The adverse effects of the concordat in Poland


Cette conférence de [**Wanda Nowicka*] sur la [**Pologne*] a été présentée lors du colloque international qui s’est tenu à Metz le 16 décembre dernier sous les auspices de La Libre Pensée et avait pour titre : «Europe: Laïcité ou concordats?». Hasard du temps, elle éclaire une actualité devenue grinçante pour ce qui se passe à Varsovie.

Wanda Nowicka est ancienne vice-Présidente de la Diète polonaise, philologue et militante féministe. Vous pourrez retrouver dans Wukali un article que nous avons publié sur ce thème générique du colloque : Le Pacte Hitler-Vatican, le concordat du Reich de 1933.

[**P-A L*]

Olécio partenaire de Wukali

Lorsque je vous parle aujourd’hui de questions importantes concernant l’État laïque, je ne peux pas m’empêcher de vous féliciter parce que la France est le pays où l’on célèbre la Journée de la laïcité. Probablement pour vous, cela est évident et naturel car la laïcité est l’un des acquis fondamentaux, essentiel et notable, de la République française. Pourtant, je viens d’un pays où la laïcité est considérée comme un mal, comme un déshonorant héritage de la Pologne totalitaire et communiste, l’héritage de laquelle l’État polonais devrait se tenir aussi loin que possible. L’unique but, voire la mission sacrée étant l’avènement de la Pologne catholique, et à international, la nouvelle christianisation de l’Europe: voici ce qui vient d être annoncé comme l’un des objectifs du gouvernement, par le nouveau premier ministre [**Mateusz Morawiecki*]

Et pourtant, dans le passé, la[** Pologne*] avait eu une louable et unique tradition en Europe de l’État accueillant et tolérant. Lorsque l’Inquisition se déchaînait en Europe, c’est vers la Pologne que les Juifs et autres minorités religieuses fuyaient les persécutions. Mais, depuis plus de 20 ans nous allons vers la direction opposée.

En [**1993*] le Concordat est signé entre le Vatican et le gouvernement polonais. Le concordat est un contrat, qui attribue un caractère d’un état ordinaire au Vatican, ce qui permet de signer avec lui des traités internationaux, comme avec tout autre état. Mais au fond, le Vatican n’est pas un état comme un autre. Parce que, comme quelqu’un l’a dit : quel est donc cet état où il n’y a que des hommes, aucune femme et aucune naissance ? (du moins en théorie).

Quand le concordat fut adopté, il fut confronté à une grande résistance sociale, même parmi la majorité des catholiques qui considéraient que cette mesure faisait reculer la Pologne dans le passé.Tant et si bien que face à cette opposition sociale il n’a en fait été ratifié que 5 ans plus tard, en 1998, nota bene par un président polonais de gauche : [**Aleksander Kwasniewski*].

Ce n’est pas la première, ni hélas la dernière fois que la gauche polonaise, même à l’époque du communisme, avait subi d’énormes pressions de l’Église Catholique, concernant l’idéologie, la législation ou l’éducation. Jamais en Pologne on a construit autant d’églises que dans la Pologne communiste.

[**Dispositions et conséquences du concordat*]

Dans son préambule, la nécessité du concordat est justifiée par le fait que «la majorité des Polonais est de religion catholique» ce qui probablement est vrai dans les statistiques. Rappelons cependant, que la démocratie, à la différence des régimes autoritaires, est caractérisée par le souci et le respect qu’elle porte au droits des minorités. L’élaboration de la politique étatique uniquement en fonction de la majorité, exclut les citoyens d’autres confessions et des personnes non-croyantes. Cela conduit à une discrimination, qui est un fait en Pologne, un fait honteux, contraire aux standards modernes de la démocratie et aux droits de l’Homme, d’après lesquels, pas une personne ne doit être traitée moins bien, ne doit être discriminée à cause de sa religion ou de son refus d’en avoir une.

Une autre disposition du préambule salue «l’inestimable contribution de l’Église au développement de l’humain et dans le renforcement de la moralité ». Cet article a en réalité accordé une légitimité à une incessante ingérence de l’Église de plus en plus prégnante dans les affaires de l’État. C’est sur la base de cette disposition que l’Église donne son avis sur tous les débats idéologiques (vision du monde), ce qui la conduit à établir et imposer à la société sa morale non seulement dans le discours public mais aussi dans l’éducation et surtout dans la législation.

