Pas un strapontin, pas le moindre fauteuil de libre pour cette première soirée de la nouvelle saison lyrique à l’Opéra-Théâtre de Metz. La billetterie affiche complet pour les deux prochaines représentations. On fait la queue, on se presse, bien sagement quoique impatiemment pour venir écouter la version de La Flûte Enchantée mise en scène par Daniel Mesguich . En ce premier soir la salle est pleine comme un oeuf.
Si ce n’était pas l’enchantement du Vendredi Saint, c’était la curiosité puis le bonheur pour découvrir cette mise en scène originale. Le Singspiel qu’affectionnait Mozart dans cet opéra étant parfaitement respecté, les dialogues parlés étaient donnés en français tandis que les airs chantés demeuraient en allemand et cela semblait tellement naturel, les puristes pouvaient en être choqués, mais c’était si beau !
De très belles voix, La Reine de la Nuit interprétée par Aline Kutan fut tout bonnement magnifique, une vois posée, bellement colorée, avec des arias bien tenus, Sarastro interprété par Philippe Kahn , que l’on connait bien à Metz, à la voix de basse chaude et puissante avec une présence toute d’élégance et de sobriété, fut superbe. Valérie Condolucci dans le rôle de Pamina fut chaleureusement applaudie ainsi que Pamino dont le rôle était tenu par Sébastien Droy. Guillaume Andrieux dans le rôle de Papageno apporta cette touche de facétie et de fragilité candide et goguenarde qui habite le rôle, même si sa voix manquait un peu de force, tandis que Valérie Gabaille, Papagena, à la voix fraîche et délicate, élevait les échanges des duos. L’orchestre national de Lorraine dirigé par Jacques Mercier avait trouvé la dimension instrumentale parfaite et son point d’équilibre convenant à Mozart, le banc des flûtes d’évidence fut à l »honneur.
Quels efforts et que de finesses dans la mise en scène, que de beauté et d’inventivité dans les décors, quel ravissement et quelle intelligence dans les éclairages, les costumes pareillement étaient splendides, les couleurs étaient ingresques ou pré-raphaêlites à souhait, vives et chaudes et toujours dans le raffinement des nuances !
Les trois dames vêtues de toges arachnéennes qui laissaient entrevoir quelques détails charmants de leur anatomie avaient la beauté des Caryatides de l’Erechtheion et leurs échanges vocaux apportaient une touche parfois de fantaisie, tandis que les trois anges évoluaient dans une nudité toute paradisiaque. La beauté d’un corps nu que l’on admire tant pour autant qu’il est enfermé dans un musée, enfin libéré et évoluant avec naturel et sereinement sur scène. Cela n’était pas sans rappeler la mise en scène que Jorge LAVELLI avait faite en 1986 sur “Le Songe d’une nuit d’été” de Shakespeare à la Comédie française.
Un bouillonnement d’idées: des lumières qui venant des cintres, c’est à dire des cieux, de la voûte étoilée évoquaient étrangement le compas du maçon ou du Grand architecte de l’Univers, ainsi que le triangle ou les trois Lumières sous forme de pyramides lumineuses tronquées
il est vrai que Mozart appartenait à une Loge maçonnique de rite écossais avec une symbolique égyptienne très marquée ( d’ailleurs Osiris et Isis sont mentionnés dans le texte du livret). Daniel Mesguich a d’ailleurs pris un malin plaisir en utilisant les dialogues du rituel maçonnique, comme on les retrouvent dans le livret de Schikaneder, en les transposant en éléments de décor. Ainsi aperçoit-on flottant au dessus des initiés (on y reviendra plus loin) des costumes, défroques et vêtements qui symbolisent le monde profane que le Maçon a abandonné pour recevoir l’initiation. Petit détail amusant de mise en scène, les initiés portent une perruque rousse, non point qu’il s’agisse d’une coquetterie esthétique mais parce que le roux marque la différence, l’altérité en l’occurrence c’est à dire le passage du monde profane vers le secret maçonnique. s’il fallait encore souligner les détails qui renvoient à la symbolique maçonnique ou plus largement ésotérique on découvre au troisième acte des arbres sans feuilles, sans fruits, des arbres secs
L’idée principale qui anime cette mise en scène c’est la dualité des personnages voire leur trinité bien entendu, on s’approchait parfaitement de l’analyse freudienne et psychanalytique. Cela a pu troubler certains grands amateurs de l’Opéra attentifs à l’orthodoxie de l’oeuvre. Ce clin d’oeil étant pourtant malin et le bienvenu démontrant ainsi très bien ô combien non seulement La Flûte demeure intemporelle, mais sait aussi s’adapter parfaitement avec la quintessence matricielle, symbolique et maçonnique présente tout au cours de l’opéra, cet éloge de la lumière et cette aspiration à la liberté et cela est patent dans l interprétation de l’oeuvre voulue par le metteur en scène et grand homme de théâtre Daniel Mesguich.
L’idée des ténèbres et des bêtes sauvages est astucieusement évoquée, dans cette scène on y aperçoit avant l’intervention salvatrice de la flûte, des personnages aux mines patibulaires et monstrueuses provenant des mondes souterrains d’ Otto Dix, d’autres androgynes inspirés de Léonard de Vinci ainsi qu’ une créature femelle et bicéphale sortie de l’imagination débridée de Tim Burton dans son film Big Fish
Quel bonheur en tous cas de voir pareils décors, lits clos de tapisseries, mobiles,dorés en veux tu en voilà, baroques, se transformant en nef rappelant les tableaux de Rubens glorifiant Marie de Médicis l Cela nous change avec bonheur de ce minimalisme de pacotille trop souvent de mode dans la mise en scène de l’art lyrique d’aujourd’hui. Le travail sur l’espace scénique fut astucieux, les déplacements des chanteurs et des choristes parfaitement maîtrisés
Comme tous les grands moments d’émotion et de partage, le public après des applaudissements nourris et des bravos nombreux et passionnés, demeura assis voulant très probablement ainsi prolonger un peu plus et faire perdurer ce temps de grâce et de beauté.
Voilà une production lyrique qui honore la scène messine et qui fera date dans le monde de l’opéra.
Pierre-Alain Lévy
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La soprane Aline KUTAN dans le rôle de la Reine de la Nuit. Detroit Opera House, 17 Avril 2009