Under the charm of a magnificent ceiling
Ce samedi matin, Henry Duplessis avait décidé de retourner visiter le Palais Colonna, situé à peu de distance de la Piazza Venezia. C’est un endroit étonnant, ouvert uniquement le samedi matin de neuf heures à midi. Vous y accédez par un petit escalier en colimaçon débouchant sur une petite salle à l’étage. Elle est pleine de tableaux. Puis, continuant votre visite, vous arriverez, éblouis, dans l’immense salle de bal. Le plafond est entièrement peint sur toute sa surface, les meubles sont souvent des deux corps décorés. On y trouve du bois doré et quelques sculptures de qualité, en revanche, les peintures sont médiocres. Des colonnes de marbre de plusieurs mètres de hauteur rythment l’espace grandiose de la salle, en alternance avec de petites marches. Au premier regard, vous resterez pantois devant cette profusion décorative délirante. Ensuite, vous vous y habituerez et commencerez à en ressentir l’attrait : le charme allié à la force. Vous finirez par être hypnotisé, fasciné par ce travail extraordinaire. Et votre temps est limité car des groupes de touristes de toutes origines vont déferler sur les lieux. Le silence feutré que vous avez trouvé à l’ouverture n’existe plus. Il est l’heure pour vous d’aller ailleurs. Tiens : déjà onze heures et demie, le temps passe si vite.
Arrivant à neuf heures cinq car, comme chacun sait, tout le monde a cinq minutes de retard en Italie, c’est la nature du Transalpin, notre héros paya son droit d’entrée et pénétra vaillamment dans le palais. Ici, il respirait l’odeur de Rome à l’époque des grands Papes comme Jules II, le patron-mécène de Michel-Ange. C’était ce « saint père » qui avait fait de la ville la capitale du monde chrétien en décrétant que tous les cardinaux devaient avoir une résidence dans la ville impériale. Le temps avait fait son œuvre et les grandes demeures romaines avaient prises la patine de l’âge. Palais Spada, Palais Farnèse, Palais Barberini, Palais Doria, Palais Corsini, Palais Colonna. On pourrait les décliner, les psalmodier longtemps. La ville leur devait une partie de son mystère, comme les églises d’ailleurs. Il se promit de reprendre cette idée un de ces jours…Il voyait la hiérarchie ecclésiastique au-travers du prisme de la qualité des œuvres du Caravage qui y étaient conservées. Pour les palais, c’était un peu différent…
Pour une fois, il avait rendez-vous avec Alfredo au cœur du bâtiment, sous la voûte étoilée du décor peint, parmi les dieux et les déesses de l’Olympe. Il voyait très souvent son ami italien mais rarement dans un musée. Il y avait si longtemps que le libraire n’était pas venu admirer ce plafond que l’invitation du Français avait été acceptée. Lui était un extraverti quand il se sentait en confiance, ce qui était toujours le cas avec l’être exceptionnel qu’était le Romain : un homme de culture, distingué, intelligent, profond, gardant une certaine pondération, un zeste de circonspection pas du tout désagréable dans le monde où nous vivons.
Il faisait plutôt beau. Son ami arriva sur ces entre-faits. Ils se saluèrent comme d’habitude : lui avec affabilité et couleur, le libraire avec gentillesse et légèreté.
-Alors, lui dit son ami, vous êtes toujours en admiration devant le décor de ce plafond ?
-Vous parlez d’admiration, pas de ferveur…Vous avez une raison, je suppose ?
-Certes…La ferveur, je suis certain que vous la gardez pour le plafond de la chapelle Sixtine.
L’analyse de l’Italien était parfaite comme de bien entendu, et son français remarquable. Alfredo utilisait un riche vocabulaire. Que devait-être son italien ! Il songea qu’il ne connaissait qu’un autre Transalpin qui possédait encore mieux notre idiome : Carlo, l’antiquaire. Chez ce dernier, il était incroyable de voir avec quelle facilité il passait d’une langue à une l’autre. Il était parfaitement quadrilingue, il y avait de quoi réfléchir.
Il regarda avec intensité la fresque du plafond de la salle de bal du palais. Il repensa à toutes les réceptions données ici au cours des siècles. Il lui sembla se rappeler qu’un bal chez les Colonna ouvre « Vanino Vanini », le roman de Stendhal… Il n’en était plus très sûr…Les oubliettes de la mémoire, un piège à romantiques… Surtout pour les gens de son âge. La vision de l’existence qu’il avait aujourd’hui ne correspondait en rien à celle qu’il pouvait avoir trente ans plus tôt. Espérance et déception…A soixante ans, il avait trouvé un équilibre de vie inattendu et inespéré. Il n’avait plus qu’à s’amuser, à être un simple particulier arpentant les rues de cette ville. Il revint au moment présent.
-Ce qui me plaît le plus, dit-il à son ami, c’est l’unité de cette décoration. Souvent, ce genre de peinture tombe dans l’emphase, le déclamatoire, le pompiérisme… Ici, non. Elle reste dans le ton, ce qui lui donne du charme.
