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Yves Klein et ses contemporains présentés au Centre Pompidou-Metz

par Philippe Poivret

Le ciel, le bleu et beaucoup de monde tout autour. Ou plutôt, comme le dit mieux le titre de l’exposition « Le ciel comme atelier. Yves Klein et ses contemporains ». Mais c’est bien du ciel, du bleu et des autres artistes dont il s’agit au Centre Pompidou-Metz jusqu’au premier février 2021. Yves Klein est celui qui a inventé le bleu IKB, acronyme pour International Klein Blu, qui lui a donné une reconnaissance immédiate et universelle. C’était un artiste bourré d’imagination, d’envie et de créativité dans bien des domaines. Et lui, comme toutes celles et tous ceux dont les œuvres sont présentées, est le reflet d’une époque bien révolue.

 Les années soixante du siècle dernier sont celles pendant lesquelles il était encore possible d’explorer le ciel sans autre but que de déboucher sur un Infini. Il n’y avait pas de barrière infranchissable, il n’y avait pas de barrière qui puisse brider la créativité et les ambitions ni même qui puisse freiner ce que tous ces artistes avaient à dire, à expliquer ou à montrer.

Le globe terrestre. Y. Klein. Exposition Centre Pompidou-Metz
©Ph.Poivret/WUKALI

Il n’était pas question de chercher et encore moins de connaître les limites du langage, elles étaient ignorées ou sans importance ni intérêt, tout comme les limites de la technique qui sera sans cesse détournée pour déboucher sur un au- delà, qui n’est pas un au-delà puisqu’il suffit d’ouvrir une porte pour avoir accès à l’infini, pour avoir accès à ce qui n’a jamais de limite. L’immensité du ciel est cet infini qui n’est que la continuation de notre monde réel. Il n’y a pas de barrière et les artistes, les créateurs, sont des explorateurs, sont celles et ceux qui vont nous ouvrir le monde bien au-delà de notre quotidien. Ils vont nous apporter quelque chose plutôt qu’illustrer nos vies avec ses douleurs, ses chagrins ou ses bonheurs.

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De nos jours, nous découvrons qu’il va falloir ménager la planète, lutter contre des virus et contre des attentats. Toutes choses qui sont tous potentiellement mortelles. Il nous faut donc adopter les fameuses mesures barrières, limiter notre consommation et faire attention. Tout n’est plus possible et il faut respecter certaines règles alors qu’Yves Klein et tous ses amis ont cherché à dépasser toutes les règles qui leur avaient été imposées.

L’oeuvre d’Yves Klein

Une cinquantaine d’œuvre d’Yves Klein sont présentées parmi lesquelles celles réalisées avec le fameux IKB4, la couleur bleu ultramarine dans laquelle il a remplacé l’huile de lin par un fixatif chimique ce qui lui donne un éclat et une luminescence qui « rappelle tout au plus la mer ou le ciel, ce qu’il y a de plus abstrait dans la nature tangible et vivante ». On retrouve le dialogue terre – infini. Pluie bleue est le parfait exemple de l’utilisation de cette couleur pour ouvrir sur le ciel. La pluie bleue tombe sur un sol entièrement bleu comme si la couleur avait envahi non seulement la nature tangible et vivante dont il parle, y compris le ciel et tout ce qui en tombe. 

Pluie bleue. Y. Klein. Exposition Centre Pompidou-Metz
©Ph.Poivret/WUKALI

Le globe terrestre, très connu lui aussi, est magnifiquement présenté dans un cube de verre, seul élément éclairé dans une pièce sombre. L’exposition se termine par Ci-gît l’Espace d’Yves Klein qui vient en écho à sa mort précoce à l’âge de 34 ans. Des feuilles d’or recouvrent un panneau de bois posé à même le sol comme une pierre tombale. Dessus reposent un bouquet de roses artificielles et une éponge peinte avec de l’IKB. Le rose est le symbole de la sensualité et de l’amour, le bleu est celui du ciel et de la méditerranée mais aussi du manteau de la Vierge et l’or est non seulement le symbole du pouvoir mais c’est aussi le symbole de la fin des temps comme on peut le voir sur le fond des mosaïques de Monreale en Sicile ou de Ravenne en Emilie-Romagne. Elles représentent le Christ Pantocrator, et sont entièrement faites de tesselles dans lesquelles il y a une feuille d’or. Le rose, le bleu et l’or sont les trois couleurs fétiches d’Yves Klein et si le bleu et le plus connu il n’en demeure pas moins qu’il a peint des monochromes roses et d’autres d’or et qu’il s’est servi de ces trois couleurs tout au long de sa trop courte carrière. 

