Par Gil Gaullier.
Existe-t-il un divorce entre le public et une certaine pratique artistique de la scène qu’on pourrait qualifier de radicale. Cet adjectif est d’ailleurs pleinement assumé par
certains, par exemple lors de sa prise de fonction à la Colline, [**S. Braunschweig *] donnaitpour thème introductif à sa saison “Rêves d’héroïsme et de radicalité”. Dans le domaine de l’opéra, cette approche parait particulièrement sensible. Ce constat a
été fait à partir d’échanges avec des spectateurs néophytes, avertis ou éclairés, ce qui n’empêche pas les salles d’être généralement pleines à l’ouverture de chaque représentation.
Tout d’abord, comment définir cette pratique radicale ? Essentiellement par une ligne directrice, un parti pris clair et assumé.
Ces artistes se caractérisent en s’affranchissant, par principe, du contexte historique et artistique de l’œuvre. Ainsi, dans son approche de l’ Affaire Makropoulos (Janacek), [**K. Warlikowski*] convoque à la fois King Kong et [**Marilyn Monroe*].
Dans certains cas, cette pratique interroge des éléments qui ne figurent pas dans le texte. Ceci amène les metteurs en scène à ajouter des personnages – le Parsifal (Wagner) de [**Warlikowski*] fait ainsi intervenir un enfant – mais également à ajouter des rôles. Dans la version d’ Iphigénie en Tauride (Gluck) de Warlikowski, Iphigénie est tenue à la fois par un rôle chanté et un rôle exclusivement joué. Des éléments de scénographie sont parfois introduits pour souligner une absence : un autre espace de
représentation est ainsi créé, dans le Wozzeck (Berg) de [**C. Marthaler*], par le jeu d’enfants afin de questionner le rôle de parents de Wozzeck et de Marie.
D’autre part, les éléments non présents dans le texte peuvent inclure ceux
qui portent sur le contexte politique actuel. Par exemple, en pleine
révolution orange, [**J. Simons*] fait le choix, pour Simon Boccanegra (Verdi), d’une scénographie reposant principalement sur cette couleur. Mais ils peuvent aussi porter sur le contexte politique originel à l’œuvre : dans l’Iphigénie en Tauride de Gluck, K. Warlikowski fait commencer la représentation en projetant la phrase : “A la gloire de Marie-Antoinette.”
Enfin, cette radicalité peut transparaitre par une mise en scène de l’excès, comme le fait [**Olivier Py*] en utilisant des décors modulables, voire des feux d’artifice dans sa version des Contes d’Hoffmann (Offenbach). Ceci n’est toutefois pas un critère général à la pratique radicale, car la scénographie ou le jeu peuvent également s’avérer objectivement sobres ou intimistes.
On oppose, le plus souvent, à ces artistes le fait de trahir leur auteur. Toutefois, l’auteur invoqué est généralement celui de la partition et non celui du livret. Cette confusion est intéressante dans la mesure où elle amène à se questionner sur son origine. En revanche, on peut légitimement opposer à ces productions qu’elles sont outrancières, au sens où elles poussent les choses à l’extrême. N’est-ce pas, pourtant, le propre de la
radicalité ?
La version de l’Italienne à Alger (Rossini) présentée à Metz et co-produite par l’Opéra national de Lorraine, le Théâtre national slovaque de Bratislava et l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, s’annonce dans cette veine. Un avion éventré fait office de bateau échoué, mais est-ce là l’unique interprétation qu’on puisse lui donner ? Elle est proposée par le jeune metteur en scène[** David Hermann *] qui a déjà à son actif nombre de productions et qui fera l’ouverture du Deutsche Oper de Berlin en
2012/2013.
Alors, que cette production fasse débat, si le débat s’impose, une chose est sûre : elle constitue une chance. A la fois pour le metteur en scène, en lui permettant de présenter son travail, mais aussi pour le public, en lui donnant à voir ou à découvrir un courant artistique qui compte sur la scène internationale.
L’Italienne à Alger , chef-d’œuvre de l’opera buffa, à l’affiche de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole les mercredi 7,vendredi 9 mars à 20h et le dimanche 11 mars 2012 à 15h
Illustration de l article: David Hermann