Six professeurs à l’Université catholique de Louvain, tous membres du Laboratoire d’Anthropologie Prospective (LAAP), nous communiquent au travers de courtes études leurs premières pistes de réflexions nées de la pandémie de la COVID-19.
Nous sommes loin, mais alors très très loin des pseudo-analyses diffusées dans les médias, caricatures de pensées complexes impossibles à exposer dans un format médiatique ou lieux communs dignes des plus mauvais propos du café du commerce. Et de fait, les apports sont si variés et dans leurs domaines et dans leurs complexités qu’il est difficile d’en faire une synthèse. D’autant plus difficile, que ces contributions ont été écrites avant la « seconde vague » qui nous frappe alors que j‘écris.
Ce développement de la pandémie amène, naturellement une prolongation de la réflexion pour chacun des auteurs, même si le fond de leurs propos, de leurs analyses reste globalement identique.
Chaque lecteur trouvera plaisir et matière à réflexion dans l’une ou l’autre de ces contributions. Même si, en soit, elles ne sont que la variation sur un même thème : l’évolution anthropologique des rapports humains au sein de nos sociétés contemporaines sous l’effet de la pandémie.
Indubitablement, certaines contributions peuvent nous paraître très pertinentes, d’autres moins, voire très éloignées de la réalité telle que chaque lecteur la vit. Je pense en écrivant ces mots à celle d’Anne-Marie Vuillemenot qui, pour moi se montre quelque peu trop proche de certaines théories complotistes, même si j’en conviens, ses conclusions sont dignes d’intérêt. Mais c’est ma lecture et je ne doute pas que d’autres lecteurs en auront, fort heureusement, une différente.
On passe d’une évocation aux bienfaits que peuvent nous amener les chauves-souris, à une très belle étude sur le glissement heuristique de la notion d’événement à celle de catastrophe : et si la pandémie n’était pas non point une catastrophe mais un simple événement résultant du fonctionnement de nos sociétés ? De fait n’est-ce pas leur fonctionnement qui est anormal ?
Les auteurs s’interrogent sur le changement des rapports sociaux, des interactions sociales dues au port du masque. C’est notre rapport avec autrui, mais aussi avec nous même qui est remis en cause. De plus, ce n’est plus le bas du visage (la bouche) qui est visible, mais les yeux, il faut s’habituer à changer de vecteur de communication non verbale.
La pandémie, avec le port des masques et la distanciation sociale a mis en évidence, la multiplication des « non-lieux » théorisés par Marc Augé. On assiste à un détachement du monde, du milieu quotidien, et par voie de conséquence de la relation à autrui.
La pandémie a aussi agi sur notre rapport avec la mort, nos contradictions vis-à-vis d’elle qui ne sont qu’une matérialisation des contradictions de nos sociétés occidentales. C’est à une vraie hiérarchisation de la mort et de son importance que l’on assiste. Dans notre culture hédoniste, on assiste à une vraie insensibilisation des sociétés, et la mort n’a pas du tout le même impact quand il s’agit d’un proche que de l’autre, l’étranger, le vieux, le malade chronique ; en quelque sorte tous les indésirables plus ou moins à la charge de la société. On frise de très (trop?) près les théories eugénistes.
Voilà 6 belles études qui doivent être méditées durant les longues heures du couvre-feu.
Masquer le monde
Pensées d’anthropologues sur la pandémie
éditions Academia- L’Harmattan.15€