A theatrical view of ex USSR and actual Russia
De l’utopie à la liberté : la fin de l’illusion rouge
On a vu rouge au [**Théâtre Toursky*] de Marseille ce mardi 14 mai 2019. Le public a découvert une libre adaptation de nombreux ouvrages de la littérature russe et de « La fin de l’homme rouge » de [**Svetlana Alexievitch*].
Une pièce mise en scène par[** Bernard Lanneau*], en collaboration avec [**Serge Sarkissian*].
Cela aurait pu s’intituler, la fin de l’homme rouge, du titre du l’excellent roman de [**Svetlana Alexievitch*]. Un livre déchirant, et tout simplement beau. Une sorte de radioscopie de la [**Russie*] profonde livrée dans sa cruelle nudité par l’écrivaine. Le spectateur du Toursky est lui aussi rapidement plongé dans ces temps du désenchantement. On y est vraiment !
[**Novembre 1989*]. Le[** mur de Berlin*] vient de s’écrouler. L’Europe occidentale est en effervescence. La société soviétique n’a pas connu pareil séisme depuis la révolution d’octobre 1917. Désormais, rien ne sera plus comme avant. On l’apprend dès le lever de rideau. Sur grand écran, des images défilent. Ce reportage nous est familier. Le décor est planté. Et pour enfoncer le clou, sur un côté de la scène, de grands portraits des Russes qui ont fait l’histoire. On va nous parler de [**Lénine, Staline, Gorbatchev, Eltsine*] et de celui qui va faire son entrée dans la vie politique, [**Poutine*]…
Quelque part aux alentours de la ville de [**Novosibirsk*] en Sibérie, dans la cuisine d’un immeuble communautaire se tient une réunion presque anachronique. Autour d’une immense table, Maxime, Irina, Azad et Natacha. Tous réunis pour parler de l’événement. Ils tournent autour de la table, trop grande, se pressent autour d’elle. Une table muraille qui les empêche de « bouger ». Elle semble les retenir, les soutenir parfois quand les mots se font lourds. Peu à peu la parole se libère. Tous évoquent les récents événements mais la question débattue au centre de leur conversation est : comment le communisme, qui voulait construire la société idéale, a-t-il pu dévier au point de donner naissance à un monstre impitoyable et sanguinaire, semant la terreur durant soixante-dix ans ? À qui la faute ? Maxime et Azad ne sont pas d’accord. Les esprits s’échauffent, le ton monte. Ils parlent de [**Lénine, Staline, Eltsine*]. Sont-ils coupables de les avoir embrigadés dans la funeste aventure d’un communisme à visage humain ? Cependant, tous s’accordent sur un point : l’âme russe est éternelle.
Si cette histoire représentait pour nous un passé lointain, et révolu, cette pièce est là pour nous rapprocher au plus près du réel, dans ces années 90, cette époque pas si lointaine des guerres, de la perestroïka ( peʁɛstʁɔjka), des inégalités de pouvoirs, des violences, des espions, des suspects, des écoutes téléphoniques…
Si le livre est poignant, la pièce quant à elle arrive à traduire une atmosphère extrêmement pesante autour de personnages intéressants, craignant à tout moment l’irruption de la police politique en particulier lorsque le téléphone résonnait. Cette création 2019 est ambitieuse. C’est un beau projet de théâtre humaniste et engagé. Il est de plus servi par des comédiens estimés, dont la réputation n’est plus à faire : [**Paul Barge*] (Maxime), [**Richard Martin*] (Azad), [**Catherine Salviat*], sociétaire de la Comédie-Française (Irina) et une jeune [**Daria d’Elissagaray*] (Natacha), une étudiante en journalisme qui apporte sa fraîcheur et ses espérances dans ce monde à la dérive. Le texte de la pièce est de [**Serge Sarkissian*].
S’il s’agit d’une histoire sur les hommes et la guerre, dont on nous présente quelques faits réels, les batailles militaires, le goulag, la répression policière, les pénuries alimentaires, il s’agit avant tout d’une histoire de sentiments. On plonge dans le cœur des hommes. Celui qui défend le régime et regarde le passé avec nostalgie, et celui qui se réjouit de ce changement, mais qui garde tellement de souffrance en lui, qu’il ne sait comment sortir de cette impasse. Tous nous parlent de leurs vies, de leurs rêves brisés. On est invité dans le débat ; pas de silence, pas de rupture, si ce n’est la radio qui par moment commente avec parcimonie, préférant laisser la musique classique s’exprimer, un choix de programmation hautement symbolique. Les personnages se révèlent avec leurs contradictions. Au parti, ils sont tous d’accord, Maxime, Azad, et la douce Irina. Il fallait obéir, se plier, ne pas dire ce que l’on pensait. La pièce ne nous apprend rien de nouveau. On réalise et c’est déjà énorme et touchant, à quel point les gens n’avaient pas pu vivre leur vie. Et c’est aussi la mort que l’on ne voit plus de la même façon. Pour cela, bravo !
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WUKALI Article mis en ligne le 03/05/2019
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