie de son breuvage préféré, paraissant « porter un toast » à quelque chose ou à quelqu’un.
Regard perdu, tête dodelinante, bouche bée, bassin orienté vers l’avant, le dieu ivre semble sur le point de s’effondrer tellement la pose devient précaire.
Le contrapposto (1*) est individualisé: Bacchus s’appuie sur sa jambe gauche , tout en élevant la coupe de sa main droite. Son bras droit forme un angle aigu dégageant le coude. La jambe droite marque un pli exagéré, rendant l’équilibre instable. De ce fait, il lui faut un contrefort de marbre : ici le petit faune situé derrière Bacchus. Ce jeune satyre est tout sourire. Il avale goulûment un grain de la grappe de raisin dans sa main gauche.
Dans les mêmes conditions, les sculpteurs grecs de l’Antiquité mettaient en place une colonne tronquée ou, au mieux, une souche d’arbre. La solution choisie par Michel-Ange démontre bien sa supériorité créative face à ses confrères des temps passés.
À première vue une cambrure bien marquée anime la sculpture au niveau du thorax et du ventre. C’est que son centre de gravité est placé très haut car Bacchus chancelle: il est montré complètement éméché. Ce qui était inouï pour l’époque : personne n’avait jamais osé montré un dieu antique saoul. L’idéalisation du sujet était de règle depuis la Grèce et Rome. Là encore on peut mesurer l’énormité de la puissance créative de Michel-Ange. Sa supériorité est abyssale face aux sculpteurs de l’Antiquité gréco-romaine.
Ainsi le naturalisme le plus criant s’empare de cet être aux yeux révulsés, au corps branlant paraissant sur le point de s’écrouler s’il n’avait pas le soutien du petit faune. On aperçoit une peau d’animal dans sa main gauche : elle se pose délicatement sur le faune, s’unissant et se fondant dans le bloc de marbre constituant le jeune satyre. C’est d’une ingéniosité étonnante, incroyable : l’artiste, pour créer son œuvre, a utilisé un seul bloc de marbre.
On remarquera également la qualité du rendu des doigts des mains : fins, élancés, longs, voir trop long dans le cas de l’index car, ici aussi, la taille directe implique l’obligation de stabiliser le Bacchus.
Cependant il faut tourner autour de la statue pour en bien saisir, et bien en apprécier, les qualités exceptionnelles : liberté de l’attitude, attractivité du poli des chairs, grâce et souplesse des mouvements induits, spontanéité douce des équilibres, plénitude harmonieuse des formes.
Pourtant certains critiques ont parlé de lascivité, de mollesse, d’androgynie, du Bacchus… Michel-Ange était homosexuel, c’est de notoriété publique. Mais interpréter sous cet angle des créations toutes uniques comme celle-ci, d’une force, d’une puissance, d’une créativité, hors-du-commun, est stupide, absurde et indigne d’un historien qui se respecte et respecte ses lecteurs.
Nul doute, cette sculpture est une démonstration, un modèle d’équilibre et d’harmonie dépassant, et de loin, le style grec classique. Rien de pareil n’a existé avant. Personne n’a jamais pu l’égaler depuis.
Son naturalisme est spiritualisé, sans la moindre idéalisation. L’énergie, discrète mais évidente, qui en émane est une des caractéristiques particulières du travail de Michel-Ange.
L’artiste a piégé l’œuvre de son âme : jamais on n’avait représenté l’ivresse avec une telle vérité. C’est LA vérité de l’ivresse.En ce sens on peut qualifier cette statue de révolutionnaire, annonciatrice d’une époque nouvelle.
(1*) le contrapposto grec antique est le jeu d’opposition des membres : le bras droit levé implique la jambe gauche tendue pour maintenir l’équilibre du corps, tandis que bras gauche et jambe droite sont au repos.
(2*) La taille directe consiste à tailler directement la pierre, ici le marbre, sans passer par des étapes intermédiaires. Michel-Ange travaillait le marbre uniquement en taille directe.