Ci-gît l’espace. Y. Klein. Exposition Centre Pompidou-Metz
©Ph.Poivret/WUKALI

Avant de parler de l’ex-voto à Santa Maria di Cascia qui illustre l’importance de ces trois couleurs pour Yves Klein, il faut parler de ce qu’est une zone de sensibilité immatérielle. Il s’agit en fait d’un fragment de vide, qu’il va vendre à des collectionneurs et amis parmi lesquels Dino Buzzati. C’est une idée à laquelle il tenait beaucoup et qui est le point extrême de sa réflexion sur le ciel, l’espace, et l’infini. Il vendait donc une simple portion de vide en fournissant un reçu contre quelques grammes d’or. La transaction était authentifiée par un reçu en forme de chèque qu’il était recommandé de brûler pour enlever tout aspect matériel à ce scénario. Tout ceci préfigurait les performances qui sont montrées de nos jours mais il faut ajouter que les heureux propriétaires de ces portions de vide n’ont pas tous, bien sûr, brûlé leur reçu. Fumisterie, arnaque ou simple idée farfelue, la polémique a fait rage mais lui a permis d’offrir un ex-voto au couvent de Santa Maria da Cascia situé à Cascia en Ombrie, pas très loin d’Assise où il avait pu admirer les fresques de Giotto et leur célèbre bleu. 

Mais qui était Santa Rita da Cascia, comment et pourquoi Yves Klein lui a-t-il dédié un ex-voto ? Rita, née en 1381, était mariée et avait des enfants. Son mari est assassiné, ses deux enfants meurent de la peste. Elle veut alors rentrer au couvent mais la règle interdit d’accueillir des veuves. Elle finit tout de même par être admise au couvent après avoir obtenu, comme cela lui avait été imposé comme condition d’admission, la réconciliation de la famille de son défunt mari et de la famille de ses assassins. Elle est donc la sainte des causes désespérées. Elle meurt en 1457, à l’âge de 76 ans. Sainte Rita da Cascia est vénérée dans toute la France et particulièrement à Nice, ville dans laquelle est né Yves Klein

Ex-voto à Santa Maria da Cascia. Y. Klein. Exposition Centre Pompidou-Metz
©Ph.Poivret/WUKALI

Avec toute cette réflexion sur le vide, comme en témoigne la photo-montage où il plonge dans le vide, il n’est guère étonnant qu’Yves Klein se soit confronté à la religion et à Dieu. Il était profondément croyant, s’était déjà rendu à Cascia et connaissait très bien le culte de Sainte Rita. Il décide donc d’offrir en 1961 un ex-voto à la sainte et de le confier au monastère de Cascia. Cet ex-voto se compose de trois parties. Dans la partie supérieure, on peut voir trois compartiments, un rose, un bleu et un en or. Aux significations déjà mentionnées, il faut ajouter que le rose est un hommage à Sainte Rita qui, sur son lit de mort, avait demandé à une parente de lui apporter une rose. En dessous, dans un compartiment qui remplit toute la largeur de l’ex-voto, se trouve une longue prière écrite sur sept feuilles reliées par un fil de coton, dédiée à « Dieu le père tout puissant au nom du Fils, Jésus-Christ au nom du Saint Esprit et de la sainte Vierge Marie. Par sainte Rita de Cascia sous sa garde et protection avec toute ma reconnaissance infinie. Merci. Y.K. » Et en bas, dans trois compartiments, se trouvent trois lingots d’or dont Yves Klein nous dit qu’ils « sont le produit de la vente des quatre premières zones de sensibilité picturale immatérielle ». Les trois compartiments sont aussi une allusion à la Sainte Trinité des Chrétiens. Il s’agit donc d’un ex-voto très réfléchi, qui a été redécouvert par hasard en 1979 lorsque la restauration du monastère nécessita la présence d’or et que les sœurs se sont souvenues de la présence d’or dans cet ex-voto qui fut heureusement reconnu avant qu’il ne soit ouvert et détruit. 

Si cet ex-voto ne fait pas partie des œuvres montrées dans cette exposition, il n’en demeure pas moins que l’on en ressort frappé, charmé, étonné par l’audace, la provocation mais aussi la cohérence de toutes ces œuvres et de ces démarches qui ont marqué leur temps et qui rencontrent encore les inquiétudes et les interrogations d’aujourd’hui d’une manière tout à fait étonnante. 