En tout premier lieu ces dispositions ont surtout frappé les femmes qui ont été privées dans la même année 1993 du droit à l’avortement, et depuis lors des tentatives sont faites afin d’interdire totalement l’interruption de grossesse, même lorsque la vie de la femme est en danger. Le tout, au nom de la soit disante morale qui situe la vie de la femme en dessous même de celle de l’embryon.

De plus, sous la pression de l’Église, l’État limite l’accès à la contraception et au traitement de l’infertilité par les méthodes in vitro. Ainsi les médecins, grâce à l’approbation d’une clause de conscience inconditionnelle, peuvent librement décider de la vie d’une femme.

Le Concordat a garanti à l’Église des droits importants : la possibilité d’avoir de vastes activités pratiquement dans chaque domaine. La religion catholique est enseignée dès la maternelle ainsi que dans les écoles primaires et secondaires (art.12). Le ministère de l’Éducation n’a aucune influence et rien à dire sur le programme enseigné, les manuels et les prières. Il n’est là que pour payer. La religion pourrait également devenir à court terme une matière obligatoire au Baccalauréat, c’est la mesure annoncée par l’actuelle Ministre de l’Éducation. En théorie, il existe des garanties pour enseigner les religions minoritaires ou l’éthique, mais en pratique cela reste le plus souvent lettre morte. Le plus souvent les enfants issus de familles non-catholiques assistent aux cours de catéchisme car ils ne veulent pas marquer leurs différences, craignant d’être stigmatisés comme divergents.

De surcroît, l’Église s’est garantie dans l’art. 14 « le droit de créer et de gérer les institutions pédagogiques et éducatives, dont les écoles maternelles ainsi que les écoles de toutes sortes, en accord avec le droit canonique ». Ces institutions ont le plus souvent un caractère public, en conséquence, elles sont financées par les fonds publics.

Dans l’art. 15, la Pologne a garanti à l’Église Catholique le droit de fonder et de gérer librement des écoles supérieures, y compris les universités, des facultés séparées et grands séminaires ainsi que des instituts de recherches. Elles sont toutes subventionnées par l’État.

[**La majorité opposée au catéchisme*]

En dépit du fait que 90% des Polonais sont de confession catholique, seulement 40 % d’entre eux sont favorables au financement public des cours de catéchisme à l’école.

La solution actuelle en place en Pologne est soutenue par environ 41 % des personnes dans les sondages de l’Institut de Recherche Sociale et Économique (dont 23 % déclarent un soutien ferme). Le plus grand groupe est constitué par les opposants au financement public de la religion à l’école : 49% ( dont 36,1% de l’opposition ferme). 10% des personnes interrogées n’ont aucune opinion sur le sujet.

En revenant au concordat, l’Église dispose d’aumôniers non seulement dans l’armée (art. 16) mais aussi dans les hôpitaux (art. 17), dans lesquels ils pratiquent des fonctions d’assistance, bien qu’informelles. Ils exercent souvent des pressions sur les médecins afin qu’ils n’interrompent pas la grossesse de leurs patientes, en accord avec la loi actuelle. Ils communiquent avec les milieux « Pro-Life » et « Anti-Choice » qui organisent les manifestations devant les hôpitaux, et les médecins pratiquant l’avortement sont dénoncés nominativement lors de sermons dans les Églises.

En Pologne pratiquement tous les cimetières appartiennent à l’Église et le concordat, dans son article 24, lui assure la possibilité d’en construire davantage. Cela a souvent conduit à une situation où le prêtre refuse d’enterrer un athée dans « son cimetière ». C’est un grave problème, plus particulièrement dans les petites villes. Il arrive que la famille, pour pouvoir enterrer le défunt, lui organise des obsèques catholiques, alors même que c’est contraire à toutes ses opinions et ses dernières volontés.

L’Église s’est assurée la possibilité d’avoir une activité entrepreneuriale, souvent non taxée, bénéficiant de différents avantages fiscaux résultants d’un statut d’ « activité missionnaire ». En accord avec l’art. 23 «Les personnes morales appartenant à l’Église, peuvent, en vertu de la législation polonaise actuelle acquérir, utiliser et disposer de biens immobiliers et mobiliers : de disposer d’un patrimoine».

