A journalist life all devoted to music


L’Opéra-théâtre de Metz est de ces institutions riches de mémoires et d’humanité. Une salle de répétition répondant aux normes acoustiques les plus élaborées vient d’y être inaugurée, elle porte le nom de Georges Masson, célèbre journaliste, auteur et critique musical qui a décidé de mettre un terme à sa carrière professionnelle, après avoir pendant 60 ans partagé sa passion de l’art lyrique et de la musique dans les colonnes du Républicain Lorrain.

Cette inauguration fut un grand moment de chaleur humaine et d’amitié. Jean-Luc Bohl, premier vice-président du Conseil régional Grand-Est, lui même fin mélomane, retraça en des termes chaleureux et sincères la brillante carrière de Georges Masson. Jean-Pierre Vidit, président du Cercle lyrique de Metz salua avec finesse et esprit ce que la musique peut apporter à l’identité même d’une ville et à une société. Georges Masson, visiblement ému par tous ces discours évoqua sa longue carrière et sa passion de la musique et des musiciens. Dans l’assistance, pas le moindre petit élu ou adjoint municipal représentant la ville, c’est pour le moins bien regrettable !

C’est à la découverte de cette mémoire musicale que nous vous convions en vous donnant à lire le discours prononcé par Georges Masson.

Olécio partenaire de Wukali

P-A L


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***Le Studio « Georges Masson » :
60 ans de musique à Metz

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**[**«Toute fraîche, toute belle et d’un généreux volume…»*]

Je n’aurais jamais imaginé que l’on puisse donner mon nom à cette nouvelle salle de répétition, toute fraîche, toute belle et d’un généreux volume. Après la remarquable rénovation de sa grande salle repeinte judicieusement dans l’esprit du 18e siècle, l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole se dote ainsi d’un Studio dont la surface semble se multiplier par deux en ce sens qu’une longue glace en fond de salle l’agrandit encore. Ce Studio, le méritais-je ?

Si vous me le permettez, je vous évoquerai quelques étapes d’un parcours sinueux. C’est vrai que je me suis investi dans la musique, bien que tardivement, au lendemain d’une guerre qui m’avait rendu pupille de la nation. J’avais alors toujours en tête, cette citation de Beethoven : « La musique doit faire jaillir du feu de l’esprit de l’homme ». De quoi vous stimuler, vous enflammer. Et c’est peut-être ce qui m’est arrivé.

J’ai commencé par commenter en public des séances d’auditions de disques.
Sympa. Puis après mes cours privés de violon, je suis entré à 20 ans au Conservatoire de Metz et ai étudié pendant 10 ans, jusqu’aux classes d’écriture. Cela me permit de me livrer à la composition d’une soixantaine de partitions musicales pour violon. Ensuite, je fus le second violon du Quatuor à cordes de René Schabel avec deux autres musiciens, Berbuto et Genewein, tous trois membres de l’Orchestre symphonique de Metz. Je n’en étais qu’un non professionnel ! Mais professionnellement parlant, je fus, parallèlement, correcteur de presse et de nuit au « Républicain-Lorrain », puis journaliste, avant d’être chef de service de rédaction. Ce travail de jour et de nuit ne me posait aucun problème ; j’étais loin au-delà des 35 heures !

Plus tard, en 1980, j’avais contribué avec le regretté Daniel Vorms, au lancement du Cercle Lyrique de Metz dont il était le fondateur et dont je fus un des présidents avant Jean-Pierre Vidit, ici présent, et qui m’a succédé. Ce fut l’occasion pour moi de donner un certain nombre de conférences ciblées sur les opéras joués au théâtre, qui s’ajoutaient à celles que j’ai faites sur la musique, au Conservatoire, à l’Académie nationale de Metz, à Luxembourg et dans d’autres villes de la région. Une quarantaine de sujets grosso-modo.

Puis, l’orchestre Ad Artem de Thérèse Divry arrêta subitement ses concerts. C’est alors que j’ai fondé l’Orchestre de chambre de Metz auquel aspirait le premier violon Dominique Lendormy qui retrouvait sa place et le chef d’orchestre Fernand Quattrocchi, la sienne. J’en étais aussi le président. Nous avons programmé des concerts chaque saison à L’Arsenal et j’en commentais les œuvres.