Les amis d’Yves Klein

Ashiato (Foot prints) Akira Kanayma.
Exposition Y. Klein
Centre Pompidou-Metz
©Ph.Poivret/WUKALI

Ces amis, ce sont des artistes venus du Japon, de l’Allemagne, des Pays-Bas ou d’ailleurs mais aussi et surtout d’Italie. Ils sont tous entrés en résonnance avec Yves Klein. C’est ce qu’il nous est proposé de voir tout au long des huit sections qui rythment cette exposition. Dès l’entrée de la Grande Nef au rez-de-chaussée, la Grande Anthropophagie bleue, Hommage à Tennessee Williams nous fait face avec, sur le côté droit Lee Mingwei, artiste d’origine taiwanaise, ou parfois un autre chanteur lyrique, qui interprète un lieder de Schubert tout au long de l’après-midi. Le contraste, la surprise sont là dès l’entrée, le ton est donné. On peut entendre ce lieder tout au long de la visite, il résonne bien dans toute la Grande Nef du Centre Pompidou-Metz. Puis c’est la véritable révélation de l’importance et de la profondeur des liens que tous ces artistes avaient tissés entre eux. Quelques exemples en commençant par Akira Kanaymapeintre japonais qui, pas à pas nous emmène, avec une longue installation Ashiato (Footprints),vers le ciel et nous ne le quitterons plus. 

Concetto Spaziale, la fine di Dio. Lucio Fontana
Exposition Y. Klein Centre Pompidou-Metz

Lucio Fontana, ensuite, né en Argentine mais plus italien qu’argentin, le grand ami pour ne pas dire l’Ami d’Yves Klein, celui qui était peut-être le plus proche de lui (une exposition à Milan en 2015 avait déjà montré leurs liens). A Metz, ce sont plusieurs de ses œuvres majeures qui sont présentées. Une des trente-huit toiles intitulée Concetto spaziale, la fine di Dio est accrochée dans la section TROUER LE CIEL.  Tous ces trous au travers d’un monochrome rose en forme d’œuf, nous dit Lucio Fontana, sont là parce que « Dieu est invisible, Dieu est inconcevable (…) Qui sait comment est Dieu ? Alors j’ai fait ces trous ». Passer au travers de la toile, voir ce qu’il y a au-delà, ce qui nous est caché et qui va nous être révélé, Dieu ou l’infini en l’occurrence, voilà une ambition commune à Yves Klein et Lucio Fontana. 

Otto Piene ensuite, peintre allemand, nous montre avec Die Geburt des Regenbogens (La naissance de l’arc-en-ciel), la naissance de la couleur. Elle semble à peine sortir de la terre pour se prolonger par un halo incolore qui va se teinter une fois au jour. L’accouchement est en train de se réaliser et nous serons les premiers à voir naître les couleurs de l’arc-en-ciel en commençant par le rouge. Piero Manzoni, est présent lui aussi avec un humour toujours aussi décapant. Socle du monde, hommage à Galileo renverse le monde pour le mettre à l’envers. Le ciel est en bas et la terre en haut et c’est de nouveau l’infini du ciel qui est au centre de l’œuvre. 

Die Geburt des Regenbogens. Otto Piene
Exposition Y. Klein Centre Pompidou-Metz
©Ph.Poivret/WUKALI

D’autres artistes ont voulu rendre hommage à Yves Klein comme Claude Parent qui a imaginé un mémorial Yves Klein qui ne verra jamais le jour et on comprend pourquoi en voyant ces quatre tubes qui sont censés offrir quatre points de vue sur le vide et sur l’infini. Si l’idée est géniale, si l’illustration de la pensée d’Yves Klein est ici pertinente et magnifique, sa réalisation aurait été complexe et sûrement très coûteuse. 

Mémorial Yves Kein. Claude Parent
Y. Klein. Exposition Centre Pompidou-Metz
©Ph.Poivret/WUKALI

Le ciel comme atelier-Yves Klein et ses contemporains
Centre Pompidou-Metz

Exposition jusqu’au 1er février 2021
Comment s’y rendre: depuis Paris, Gare de l’Est, Tgv Metz direct.

Le texte intégral de la prière d’Yves Klein : http://www.yvesklein.com/fr/ecrits/view/98/yves-klein-priere-a-sainte-rita/   

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