[**Les avantages financiers de l’Eglise*]

On estime qu’annuellement l’État alloue à l’Église plus de 1,8 milliard de zlotys. ( environ 428 millions € ). Le Professeur [**Wiktor Osiatynski*], un juriste reconnu, décédé aujourd’hui, estimait que la Pologne devrait dénoncer le concordat. Selon lui « l’Église serait devenue un sujet ordinaire de la vie publique et non pas une institution privilégiée en droit. Cette position privilégiée a conduit l’église catholique, (qui à la base est fondée sur l’amour du prochain) à céder la place à l’institution “qui juge, qui crache le venin, la haine et la vengeance ».

Dénoncer le concordat signifierait également pour la Pologne des économies financières considérables. Le site « Money.pl » a calculé quelle part va de la poche des contribuables polonais vers l’Église catholique. Le gouvernement polonais, en signant le concordat, a accepté de transférer de l’argent à des fins ecclésiastiques et il s’avère qu’il s’agit de montants gigantesques. Le plus gros fardeau financier imposé à l’État polonais par le concordat est le financement de la catéchèse scolaire et des établissements d’enseignement, de la maternelle à l’université.

Aux écoles, écoles maternelles et aux maisons de repos appartenant à l’Église, le concordat a accordé les mêmes droits aux subventions que ceux des institutions laïques. Chaque année, plus de 1,65 milliards de zlotys (env 390 millions €) de nos impôts sont ainsi versés à l’éducation ecclésiastique.

[**Fonds de l’Église*]

Le gouvernement subventionne le Fonds de l’Église avec environ 90 millions de zlotys (env 22 millions d’euros) par an.

Le Fonds finance les subventions aux différentes cotisations du clergé, telles que les cotisations retraite et autres. De plus, les subventions dépassent les contributions apportées par les membres du clergé, car les prêtres reçoivent un cofinancement de 80%.

Les missionnaires et les membres des ordres religieux ne dépensent pas le moindre centime car leurs cotisations sont financées à 100%.

Le gouvernement précédent a proposé aux évêques la suppression du Fonds de l’Église en échange d’une déduction fiscale de 0,5%. Mais l’Église, craignant de perdre, n’accepta pas ce changement.

Bien entendu, l’argent du «Concordat» du budget de l’État n’est pas le seul revenu de l’Église catholique. L’église reçoit d’énormes quantités d’argent de l’État, provenant de divers ministères, ce qui est difficile à surveiller, y compris pour divers projets laïques.

A lui seul, le Père [** Tadeusz Rydzyk*], célèbre prêtre médiatique de la ville de Torun, ultra-conservateur aux penchants nationalistes, actionnaire majoritaire dans plusieurs sociétés commerciales dont Radio Maryja, reçoit annuellement près de 1 million de zlotys (env 239 000 €) de la part de l’Agence de Restructuration et de la Modernisation de l’Agriculture (source Watchdog Poland). En outre il a déjà recu 73 millions de zlotys pendant les deux dernières années émanant de différents ministères.

De plus, l’Église est le plus grand propriétaire terrien non étatique de Pologne, à ce titre elle empoche les fermages et les subventions de l’UE. Elle bénéficie également de privilèges informels, car les gouvernements locaux lui cèdent des terrains à des prix symboliques.

En somme, les revenus de l’Église s’élèvent, selon diverses estimations, à plusieurs milliards de zlotys par an, l’Église ne communiquant aucune donnée officielle sur ses revenus.

Par ailleurs, l’Église utilise souvent de fonds publics de façon pour le moins malhonnête.
Ainsi, lors des Journées Mondiales de la Jeunesse organisées en 2016 à Cracovie, l’Église s’est engagée à payer l’hébergement des pèlerins dans les écoles mises à disposition par les autorités de Cracovie soit 182 écoles et crèches. Mais elle n’a jamais payé. On aurait pu croire que cela ne devait pas poser de problème car les pèlerins ont réglé leurs hébergements à l’Église. Mais l’Église n’a pas souhaité rembourser la ville et elle ne l’a pas fait. Le coût de l’hébergement a ainsi été couvert par le gouvernement avec l’argent des contribuables.

[**La commission du patrimoine*]

Elle a été constituée juste après les bouleversements de l’année 1989 dans le but de restituer la propriété de l’Église détenue par les autorités communistes. Et elle le faisait sans compter les coûts. Ses membres, qui n’étant en rien fonctionnaires de l’État ont décidé du sort de biens immobiliers valant des millions de zlotys. Ses 12 membres étaient composés de six représentants du ministère de l’Intérieur et six du secrétariat de la Conférence épiscopale de Pologne.