**[**Mise en valeur de Gabriel Pierné et d’Ambroise Thomas*]

Mais je me suis surtout investi dans la mise en valeur de deux compositeurs nés à Metz, Gabriel Pierné et Ambroise Thomas. J’en ai ciblé les dates anniversaires pour mettre sur pied, un programme. J’en informais la Ville de Metz et j’ai pu ainsi monter, grâce au regretté Rémy Tritschler, des célébrations musicales. Pour Pierné il y eut deux temps forts : le cinquantenaire de sa mort (1987), puis le 150è de sa naissance (2013). Et, pour Ambroise Thomas, c’était en 2011, le Bicentenaire de sa naissance. L’occasion, pour moi d’en écrire les livres biographiques qui n’avaient jamais été édités sur ces deux compositeurs, et d’inviter leurs descendants. De Gabriel Pierné, sa fille cadette et ses 2 grands petits-enfants qui venaient à Metz assister à plusieurs concerts d’œuvres de leur ancêtre, puis qui ont été accueillis au Conservatoire de Metz, dont le nom de Gabriel Pierné fut alors ajouté à son appellation.

Pour le bicentenaire d’Ambroise Thomas en 2011, j’avais invité un de ses arrière- petit-neveu, le Professeur émérite Pierre Ambroise Thomas qui fut président de l’Académie de médecine et venait souvent à Metz pour écouter les œuvres de son aïeul, sa Messe solennelle, son opéra-bouffon « Le Caïd » son dernier opéra « Françoise de Rimini »… Et c’est en cette année 2011, que j’ai fondé l’Association des Amis d’Ambroise Thomas et de l’Opéra français dont plusieurs membres du comité sont présents parmi nous.

**[**6.000 critiques artistiques pendant près de 60 ans !*]

Chers amis, permettez-moi aussi de revenir à la case départ pour vous dire qu’à la fin des années 1950, Marguerite Puhl-Demange m’avait confié, indépendamment de mes responsabilités journalistiques du jour, les rubriques artistiques ainsi que les critiques musicales du soir. Pour moi, c’était la cerise sur le gâteau, cerise que j’ai consommée savoureusement pendant près de 60 ans.

J’ai donc assisté, grosso-modo, à quelque 6.000 concerts, pièces de théâtre et séances chorégraphiques, dont j’ai fait les critiques sans compter mes reportages et autres articles de presse. Je n’en fais pas ma gloire mais mes critiques étaient plutôt bien acceptées des lecteurs mélomanes, qui m’envoyaient des courriers postaux parfois trop élogieux, mais aussi d’autres lecteurs qui en contestaient certaines. Au début, on m’a reproché une fois d’arriver en retard. Mais si peu. Alors, j’ai fait appel à la raison avec cette maxime : « Quand le critique va au concert, il doit y être présent dès la première note et jusqu’à la dernière ».

Autre exemple : Un lecteur m’envoya un jour un bref courrier : « Ecrivez votre texte en français ! ». J’avais malheureusement employé un mot anglais, « Rewriter », à la place de réécriture. Pire encore, j’avais fais la critique d’une œuvre contemporaine en première audition d’un jeune compositeur. Il l’avait mal acceptée. J’avais souligné quelques éléments pas très positifs mais non pas dégradants. La fureur du compositeur n’avait pas de limites. Sa réponse en trois feuillets dactylographiés, fustigea mes propos soi-disant scandaleux, à la limite de la calomnie. « Ecoutez ma musique pendant 30 secondes et vous ferez aussitôt la différence avec n’importe lequel de mes contemporains ». Vanité ! Vanité !

Vous dirais-je que, durant la période entre 1950 et 1990, la musique à Metz traça la courbe ascendante la plus significative de ses concerts avec leurs non moins prodigieux solistes, chefs d’orchestre et orchestres eux-mêmes. Il y eut tout d’abord, dans la Salle de l’Hôtel des Mines Avenue Foch, l’illustre Orchestre de Boston dirigé par le brillant Charles Munch, aux pieds duquel les étudiants du Conservatoire dont je faisais partie étaient présents. Puis ce fut le Festival de musique classique qui dura quelques années.

**[**Arthur Rubinstein, Isaac Stern, Aldo Ciccolini, Maurice André, Wilhelm Kempf et d’autres, applaudis à Metz…*]

Ensuite, avec la création de l’ALAM, ( Association Lorraine des Amis de la Musique), qui vit le jour en 1959 grâce au Pasteur Griesbeck, ce furent les grandes figures internationales qui défilèrent. La liste en est impressionnante. Prenons 1968 : au théâtre fut donné un opéra de Jacques Bondon «La Nuit foudroyée» en création mondiale. Fut aussi créée l’association Connaissance de la musique contemporaine. On célébra le centenaire de Paul Claudel avec des œuvres de Honegger et de Darius Milhaud. Le compositeur André Jolivet était présent à la création de ses « 5 Eglogues ».

