Decimal clock from the French Revolution
L’heure décimale, une curiosité technique et une bizarrerie de l’histoire qui se découvre chez les antiquaires ou dans les musées. Si l’antiquaire est un homme de passion, il est avant tout un homme de savoirs et les hasards de ses découvertes le conduisent à explorer à travers le passé et l’Histoire, ces objets, ces singularités créatives, ces productions artistiques qui donnent de la patine au temps. Un magasin d’antiquités c’est tout à la fois l’exposition d’une mémoire, la vibration d’une époque accomplie, la célébration d’un génie inventif, d’un savoir-faire d’un moment de l’histoire de l’art et bien entendu la renaissance d’objets divers (mobilier, bibelots, peintures etc. ) qui déroulent pour l’amateur ( «celui qui aime» selon le bon mot de Jacques Copeau) les fastes d’un temps révolu. C’est la palpation de ce temps passé, l’odeur des cires anciennes ou des huiles parfumées, la poussière cachée comme des parfums d’un paradis perdu ou le tic-tac métronomique d’une pendule boiteuse qui reprend goût à la vie.
WUKALI ouvre pour ses lecteurs son magasin d’antiquités, un voyage sans fin, fait d’émotions, de passions, de hasards et de coups de coeur.
P-A L
Qu’est-ce que l’heure décimale ? Une vieille lubie remontant à l’antiquité que la Révolution française remit au goût du jour.
Dans sa volonté de rupture avec le passé, la Convention décida la réorganisation, la codification, la normalisation de nombres d’éléments et d’événements de la vie quotidienne. Un nouveau calendrier en fut l’une des conséquences. Il fut voté et appliqué dans la foulée : c’est le décret du 4 frimaire de l’an II (24 novembre 1793).
Pour ses protagonistes, la Révolution marque une cassure avec les temps anciens, quels qu’ils soient. Le calendrier révolutionnaire, comme l’heure décimale, naquirent de cette idéologie nouvelle.
L’année sera dorénavant composée de douze mois égaux de trente jours auxquels s’ajoutent cinq jours fériés : les « sans-culottides ». Après un cycle de quatre ans, la « franciade », une sixième sans-culottide, s’ajoute à la fin de l’année pour que le calendrier républicain soit en phase avec les mouvements des corps célestes connus à l’époque.
Chaque mois est divisé en trois parties, les décades, de dix jours chacune. Chaque jour a dix heures, chaque heure cent minutes, chaque minute cent secondes.
Les horlogers n’eurent pas le choix : nous sommes en pleine « Terreur » et le moindre refus pouvait conduire à l’échafaud au titre « d’acte contre-révolutionnaire ». Ils produisent d’abord des montres (en quantité moyenne) puis des pendules (moins nombreuses). Ce sont, aujourd’hui, des objets de musées.
Le calendrier révolutionnaire sera maintenu quelques années. Le décret l’abrogeant sera publié en 1805, mais il y avait longtemps qu’il était tombé en désuétude.
Pendules et montres décimales se rencontrent, de temps en temps, en salle des ventes. Vu leur rareté, elles sont recherchées par quelques collectionneurs avertis, souvent inconditionnels de l’époque révolutionnaire, surtout de Robespierre. Ce sont presque tous des français, car cette « spécificité nationale » est quasiment inconnue des étrangers, aussi cultivés soient-ils. Historiquement, on comprend bien pourquoi.
Depuis deux ou trois ans, leurs prix ont triplés, voire plus. Cette envolée vertigineuse signifie qu’une certaine vulgarisation s’est produite.
Naturellement, ces objets anciens ont souvent été oubliés dans des caves ou des greniers…Le temps et les guerres ont fait leur œuvre… Ils sont parvenus jusqu’à nous dans des états parfois irréparables. Des pendules de ce type, plus chanceuses, sont restées en place, sur des cheminées ou des meubles. Personne n’y touchait. Les montres furent rangées dans des tiroirs et n’en sortirent que bien plus tard. Dans tous les cas, quant on les redécouvrit, il fallut les restaurer. Les techniques avaient évoluées et les horlogers qui s’en occupèrent modifièrent la suspension du balancier, originellement à fil de soie, pour une suspension métallique…Des pièces du mécanisme furent changées : ce pour quoi on utilisa des pièces toutes faites de l’industrie en lieu et place de pièces créées au tour par l’ingéniosité de l’artisan horloger. Les marteaux, comme les timbres des sonnerie, connurent les mêmes mésaventures…Tout au long des 19éme et 20éme siècles, le saccage continua.
Ce n’est que depuis une dizaine d’années que l’on se rend compte de l’étendue du désastre. Malheureusement une bonne restauration coûte cher car la complication des mécanismes fait que peu d’horlogers sont aptes à travailler sur ces objets, pour lesquels ils prennent leur aise : de mauvaises surprises sont courantes dans ce genre de restaurations ! Seuls de riches mécènes, quelques institutions privées ou des musées importants en ont les moyens.
La plus belle collection française de pendules décimales se trouve au musée Carnavalet à Paris. Le second étage étant réservé à la présentation des objets de la Révolution, on y voit sept ou huit de ces raretés, de tailles différentes et de modèles très variés.
Le musée des Arts et Métiers en possède au moins deux. Le musée de la révolution française, au château de Vizille, en a récemment acquise une…
Que l’on n’imagine pas que toutes les pendules décimales se ressemblent. C’est tout le contraire. En y réfléchissant un peu, c’est bien normal : certaines ont un cadran avec quatre, voire six ou sept aiguilles marquants heures et minutes duodécimales et décimales, les jours de la décade, les décades du mois, les mois de l’année…D’autres ont plusieurs cadrans (jusqu’à cinq), dont le central marque toujours l’heure duodécimale traditionnelle. Les cadrans annexes portant heure décimale, jours de la décade, décades du mois, mois de l’année, phases de lune…Seuls les plus géniaux des horlogers de l’époque (Antide Janvier, Louis Berthoud…) réussiront à fabriquer des pendules et des montres complètement décimales, à usage scientifiques en principe. Chacun imaginera le prix que ces authentiques chefs d’œuvres peuvent atteindre au cours de ventes spécialisées…
En 2013, une collection privée de montres décimales fut vendu à Drouot-Paris. Certaines étaient en argent, une en or. Cette dernière était estimée 5000/6000 euros. Elle atteignit le prix pharamineux de 20.000 euros…
Nous avons parlé du mécanisme des pendules décimales. En ce qui concerne les « caisses » des pendules, c’est-à-dire le bâti, on utilisait ceux de l’époque précédente: l’époque Louis XVI. Sur ce point, la révolution française n’a pas innové.
Jacques Tcharny
Illustration de l’entête: Pendule décimale. A. Vaillant, à Paris, c.1793-1794. Marbre et bronze doré, émail – 56 x 38 x 15 cm. Vizille, Musée de la Révolution française
WUKALI 24/12/2014