Joann Sfar a French comics artist, comic book creator, novelist, and film director writes a beautiful book dedicated to his father.


Joan Sfar est un être en mouvement à plusieurs casquettes, tour à tour illustrateur, créateur de bandes dessinées, cinéaste et romancier, à peine terminé un livre qu’il rebondit sur le cinéma pour poursuivre sur le dessin et sans cesse, il vibrionne dans une frénésie créatrice qui ressemble à s’y méprendre à une soif de vie, à une lutte insensée contre le chaos, quelque chose comme une geste d’amour.

Vient juste de paraître chez Albin Michel: [** Comment tu parles de ton père *]. Le titre fleure bon son sud méditerranéen et positionne tout de suite le locuteur. C’est aussi bien sûr un clin d’oeil. Un petit livre de 150 pages, un hommage de Joan Sfar à son père [**André Sfar*], brillant avocat niçois, promoteur et par dessus tout Don Juan et séducteur invétéré, personnage rayonnant, bagarreur aussi, un bon, un merveilleux père juif, un papa, une espèce de Solal auquel bien entendu Joan Sfar fait allusion.

La littérature est riche en livres d’amours filiales, un de plus me direz-vous, oui et alors ?
Mais un livre miroir, mais un livre réflexe qui ouvre sur la lumière, celle qui brille en chacun d’entre nous sur la mémoire du père et de la mère qui nous ont quittés, Papa et Maman en reprenant ces si chers vocables, que l’on a tant et tant aimés et nous poursuivent de leur amour. C’est cela aussi, c ‘est cela surtout la littérature et le roman, cette introspection que l’on peut exercer à partir d’une histoire qui n’est pas la sienne et dans laquelle pourtant on se retrouve pleinement .

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Ce livre, c’est aussi autre chose que du talent, c’est à travers l’inscription en mots de mémoires refoulées, mort d’une mère dont on cache par des expressions maladroites la disparition, une reprise sur soi d’une identité, c’est l’expression d’un judaïsme de la transmission, du respect et de la mémoire, de la force de la beauté.

Il est doué Joann, c’est incontestable, il a du style aussi, certes le verbe est souvent cru avec des expressions empruntes d’une vérité obscène que l’on entend cependant, voire que l’on utilise parfois, tous les jours. Mais au-delà de cela il y a des fulgurances, des inventions, des mises en mots: «Papa est né l’année où tonton Adolf est devenu chancelier :1933; C’est l’année où pour la première fois on a découvert le monstre du Loch Ness. C’est l’année, enfin, où sortait King Kong sur les écrans. Mon père, c’est pas rien.»

C’est un petit enfant qui écrit, ce n’est pas le créateur admiré de bandes dessinées, l’auteur célébré du «Chat du Rabbin», ce n’est pas l’adulte, l’homme que nous connaissons, on entend en effet une petite voix claire, celle d’un petit garçon, un retour sur soi, une psychanalyse littéraire et dans tous les ses sens du terme, un peu comme celle que l’on entend dans «Pas de printemps pour Marnie» d’Alfred Hitchkock, une installation psychique dans un temps où nous avons pris nos racines, dans un bain séminal dont on ne peut se débarrasser et qui nous constitue.

La mort de nos parents, cette déchire insurmontable, un livre vous dis-je qui nous renvoie à nous-même et nous bouleverse. Un livre d’émotion, un livre de ferveur et d’hommage, résumer cependant ce livre à cela me parait insuffisant car Joann Sfar dépasse et transcende le genre. Joann Sfar se confie et sa vivacité naturelle, culturelle, serais je tenté de dire, comme une abeille qui féconde les fleurs sur lequel elle se pose, évoque avec liberté toutes sortes de sujets qui nous conduisent de Sétif en Algérie, à Nice, Metz ou Paris et aussi au coeur de nos débats d’aujourd’hui. Un livre qui se lit d’un trait et nous laisse derrière les yeux des larmes qui nous honorent.

[**Pierre-Alain Lévy*]


[**Comment tu parles de ton père
Joann Sfar
*]
éditions Albin Michel. 15€


WUKALI 02/09/2016
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