From Renaissance to XIXth century, two sculpture masterpieces
Deux sculpteurs qui, à cinq siècles de distance, ont célébré [**Dante*] : le premier, [**Ghiberti*], avec la « Porte du Paradis » de Florence, le second, [**Rodin*], au 19ème siècle, avec la « Porte de l’Enfer ». Nous traiterons de l’un, puis de l’autre.
[**Lorenzo Ghiberti*] (1378-1455), sculpteur florentin débutant, remporta le concours pour la création, en bronze patiné, de la porte nord du baptistère de Florence en 1401, l’acte fondateur de la Renaissance artistique et son triomphe personnel.
La confiance des commanditaires était telle que l’artiste-démiurge reçut totale liberté créative et des moyens illimités sans précédent : financiers, humains et matériels. Aujourd’hui, l’œuvre est conservée au musée de l’œuvre du dôme de [**Florence*].
[(- [**La nuit du 3 au 4 novembre 1966, la nature jalouse reprend ses droits et prend Florence en otage.*]
L'[**Arno*] cataclysmique coulant à [**Florence*], en 1966 sort de son lit. Il dévaste la ville, L’eau se répand partout. Enfer et dévastation, le baptistère est inondé, les portes de Ghiberti touchées par la crue dévastatrice. L’eau et la boue souillent le chef d’oeuvre. Le monde entier est atterré comme aujourd’hui avec l’incendie de Notre-Dame de Paris. En 1990 une copie de l’oeuvre est mise en place de l’originale. Les travaux de restauration débutent en 1979 et il faudra 30 ans pour les finaliser. Pendant toute cette période, des technologies toutes nouvelles sont mises au point, notamment l’usage du laser qui fera dés lors ses premiers pas dans la panoplie des techniques de restauration des oeuvres d’art. Le chef d’oeuvre de Ghiberti ayant retrouvé ses lumières et ses profondeurs étincelantes est dorénavant exposé au musée de l’oeuvre de Santa Maria del Flore
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C’est le plus génial sculpteur de tous les temps, [**Michel-Ange*], qui devait lui donner son nom. Il disait qu’«elle était si belle qu’elle ne pouvait ouvrir que sur le Paradis» .
L’origine de l’idée est à rechercher dans « La Divine Comédie » de [**Dante*]******. Ce poème, divisé en trois parties : Enfer, Purgatoire, Paradis, sera déterminant dans l’évolution de l’art de la Renaissance et bien au-delà : jusqu’au dix-neuvième siècle avec les romantiques, dont [**Delacroix*], et chez [**Rodin*] avec sa « Porte de l’Enfer », dernier avatar dantesque du genre.
On ne soulignera jamais assez l’importance de cette oeuvre littéraire sur toutes les formes artistiques occidentales : écriture, beaux-arts, théâtre…On ne compte plus la statuaire issue de « La Divine Comédie ».
C’est le penseur et philosophe allemand [**Schelling*] (1775-1854) qui découvrit la clé du mystère, en expliquant la décroissance de la puissance descriptive de Dante : l’Enfer est sculpture, le Purgatoire peinture et le Paradis musique.
[(La « [**Porte du Paradis*] » est une œuvre unique, aux dimensions impressionnantes : 520 cm de hauteur, 310 cm de largeur et 11 cm d’épaisseur. Elle est composée de deux vantaux de chacun 5 panneaux, qui se lisent de gauche à droite et de haut en bas. Ils mesurent 79x79cm. Y sont présentées des scènes issues de l’Ancien Testament. Dans l’ordre précité :
-La création d’Adam et Eve, le péché originel, Adam et Eve chassés du Paradis terrestre
-Histoires de Noé
-Histoire d’Esaü et de Jacob
-Moïse reçoit les tables de la loi sur le mont Sinaï -bataille contre les Philistins, David vainqueur de Goliath
-Caïn et Abel travaillant dans les champs, meurtre d’Abel
-Apparition des anges à Abraham, sacrifice d’Isaac
-Joseph vendu aux marchands, la tasse d’or retrouvée dans le sac de Benjamin, Joseph se fait reconnaître par ses frères
-Le peuple d’Israël traverse le Jourdain, prise de Jéricho
-Salomon reçoit dans le temple la reine de Saba
Chacun des 10 panneaux unit deux ou plusieurs épisodes bibliques : c’est ce que l’on appelle une « représentation simultanée », conception médiévale typique, surtout aux 13ème et 14ème siècles.
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Ghiberti plonge ses racines culturelles et artistiques au cœur de l’époque médiévale, certes, mais conception et réalisation montrent un esprit nouveau et créent des technologies si inventives qu’une autre période esthétique en sera la conséquence.