Le célèbre pianiste Arthur Rubinstein, 81 ans, fut applaudi à Metz pour la première fois, et il revint deux ans plus tard, pour nous donner un récital Chopin. L’Orchestre symphonique de Budapest et ses 110 musiciens fut généreusement applaudi. En 69 : il y eut un festival Berlioz, les récitals de solistes célèbres, dont le violoniste Isaac Stern, le pianiste Aldo Ciccolini, le trompettiste Maurice André, le flûtiste Jean-Pierre Rampal, tous très connus.

**[**Les trois concerts au sommet du célèbre Rostropovitch*]

En 70, le Philharmonique de Bucarest fut vivement acclamé ; idem pour le violoniste Nathan Milstein, un autre célèbre violoniste Isaac Stern, le pianiste Wilhelm Kempf et pour la première fois le violoncelliste Mtislav Rostropovitch qui arriva avec une heure et demie de retard. Pourquoi ? Il quittait Londres mais son avion dut attendre qu’un épais brouillard s’estompe. Le public, averti, patienta sans problème, alors que les petits retards de 5 ou 10 minutes qui arrivaient, mais très peu, étaient mal supportés par les auditeurs qui s’impatientaient. Rostropovitch reviendra le 26 février 1989 à Metz pour inaugurer l’Arsenal et il y revint encore en concert en 1991. Et dans cette cohorte des grands soirs, on ajoutera le suprasensible Yehudi Menuhin, qui revint plusieurs fois à Metz, et en dernier, dans la cathédrale où il interpréta les Sonates pour violon seul de Jean-Sébastien Bach, ainsi que l’admirable et imposant David Oïstrakh, jouant sur la scène de l’Opéra-Théâtre. On y ajoutera la harpiste Lily Laskine et le pianiste Sviatoslav Richter. Tous ces noms très célèbres et sublimes du second XXe siècle resteront gravés dans les dictionnaires.

J’ajouterai la double décennie (1972-1993) des « Rencontres internationales de musique contemporaine » fondées par Claude Lefèvre, où Metz était devenu l’épicentre de la création, où 540 œuvres nouvelles furent jouées parmi lesquelles 220 créations mondiales et 114 créations françaises, signées de compositeurs européens, américains, chinois, moyen-orientaux. Rares sont les œuvres qui ne furent pas acceptées d’un public, scotché à la contemporaine : il y eut des coups de sifflet, un tissu noir lancé des balcons, des départs avant la fin, des applaudissements à minima, mais pas de bronca.

**[**Boulez, Messiaen, Stockhausen : les trois poids lourds de la «contemporaine»*]

Là aussi, Metz accueillit les grands créateurs de cette seconde moitié du XXè siècle, dont j’ai couvert les critiques généreusement développées dans le journal, ce qui est assez rare s’agissant de la « contemporaine ». Ces compositeurs sont tous venus à Metz et souvent à plusieurs reprises : Pierre Boulez, Olivier Messiaen, Stockhausen, puis Mauricio Kagel, Bério, Dallapicola, John Cage, Xenakis, Globokar, Ligetti, Maderna, Mefano pour ne citer que les plus connus, parmi les 210 qui sont venus, et qui ont fait converger sur Metz, des critiques musicaux, de France, d’Allemagne d’Angleterre et d’ailleurs. Ce festival s’est interrompu en 1993, en raison de la réduction drastique de sa subvention messine. La réaction qui arriva aux oreilles de Jean-Marie Rausch, suscita la rupture définitive.

**[**La musique? Comme la montagne, des hauts et des bas *]

Ainsi la musique, c’est comme les montagnes : elle a ses hauts et ses bas. Je voudrais vous résumer deux cas d’espèces qui ont entaché deux saisons musicales. Le premier eut lieu en septembre 1976, où l’Orchestre de l’ex-O.R.T.F. de Strasbourg devait fusionner avec l’Orchestre régional de Lorraine fixé à Metz. Les Strasbourgeois s’en estimaient frustrés. Pour marquer leur désaccord, ses musiciens ne vinrent pas à une des répétitions d’un concert prévu à Metz ; Les couteaux étaient tirés. Mais, finalement, les musiciens se calmèrent et entrèrent malgré eux dans les rangs messins. Et le concert eut lieu.

