L’art c’est avant tout la dimension même de l’homme, c’est le point de fusion du plaisir, de la beauté et de la transcendance. C’est bien sûr le lieu du dépassement de soi. Il est aussi mémoire, il est ce qui nous lie et illumine nos vies.
C’est avec grand plaisir que nous mettons en ligne dans WUKALI la belle lettre de madame Émilie Delorme, directrice du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris-CNSMDP- pour le début de cette nouvelle saison 2020-2021. Tout y est dit.
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La romancière américaine Toni Morrison raconte qu’en 2004, elle se tenait à sa fenêtre au terme d’une année chaotique. L’état du monde lui pesait tant qu’elle se trouvait comme paralysée, incapable d’écrire la moindre ligne de son prochain roman. Lorsqu’elle s’en plaignit à un ami, il lui fit cette
réponse : « Nous n’avons pas le temps d’être désespérés ni de nous apitoyer, pas besoin de silence, pas de place pour la peur. Prenons la parole, écrivons, exprimons-nous. C’est ainsi que les civilisations guérissent. »
Parce qu’en temps de crise, la culture est précisément l’expression et la condition de la démocratie, nous devons plus que jamais accompagner une nouvelle génération d’artistes, leur permettre de porter leurs propres projets, les inviter à renouveler notre regard sur le monde. C’est ainsi que s’incarne une programmation incluant des concerts, des récitals, des opéras, des spectacles chorégraphiques, des jam sessions, des colloques, des live streamings, des manifestations organisées par le bureau des élèves. Une programmation dont la diversité reflète la singularité de notre Maison, à la fois école, salle de concert et de spectacle pluridisciplinaire, laboratoire de recherche, médiathèque, lieu de vie.
Parce qu’à nos yeux, l’art n’est pas un produit mais le résultat d’un processus de création, parce qu’il nous importe de rendre accessible ce processus au public, j’ai à coeur de continuer à programmer des classes ouvertes – cours instrumentaux, de violon ou d’Ondes Martenot, cours de musique de chambre, cours de jazz, cours d’écriture des XXe et XIXe siècles, cours de danse classique ou contemporaine, masterclasses. Captées et diffusées en ligne, ces classes ouvertes répondent à l’exigence de rayonnement national et international que se doit d’avoir notre institution. La totalité des événements de cette programmation est gratuite : cette gratuité demeure un gage d’ouverture de notre institution sur son environnement.
L’Histoire s’écrit également dans l’architecture de nos villes. En 1990, le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris quittait la rue de Madrid pour s’installer dans le XIXe arrondissement, au Parc de la Villette, dans cette situation géographique symbolique en soi : à la frontière de Paris et de la périphérie, non au centre mais à la croisée de savoirs et de cultures en perpétuel mouvement. La constitution de ce pôle musical regroupant le Conservatoire, la Cité de la Musique et désormais la Philharmonie est considérée comme l’un des événements majeurs de la vie musicale française de ces dernières décennies. En 1990, le bâtiment conçu par Christian de Portzamparc manifestait dans son architecture la force et la permanence d’un établissement qui fêtait alors ses 195 ans.
Trente ans plus tard, le monde a changé. Il me semble que le défi qui nous est lancé aujourd’hui est de dépasser ces murs qui délimitent le cadre matériel de notre institution pour habiter pleinement son espace symbolique : de ce point de vue, les enjeux numériques, la question de l’insertion professionnelle, les relations avec nos publics, la coopération avec les établissements d’enseignement supérieur, avec les cursus internationaux représentent quelques-unes de ces frontières qu’il nous faut franchir. Lorsque j’entre dans ce bâtiment, que je contemple son ample espace intérieur, ses quatre travées reliées par ces couloirs baignés de lumière, j’aime à penser que son architecture visionnaire le destinait déjà à accueillir ces questions, à s’ouvrir à la complexité de notre monde actuel, à ces multiples transitions dans lesquelles le Conservatoire s’engage aujourd’hui pleinement. Les célébrations du trentième anniversaire de ce bâtiment du 4 au 7 décembre nous offrent l’occasion d’une réflexion en commun sur l’avenir.
Rien ne serait possible sans l’engagement de nos professeurs dans la découverte et l’accompagnement des talents et des œuvres. Par la richesse de leur enseignement, par l’expérience qu’ils transmettent, ils contribuent chaque jour à inventer et diffuser la culture. Cette programmation est aussi le résultat de leur travail avec les élèves. Je les en remercie. Je veux également remercier chaleureusement pour nos riches collaborations nos partenaires, au premier rang desquels la Philharmonie de Paris – Cité de la Musique, la Villette, l’Orchestre Philharmonique de Radio France, l’Opéra national de Paris, l’Ensemble intercontemporain, Chaillot – Théâtre national de la danse, et le Centre national de la danse.
Merci enfin au public de partager notre passion. J’ai voulu cette saison solaire. Qu’elle soit d’abord un acte de joie : joie de vous accueillir, joie de nous retrouver, joie de partager ces émotions ensemble. Après les mois d’absence et de séparation, il est temps de déchirer le silence.
Émilie Delorme, directrice
Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris
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