Les panneaux sont encadrés de niches et de médaillons, inclus dans des montants verticaux prévus à cet effet. La progéniture sculptée de Ghiberti y est abondante. L’idée remonte aux enluminures médiévales, mais l’interprétation de l’artiste n’a strictement plus rien en commun avec le Moyen-Age : la perspective est la dominante visuelle de la porte.
L’ordonnance des panneaux, aux détails multiples, la richesse décorative de leur exécution, l’incroyable fourmillement de vie de leurs encadrements, leur douce élégance fluide, n’ont aucun équivalent à leur époque.
Le style de[** Ghiberti*], dont la formation première fut celle d’un orfèvre, y est d’une sérénité éclatante, d’un équilibre parfait. La douceur des passages dans le bronze est due aux jeux de la lumière sur les reliefs. Dans l’écrin que constitue la porte, des bijoux somptueux émergent, tels les anges apparaissant à Abraham, ou Esaü et Jacob devant le temple.
C’est une révolution esthétique, preuve qu’un monde nouveau est né : celui de la Renaissance artistique. Les compositions architectoniques et la plastique décorative, à l’incroyable raffinement, sont totalement nouvelles. Nous sommes aux antipodes de l’univers de la sculpture médiévale. Sur les montants des deux vantaux, portraits de Florentins connus du temps ( dont Ghiberti lui-même), personnages de la Bible (les nombreux Prophètes) et sibylles* diverses cohabitent en une harmonie qui ne doit rien au hasard ou à la chance, comme déjà expliqué.
La superbe dorure des éléments de la porte est un plus évident. Rien d’équivalent n’était alors connu. Le prix de revient du travail de dorure dut être énorme : l’achat de l’or, le travail de l’atelier, le temps passé en étant les composantes. Sans le blanc-seing des commanditaires un tel travail eût été impossible.
Au départ, la manière de raconter de Ghiberti est celle d’une époque de recherches, d’expérimentation et d’apprentissage. Que le lecteur n’imagine pas que la Renaissance part de rien, sort de rien et que la seule référence eusse été l’Antiquité, ce serait un contre-sens. Elle s’appuie et s’inscrit dans la suite du Moyen-Age, sans discontinuité. La période médiévale a connu de nombreux artistes dont les travaux influencèrent leurs cadets du Quattrocento.
Ce qui est avéré c’est que les artistes de la Renaissance redécouvraient l’Antiquité en créant un lien spirituel avec elle, alors que l’époque médiévale n’en avait aucun.
Cette évolution se reflète dans les travaux de Ghiberti à la porte nord. Avec la porte du Paradis, on entre dans un temps où les artistes ont déjà beaucoup travaillé et expérimenté. Ils ont pris confiance et se sont révélés au monde. D’ailleurs leur statut social a changé : au départ considérés comme des artisans de luxe, les meilleurs d’entre-eux deviennent des artistes à part entière aux yeux de l’aristocratie dirigeante, qui se fait une joie de les employer. Certains finiront même par obtenir des positions égalitaires face à leurs commanditaires. Ghiberti fut de ceux-là. La porte du Paradis est la preuve de sa maîtrise technique, de ses capacités conceptuelles, de ses dons de professeur et de son génie créateur.
– [**Analysons de près les panneaux.*]
L’harmonie douce qui s’en dégage stupéfie le spectateur. Le premier panneau (photo1) montre des éléments remarquables : le [**Père éternel*] prenant la main d'[**Adam*] pour l’éveiller à la vie ; la naissance d'[**Eve*], nue, aux jambes allongées, devant le Créateur, magnifique et serein. Si le centre géométrique est dans le visage d’Eve, le centre psychologique est décentré, à l’extrême gauche, sur la main de Dieu qui ordonne à Adam de se dresser.
On notera la finesse, le léger allongement, des jambes et des bras des personnages : c’est un travail d’orfèvre, premier métier de Ghiberti. L’exception, c’est le père éternel : aucune hésitation dans ses gestes, la certitude du devenir. Ghiberti a réussi à rendre la divinité du personnage en accentuant la raideur de son corps, la sûreté de ses mouvements et l’amplitude de son rayonnement.
Le deuxième panneau, l’histoire de[** Noé*] (1), est admirable dans sa partie supérieure où nous voyons des animaux( éléphant, lion, cervidé, bovidé, aigle…) et, surtout, une sorte de pyramide sans base qui doit symboliser le sommet de la montagne incriminée : le mont Ararat. La géométrie descriptive y est parfaite : elle entraîne le spectateur à lire et décrypter tout le panneau. Cette étonnante pyramide attire le regard tel un aimant, sa modernité est stupéfiante.