**[**L’Affaire Akoka…!*]

Or, il y eut une affaire beaucoup plus alarmante en novembre 1983 où la nomination d’un nouveau chef de l’Orchestre philharmonique de Lorraine avait été refoulée par la quasi-totalité des musiciens messins. Ce chef : Gérard Akoka. Un nom qui envahira très vite les colonnes de la presse, régionale et nationale. Ces « frondeurs » votèrent contre ce chef qu’ils considéraient comme un incapable. Des concerts prévus dans les programmes de la saison durent être annulés. Des lettres incendiaires ainsi que des motions fusèrent partout. Un pataquès monumental. L’affaire, qui était au départ musicale, devint vite politique dressant la gauche et la droite. Le président de l’Orchestre qui était le maire de Metz Jean-Marie Rausch, essuya les polémiques qui, bientôt, tournèrent à la vinaigrée, si bien que l’on prédisait la mort de l’Orchestre. L’Orchestre fut bel et bien dissout. Des mois passèrent avant qu’il ne soit reconstitué l’année suivante, et c’est le chef Jacques Houtmann qui en prit la baguette.

** [** Nouvelle naissance musicale : L’Arsenal…*]

Une autre vague musicale importante s’est développée dès l’ouverture de l’Arsenal en 1989, où l’afflux, dans ses premières années, des grands orchestres de Russie essentiellement, et des nouvelles stars de la musique, avaient chaque fois bourré la salle de mélomanes. Ce sont les fameux orchestres moscovites ainsi que celui de Saint-Pétersbourg et leurs chefs, qui fascinaient le plus le public. Ces chefs ? Kondrachine, Mvravinski, Temirkanov, Rojdestvenski, Fedosseiev

La dernière survenance fut, en 2002, celle qui fit monter d’une marche l’Orchestre de Lorraine, lequel décrocha le label national grâce à son chef Jacques Mercier qui a développé cet ensemble sur le plan de la technique et de la programmation, dévoilant plus particulièrement, au début, les œuvres de Sibélius et des compositeurs nordiques rarement joués. L’ensemble figure aujourd’hui parmi les 8 orchestres nationaux de France sur les 37 orchestres symphoniques de l’Hexagone et dont son chef tient vigoureusement la barre.
Jacques Mercier dirige l’Orchestre National de Lorraine à L’Arsenal


Dernier constat positif : la nouvelle vague des prestigieux solistes en cette fin du XXè siècle et de la quinzaine d’années du XXIè, passa aussi par l’Arsenal. On retiendra les noms des violonistes Vadim Repin (grand successeur de David Oïstrakh), Augustin Dumay, Pierre Amoyal, Schlomo Mintz, Anne-Sophie Mutter, Maxime Vengerov, Radulovic… Les pianistes Anne Quefellec, Nicolas Angelich, les clavecinistes Gustav Leonhardt, Van Immersel, Jordi Savall à la viole de gambe,.. ainsi que les sopranos June Anderson, Nathalie Dessay, Barbara Hendrix, le contre-ténor Philippe Jaroussky, la contralto Nathalie Stutzmann, et j’en oublie…

Indépendamment de l’Orchestre National de Lorraine, figure de proue de la Grande Région, il convient d’ajouter, au cœur de Metz, le Festival des Voix sacrées, le Festival des Jeunes talents, l’Ensemble de musique baroque, la Scola Metensis, l’Ensemble Stravinski, et leurs fondateurs et desquels j’assurais souvent les critiques.

** [** Une regrettable décroissance du classique*]

Mais au fil des années, la musique classique comme la contemporaine, ont été considérées de moins en moins prioritaires sur le plan culturel. La preuve en est que les médias ne leur accordent plus l’importance qu’elles avaient auparavant. La restriction, voire la suppression pure et simple des critiques musicales dans un certain nombre de journaux régionaux, est regrettable. Pour le lecteur, c’est incompréhensible. Pour moi, c’était inacceptable. C’est pourquoi j’ai décidé de mettre un terme à mes critiques en novembre dernier. Or, une bonne idée est venue de Patrick Thil, grâce auquel les 6.000 pages de critiques attendent, classées dans mes 10 gros dossiers, leur sélection drastique afin que quelques centaines de ses pages survivent dans un probable futur bouquin à éditer.

Chers amis, j’ai beaucoup trop parlé, vous m’en excuserez. Je vous adresse à tous, mes remerciements pour votre présence, mon bon souvenir, et toutes mes meilleures amitiés.
G.M.


WUKALI 26/06/2016
*Courrier des lecteurs *] : [redaction@wukali.com
Illustration de l’entête: Georges Masson. © Wukali

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