-Du charme oui, lui répondit Alfredo, parce que le peintre, ici metteur en scène, est parti d’une idée précise et l’a respectée. Mais vous imaginez bien qu’il travaillait avec un atelier. Il avait du talent, mais pas de génie sinon votre âme l’eût ressenti. Vous entrez de plein pied dans son univers que vous regardez en simple spectateur. Vous n’y participez pas, vous n’êtes pas investi. Vous êtes à la limite des deux mondes : d’un côté le talent, de l’autre le génie.
Étant donné les capacités de notre héros dans ce domaine, il aurait pu les dater en les prenant en main. On ne touche pas à ce qui est exposé dans un musée. Ce qui valait peut-être mieux dans ce cas. Il ne le saurait jamais. Un long silence les unissait dans leur rêverie. Ils étaient proche l’un de l’autre depuis des années, d’où leur complicité. Ils reprirent leur tour approfondi, s’exclamant ici ou là. Ils étaient comme de vieux gamins jouant avec un train électrique. Sauf qu’aucune SNCF au monde n’aurait pu leur procurer une telle salle de jeux. Alfredo était un peu intéressé par les tableaux, Henry pas du tout mais il escorta son ami tout au long du parcours. Les groupes commençaient à arriver. On entendait parler italien, espagnol, anglais et même russe. Ils comprirent que le temps de conclure était venu. C’était l’heure du ou des commentaires philosophiques.
-Si nous allions prendre un café ? dit le piéton de Rome
-Certainement, lui répondit l’italien.
Le seul café proche ouvert ce samedi matin se situait à trente mètres à droite du palais. Peut-être même était-il situé dans une dépendance. Probablement y avait-il accord avec la direction du musée. Ce n’était pas un endroit très accueillant mais nécessité fait loi. Ayant commandé leurs thés au citron, ils en arrivèrent à leurs conclusions.
-Alors, lui dit le libraire, qu’en pensez-vous ?
-Le lieu est remarquable, dégageant un charme magique. La salle de bal est la plus belle de Rome et remplit la fonction pour laquelle elle fut créée. C’est un rappel d’un monde disparu depuis des lustres. La fresque est enchanteresse. Il faut lui demander ce qu’elle peut offrir. Sous cet angle-la elle est parfaite.
-Vous avez raison. Savez-vous que l’endroit revit parfois ?
Devant l’œil interrogateur et surpris de notre héros, le Romain reprit :
-Figurez-vous que la salle de bal est louée de temps à autre pour une manifestation privée : mariage, banquet, anniversaire…Ce qui rapporte de l’argent au propriétaire et lui permet de conserver les locaux en bon état. Imaginez-vous le prix de revient de l’entretien de tout cela ?
La boucle était bouclée. Une fois de plus, notre siècle utilisait les trésors à lui léguer par les temps anciens. Finalement tout cela était normal. Il en fit la remarque à son ami.
-Oui, bien sûr lui répondit ce dernier. Ce palais possède un atout supplémentaire : la beauté de l’espace donc l’espace du rêve. A ma connaissance de vieux Romain, il est l’un des rares, en tout cas le seul dans ce cas, à être accessible au public. C’est un privilège et un devoir.
Ils burent sans prononcer une parole. Le Français songea à la petite phrase musicale et si cristalline de l’introduction de Marieke de Brel : Tatatatitatatatatiti….C’était tout à fait cela. La compréhension de la beauté est éternelle, c’est une leçon de la vie. Impossible d’essayer de la faire comprendre avec des mots aux jeunes générations. Ils la découvriront avec les années. Un des rares avantages de l’âge.
Ils marchèrent un peu au hasard des rues. Alfredo connaissait beaucoup de monde dans la ville. Il avait garé son véhicule assez loin sur une place réservée. Il avait posé un calicot derrière la vitre et les policiers n’avaient rien dit.
-Voulez-vous que je vous dépose chez vous ? Vous êtes loin du Trastévere ici.
-Ca ne vous dérange pas ce détour ?
-Non, ne vous tracassez pas.
Il se fit ramener jusqu’à l’angle de sa rue. Il salua son ami. Il se fit cette réflexion :
être capable de vivre demande beaucoup de travail et d’expérience, ce qui prend trop de temps. Quant on a acquis ce qui nous manque, c’est trop tard, tout est déjà fini. Ce n’est qu’à la fin de l’histoire que l’on sait si on a eu raison ou tort ( Confucius)…
Jacques Tcharny
La suite au prochain numéro…. Samedi 26 décembre : La leçon du musée d’art moderne
Récapitulatif des chapitres précédents:
Premier chapitre
Deuxième chapitre: Au nom de Bacchus
Troisième chapitre: Petit hommage au grand Vélaquez
Quatrième chapitre: A l’assaut de l’Ambassade
WUKALI 19/12/2015
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