Le tour de force de Ghiberti, c’est d’avoir réussi à créer un ensemble cohérent formant la porte. Ce qui nécessitait, outre les panneaux, les montants et leurs décors de personnages.
Le neuvième panneau montre le franchissement du Jourdain par les [**Juifs*] et la prise de Jéricho. Il est entièrement recouvert de gravures, de hauts et bas reliefs. Il possède au moins un personnage en ronde-bosse, en bas au centre du premier plan, voire trois autres (??) sur la gauche du précédent.
Quant au sol sur lequel ils marchent, c’est du sable : ils viennent de traverser le Jourdain. Son rendu mouvant est crédible, voire étonnant. A mi-hauteur à gauche, un char tiré par plusieurs chevaux avance dans ce tohu-bohu. A la même hauteur en suivant, les tentes sont mises en place impeccablement, les arbres aussi. Le travail accompli a quelque chose de miraculeux tellement tout à l’air simple, alors qu’il nécessita des années. Tous les éléments composants cette scène, qui préfigurent [**Donatello*], sont d’une perfection absolue : qualité de la fonte, de la ciselure et de la dorure s’équilibrant parfaitement. C’est un des panneaux les plus réussis.
Le dixième et dernier carré, [**Salomon*] recevant la [**reine de Saba*] dans le temple, est d’une rigueur de structure qui saute aux yeux. Salomon et sa compagne dominent la scène : ils sont placés au centre de la composition. Centre géométrique et centre psychologique fusionnent donc. Les deux personnages principaux de ce théâtre sculpté sont de tailles plus imposantes que les autres.
En dessous d’eux la foule des courtisans, en bas du premier plan, est séparée des grands de l’univers royal par une balustrade, dont le centre ouvre sur des marches permettant d’accéder au deuxième plan, niveau supérieur réservé à l’élite. L’arrière-plan est fait d’architectures complexes strictement soumises à la perspective. L’organisation de l’espace est complètement maîtrisée par Ghiberti. Le ressenti, c’est d’avoir à faire à une épure mathématique dont la géométrie descriptive est totalement contrôlée. Là où le bât blesse, c’est que la dorure a beaucoup souffert. Malgré ce défaut d’usure l’œuvre existe par elle-même. La réussite de l’artiste y est complète.
Tous les panneaux sont de superbes morceaux de bravoure. Mais ils nécessitaient un cadre à leur mesure. Ce que Ghiberti et son atelier réalisèrent avec les montants, ouvragés de haut en bas et de gauche à droite. Sans ces derniers, la porte n’aurait jamais acquis une telle structure organique et, par voie de conséquence, n’aurait jamais connu cette renommée universelle et légendaire. Comme dans tout bijou, existe la monture, ici les montants. Et dans la monture, on enchâsse les joyaux, ce que sont les panneaux. Et l’écrin, demandera-t-on ? Ce sont les deux battants porteurs.
[**La Porte du Paradis*] est une œuvre unique qui possède une unité organique unique issue du génie d’un artiste unique : [**Lorenzo Ghiberti*]. Elle est l’archétype définitif du genre. Elle fut la référence et le modèle d’innombrables portes, d’essence cultuelle ou non. Beaucoup d’artistes essayèrent d’en égaler la beauté et l’harmonie. Ce furent des échecs cinglants, à l’exception d’un : [**La Porte de L’Enfer*] de [**Rodin*], créée entre 1880 et 1890, mais 350 ans s’étaient écoulés…
La suite à venir dans WUKALI : [**Rodin*], [**La Porte de l’Enfer*], mise en ligne Samedi 25 juin.
NOTA: *Une sibylle est une prophétesse, une femme faisant œuvre de divination
**Surmoulage : acte de mouler sur nature, pratique déloyale contraire à l’éthique de la sculpture qui implique un travail d’élaboration et de reconstitution en atelier, suite à des études approfondies.
*** Un pilastre est une colonne plate formant saillie
**** Un linteau est une pièce horizontale formant la partie supérieure d’une ouverture
****** [**Dante*] vécut au 14ème siècle. « La Divine Comédie » retrace son voyage à-travers les Enfers, le Purgatoire et le Paradis à la recherche de [**Béatrice*], son grand amour. Virgile l’accompagne et le guide. Ce que Homère fut pour les Grecs et Virgile pour les Romains, est ce que Dante fut pour la Renaissance : le maître absolu et créateur de la langue.
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WUKALI Article mis en ligne le 20/05/2019
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