La commission a été critiquée à plusieurs reprises, tout particulièrement sur le fait que la majorité des décisions ont été prises sans aucune consultation avec les élus locaux ou avec les gestionnaires de ses immeubles. Les médias ont également découvert que les évaluations du prix de terrains présentés par les experts de l’Église n’ont pas été vérifiés : ils auraient été sous-évalués.

De surcroît, aucun recours n’était possible contre ces décisions. Un réel état dans l’état. Lors des travaux de la commission les terrains sous-évalués ont été revendus par la suite avec plus que le double de bénéfice. Pendant les vingt deux années de travaux de cette commission personne ne l’a contrôlée en quoi que ce soit, et pourtant le patrimoine transmis à l’Église, le plus souvent en violation de la loi, était énorme. Par exemple, en 2007, l’Ordre cistercien a reçu 7 parcelles immobilières au centre de Cracovie d’une valeur de 24 millions de zloty, des parcelles qui ne lui avait jamais appartenu auparavant.

La valeur des biens immobiliers rendus et transférés à l’Église en compensation du capital perdu atteint ainsi 24,1 milliards de zlotys (env. 5,8 milliards d’euros). Les compensations et les dédommagements en espèces s’élèvent à 107,5 millions de zlotys supplémentaires (env. 25,6 millions d’euros).

En 19 ans l’Église a récupéré 490 biens immobiliers dont 19 hôpitaux, 8 orphelinats, 26 écoles, 9 écoles maternelles, 3 musées, 2 théâtres, 2 bibliothèques, des bâtiments d’archive et appartenant à l’autorité judiciaire, au trésor public, une maison d’opéra, une gare routière et même une brasserie (Fakt, 9 X 2010).

Deux demandes d’examen pour conformité de constitutionnalité ont ainsi été déposées devant la Cour Constitutionnelle concernant les activité de la Commission du Patrimoine : l’une en 2009 par le SLD (L’Alliance de la gauche démocratique) et l’autre par la porte parole des droits des citoyens[** Irena Lipowicz*].

Avant même que la Cour ait eu le temps d’examiner ces requêtes, la Commission du Patrimoine a été dissoute en 2011 par le précédent président [**Bronislaw Komorowski*]. On estime que cette dissolution a été opérée afin que les requêtes soient classées sans suite. En réalité, le but étant de ne jamais relever les détails du scandaleux fonctionnement de la Commission.

Dans mon exposé, j’ai à peine effleuré les problèmes liés à la signature du concordat en Pologne. En réalité nous évoluons rapidement vers un état confessionnel, et il se peut que dans les faits la Pologne soit déjà devenue telle.

Sinon comment pourrait-on expliquer autrement que les représentants de la hiérarchie catholique prennent part à tous les événements de l’État, comprenant faut-il le souligner bien souvent les messes ou d’autres activités religieuses.

Par ailleurs, comment expliquer que l’ensemble des membres du gouvernement et même le Président de la République participent aux cérémonies organisée par [**Radio Maryja*], bien connue pour ses déclarations nationalistes et antisémites.

Ajoutons que dans les médias publics, la télévision et la radio, des messes et d’innombrables programmes religieux font partie de l’offre.

Le ministre de la santé[** Konstanty Radziwill*] est en train de retirer les aides budgétaires aux traitements médicaux appliqués à la fécondation in vitro, et dans le même temps il finance la « naprotechnologie » : une version religieuse, scientifiquement douteuse et non vérifiée, du «traitement de l’infertilité» en identifiant les jours féconds.

Le même ministre avait déclaré un temps que même si sa propre fille était violée, il ne lui permettrait pas de prendre la pilule du lendemain. Il y a beaucoup d’exemples similaires… Faut-il en rajouter…?

Bien que rien ne l’indique pour l’instant, oui je continue à avoir de l’espoir pour que la Pologne revienne sur le chemin de la modernité et du progrès et qu’elle soit ainsi un état ouvert et pluraliste où les principes de la laïcité seront respectés. Le popularisation du modèle français de l’État laïque pourra nous aider dans ce processus.

[**Wanda Nowicka*]


Illustration de l’entête: Manifestation 23 janvier 2016 à Varsovie contre la politique du gouvernement polonais et en faveur de l’Europe


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WUKALI 23/12/2017)]

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